Épisode 4. Inventaire embarrassant
C’était un de ces moments suspendus où le temps semble s’être arrêté.
J'étais toujours assis par terre, le postérieur endolori, sentant la colorimétrie de ma peau virer au rouge écarlate.
J’avais honte. Mon secret, mon plus grand secret, venait d’être découvert par un autre PNJ. Et pas par n’importe qui : un commerçant. Math Erne, ce nain bavard qui ne pouvait pas garder sa langue dans sa poche, allait forcément en parler à tout le monde. Ce n’était plus qu’une question d’heures avant que tout Pinte-Pleine sache que le citoyen numéro 7 — moi — n’avait aucune statistique.
Mais ce n’était pas tout. J'étais aussi gêné par une autre chose : le regard de Math. Ce nain me fixait de ses petits yeux perçants, et j’étais littéralement dans une position où un nain me regardait de haut. Je ne le souhaite à personne.
Ses lèvres tremblèrent, et soudain, il éclata de rire.
— Hahaha ! Mon pauvre !
— Oh, c’est bon, Math, dis-je en me relevant, l’air maussade.
— Non, c’est pas bon du tout, c’est excellent ! T’es encore plus nul que ce que les autres disent à la taverne.
C’était le coup de grâce. En plus de passer pour un pervers qui observe une jolie fille sur son balcon du matin au soir, j’apprenais que mes concitoyens me trouvaient aussi “nul”. C’en était trop.
J’avais décidé de rentrer en ville. Pas question de passer une seconde de plus avec ce nain qui ne m’attirait que des ennuis.
— Eh, tu vas où comme ça ? Non mais reviens, y a des coccinelles niveau 2 par là !
Math Erne se remit à rire de plus belle. Effectivement, en sortant de la ville, j’avais aperçu ces maudits insectes près des mûres. Ils étaient prêts à m’éclater la tête. Résigné, je ravalai le peu de fierté qu’il me restait et retournai près du nain hilare.
— Allons-y. Je n’ai pas envie d’y passer la journée, grognai-je.
Je bouillonnais intérieurement. Tout ce que je voulais, c’était rentrer à la taverne et noyer cette histoire ridicule dans une chope bien remplie.
Après quelques minutes, je brisai le silence :
— Je peux savoir pourquoi tu te balades avec tout ce fatras dans ton inventaire ? Et comment un PNJ qui vend des fruits se retrouve avec de l’équipement d’aventurier ? C’est bizarre, non ?
Math plongea ses mains dans ses poches, faisant apparaître son inventaire devant lui.
— Tout ça ? Ce sont des déchets d’une autre époque. Tu te souviens d’avant, je veux dire avant le Grand Bug ?
— Non, j’ai été “programmé” après.
— Eh bien, tant mieux pour toi. C’était une époque infernale : les aventuriers de tout Valelune Online débarquaient ici pour “LA” quête de Pinte-Pleine. Et crois-moi, ces types ne respectaient rien ni personne. Ça courait dans tous les sens, ça arrêtait leurs montures n’importe où… Un jour, un aventurier est arrivé à dos d’éléphant, juste devant mon échoppe. Il a pris la quête et est reparti… à pied. Moi, je suis resté deux jours à supporter la vue de l’arrière-train de l’animal, qui, entre nous, avait mangé quelque chose qu’il ne digérait pas. Je déteste les aventuriers.
— Ok, mais ça ne répond pas à ma question. Pourquoi tout ce bric-à-brac ?
— J’y viens. Les aventuriers ramassaient tout et n’importe quoi au cours de leurs périples. Et à qui finissaient-ils par refiler leurs trouvailles inutiles ? À nous, les commerçants. On devait leur donner nos précieuses pièces d’or pour des objets dont on n’avait rien à faire. Sérieusement, ils ne savent pas lire ? On est des marchands, pas des brocanteurs.
— D’accord, mais alors pourquoi tu transportes ça tout le temps ?
— Je vais te dire, mais c’est un secret, ok ? Chaque fois que je sors de la ville, je remplis mon inventaire et je balance tout ce bazar dans les granges des paysans. Comme celle-ci.
Il désigna un bâtiment fait de planches blanches de tailles disparates. Le genre d’endroit où personne ne devait jamais aller.
Sans que je m’en rende compte, le temps avait filé pendant que Math m’expliquait à quel point il détestait les aventuriers.
— Nous y sommes, déclara-t-il. Le champ des Galls.
— Et on fait quoi maintenant ?
— On cherche où Charly s’est fait assassiner.
Il ne nous fallut pas longtemps pour trouver l’endroit. L’orge avait été fauchée en partie, et là où la végétation restait haute, des outils abandonnés gisaient près d’une énorme flaque de pixels rouges.
— Mais qu’est-ce qui s’est passé ici ? demanda Math en s’accroupissant.
C’est alors qu’une créature jaillit des plants de céréales, une lame à la main, fonçant droit sur lui.
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