Épisode 6. Quelque chose qui cloche
Nous étions retournés à Pinte-Pleine aussi vite que possible : moi en marchant à une allure rapide, et Math en courant. C'était assez drôle à voir.
À notre arrivée devant la taverne, le lieu le plus fréquenté à toute heure, les PNJ vaquaient à leurs occupations habituelles. Clémentine, la serveuse, nous interpella dès qu’elle nous aperçut :
— Je me disais bien qu’il manquait quelque chose aujourd’hui.
— De quoi tu parles ? répondit Maryline Galls en relevant la tête du comptoir où elle dormait, complètement ivre.
Je compris immédiatement : tout le monde avait oublié que nous étions partis enquêter dans le champ du fermier assassiné.
Math s’avança jusqu’au comptoir, escalada un tabouret, commanda deux pintes, en vida une d’un trait, et reposa le verre vide avec fracas. Puis il déclara :
— Ah, ça fait du bien ! Pfff ! C’est pas tout ça, mais faut en profiter parce que, quand l’armée de gobelins sera là, ces petits plaisirs vont devenir rares.
Je le regardais avec incrédulité. Venait-il vraiment d’annoncer la pire nouvelle de l’histoire de Pinte-Pleine de cette façon ? Ce nain était décidément irrécupérable.
Clémentine hocha d’abord la tête d’un air distrait, avant de saisir le sens de ses paroles.
— L’armée de quoi ?
— Ben, les gobelins. Tu sais, ceux de la colline de Petit Godet.
— Ouais, les gobelins ?
— Ben, ils débarquent. On les a vus depuis le champ. Il y en a des centaines, peut-être plus. Et je suis presque sûr que c’est eux qui ont pulvérisé le fermier.
Maryline, se souvenant que son père ne réapparaîtrait pas avant le lendemain, éclata en sanglots.
— Vous avez vu des gobelins ? demanda un client, un homme au ventre proéminent et à la touffe de cheveux bruns.
— Ouais, et je m’en suis fait deux. Bang bang !
Cette dernière phrase, c’était Math qui l’avait prononcée, pas moi. Pourtant, si vous relisez l’épisode précédent, vous verrez que c’était plutôt moi qui avais neutralisé les créatures, pendant que mon ami vantard était allongé sur le dos, priant pour ne pas se faire trouer la peau. Mais bon, je ne dis rien.
La tension montait autour de moi, mais je ne parvenais pas à me concentrer. Une sensation étrange me rongeait depuis que nous avions quitté le champ. Il fallait que je m’éloigne.
Clémentine, elle, était entrée dans une colère noire. Elle lâcha une série de jurons (dont je dois avouer que je ne connaissais pas la moitié) avant d’ordonner au gros PNJ brun d’aller chercher Richard et le reste de la garde. Selon elle, le chef de la milice déciderait s’il fallait avertir le duc de Pinte-Pleine.
J’en profitai pour m’éclipser et me rendre aux toilettes de l’établissement. C’était une petite pièce, avec une cabine sur le côté et un miroir fixé au mur.
Ma main tremblait. J’avais fermé les yeux, pris une grande inspiration, puis posé ma main sur mon épaule. Ce que je vis me laissa sans voix. C’était normalement impossible. Jamais, dans l’histoire de Valelune, une telle chose ne s’était produite, du moins pas à ma connaissance. Mais c’était bien réel.
Ma fenêtre de stats était ouverte devant moi. Et il y était écrit :
Citoyen numéro 7 niv 2.
Niveau 2. J’avais passé un niveau après mon "combat" (si on pouvait appeler ça ainsi) contre les gobelins. Pourtant, les PNJ n’étaient pas censés évoluer. Nous étions encodés par le Grand Programmeur avec des statistiques… statiques.
Pourtant, mes autres données — force, intelligence, courage et endurance — restaient à zéro.
Une nouvelle notification apparut : Arbre de compétences. Wow, j’ai des compétences ?!
Après un bref coup d’œil, je découvris la seule compétence débloquée : Absorption d'alcool*. Par le grand programmeur… Bon, au moins j’ai une compétence, c’est toujours mieux que rien.
*Compétence offerte par Marga Peann.
Je tentais de calmer ma respiration. Si ça venait à se savoir, je n’osais imaginer ce qui se passerait. Après quelques instants, je réalisai que, mis à part Math, personne ne connaissait mon niveau. Cela me rassura un peu.
En repensant à l’épisode des chaussettes, un détail me revint en mémoire. Quand les gobelins avaient disparu, Math n’avait pas semblé remarquer les objets qu’ils avaient laissés derrière eux. J’avais ramassé les chaussettes et les avais placées dans mon inventaire.
Je mis la main dans ma poche, et la fenêtre d’inventaire apparut. Les deux chaussettes étaient bien là. Je pris la première. Elle disparut et révéla son contenu : deux capsules rouillées et une bouteille de bière vide.
Je fis de même avec la seconde chaussette. Cette fois, en plus des objets précédents, il y avait un couteau rouillé, mais encore un peu aiguisé : Couteau gobelin niveau 2.
Je tendis la main pour saisir le couteau. Dès que mes doigts se refermèrent dessus, je ressentis une vibration étrange. Une impulsion, comme si l’objet était vivant. La fenêtre de stats réagit immédiatement : ma force passa de 0 à 2.
Je ne comprenais plus rien. Une sueur froide, pixelisée, coulait dans mon dos.
À l’extérieur des toilettes, un bruit se fit entendre. La garde venait d’arriver. Je refermai mes fenêtres et rejoignis les autres dans la salle principale de la taverne.
Mais mon regard se posa sur autre chose : un PNJ que je ne reconnaissais pas.
Un PNJ avec une capuche sombre.
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