Valelune Online, quel monde magnifique.
Ici, les légendes prennent vie… et meurent, parfois. Et croyez-moi, on en a vu passer des deux catégories.

Mais surtout, ici, tout est possible.

Oui, vous avez bien lu le titre de cette histoire. Inutile d’attendre un grand cliffhanger pour apprendre qui je suis : (roulement de tambour)… je suis un PNJ, un personnage non jouable. Fascinant, non ? Bon, le destin s’est bien fichu de moi, mais commençons par le début.

C’était une journée comme les autres à Pinte-Pleine, une petite ville fortifiée entourée de champs d’orge et de céréales. Charmante, certes, mais où le plus grand danger reste de mourir… d’ennui. Pour nous, PNJ, mourir n’est pas vraiment un problème. Dès que la faucheuse a fait son œuvre, on se réveille frais et dispo le lendemain matin dans notre lit, prêts à recommencer. Une vie palpitante, n’est-ce pas ?

Mais ça n’a pas toujours été aussi calme. Autrefois, notre ville était le point de rendez-vous des aventuriers les plus braves, venus pour accomplir des quêtes épiques et repartir avec des trésors inestimables. Enfin, jusqu’au grand bug. Depuis, plus personne.

La plupart des PNJ diront que c’est mieux comme ça : les aventuriers, c’était juste des casse-pieds. Ils couraient partout, ne s’excusaient jamais après vous avoir bousculé ou piétiné, et ignoraient royalement ceux qui ne leur étaient pas utiles. Moi, j’étais clairement de ceux qu’on ignorait.

Bref, revenons à ce matin typique. Comme tous les jours, je me tenais adossé au mur de la taverne, observant le manoir du Duc Rin, notre cher seigneur. Un homme petit, corpulent, et totalement indifférent à la misère qui règne depuis le bug. Mais lui, il avait ses finances, et c’est tout ce qui comptait pour lui. Passons.

C’est alors qu’on m’interpella :
— Hé, Face d’Ange ! Encore en train de rêvasser ?

C’était Math Erne, un commerçant nain et l’un de mes rares amis. Il tient une échoppe sur la place du marché où il vend des confitures artisanales. Comme tous les nains, il est petit, mais sans barbe. Une sombre histoire de règlement sanitaire et de poil trouvé dans un pot de marmelade lui a coûté sa pilosité faciale.

Face d’Ange, c’est le petit surnom qu’il m’a donné. Car même si je suis totalement inutile — pas de quête, pas de marchandise, même pas une ligne de dialogue programmée pour les joueurs —, je suis, selon ses dires, plutôt bien modélisé : cheveux bruns courts, yeux noisette, visage agréable (sans vouloir me vanter) et une silhouette… moyenne. Pas musclé, pas gros. La base, quoi.

— Toujours pas sorti ? me demanda-t-il en s’adossant à côté de moi.
— Non, pas encore, mais ça ne saurait tarder.
— T’es vraiment bizarre, tu sais. Elle n’en a rien à faire de toi. Je parie même qu’elle ne sait pas que tu as été programmé.

Nous, les PNJ, on sait qu’on est programmés. L’idée qu’une suite de 0 et de 1 ait créé un monde aussi complexe par hasard est absurde. Alors, on croit au Grand Programmeur.

— C’est mon destin d’être ici, Math. Je le sais.
— Peut-être, mais pour les autres, t’es juste un peu… comment dire… simplet.
— Simplet ?
— Ouais. Tout le monde pense que t’as pas tous tes codes dans le bon ordre. Évidemment, je t’ai défendu ! J’ai dit à tout le monde : “Le Citoyen Numéro 7 n’est pas un simplet, c’est juste un pervers qui passe ses matinées à mater la fille du Duc.”
— Quoi ?!

Je comprenais enfin pourquoi les prêtresses me lançaient des regards noirs tout en marmonnant des insultes que je ne répéterai pas ici. Après tout, il y a peut-être des enfants qui lisent. Déjà qu’à la question "Qu’est-ce que tu lis ?" ils risquent de répondre : "C’est l’histoire d’un pervers". Alors si, en plus, je me mets à utiliser des gros mots, autant dire qu’il ne restera pas grand monde pour l’épisode 2. (Quoique...)

— Un pervers, comme ces aventuriers qui faisaient des captures d’écran avec Clémentine, la serveuse ? Je n’ai jamais compris pourquoi d’ailleurs.
— C’est parce que t’es trop petit, tu n’as jamais vu son décolleté.
— Elle a un décolleté ?
— Oh, rien d’exceptionnel, mais tu sais, les aventuriers sont bizarres.

Le nain fronça les sourcils.
— Je déteste les aventuriers. Aller, bouge pas, je vais te ramener une pinte.
— C’est le matin, Math.
— D’accord, une petite bière alors.

Sur ces mots, il entra dans la taverne, me laissant seul.

Et enfin, elle apparut.

Aloye, la fille du Duc. La plus belle des blondes. Ses longs cheveux ornés d’innombrables tresses luisaient sous la lumière du soleil. Ses yeux, bleus comme l’océan... même si je n’ai jamais vu l’océan, je suis sûr que c’est exactement cette couleur. Et son parfum... ah non, je suis trop loin pour le sentir, mais je suis certain qu’elle sent bon. Enfin, je crois.

Bref !

Chaque matin, Aloye sortait sur le balcon de sa chambre. Comme toujours, elle s’installait dans un fauteuil en osier blanc, et là, elle se mettait à broder. Oui, je sais, certains diront que c’est une activité de grand-mère, mais ça revient à la mode.

Je ne savais pas sur quoi elle travaillait : une cascade dans une forêt tropicale ? Des elfes dansant à saute-mouton ? Ou peut-être des lapins jouant à saute-mouton ? À moins que ce ne soient des licornes galopant dans les champs et jouant à... ah non, pas les licornes. Ce jeu leur est interdit, à cause des... des accidents.

Quoi qu’il en soit, elle était là, et ma journée s'illuminait.

Math, lui, sortait de la taverne avec deux chopes à la main et une moustache de mousse. Mais c’est à ce moment précis que tout bascula.

Une jeune fille en haillons arriva en courant, essoufflée, devant la taverne (le lieu le plus peuplé de la ville en ces temps d'ennui). Elle prit une grande inspiration et lança d’une voix tremblante :
— C’est terrible… Mon père vient d’être assassiné.