Épisode 7. cause à effet
Richard se tenait au beau milieu de l’auberge, arborant son éternel sourire. Sur son torse brillait un plastron étincelant. J’avais remarqué que son écuyer s'était installé à une table à l'écart, enduisant les spallières de graisse et, quand Richard ne regardait pas, de salive.
Le chef de la garde n’était pas seul. Deux autres PNJ à la peau bleutée étaient maladroitement sanglés dans des armures ternes et trop petites. J'avais reconnu Lou et Eddie, deux habitués du coin que je n'avais jamais vus sans une bière en main. C'était étrange.
Derrière le "Beau" Milicien, la gent féminine s’était regroupée pour admirer ce modèle graphique impressionnant. Le Grand Programmeur avait clairement mis du soin dans sa création. Heureusement, son intelligence ne dépassait pas celle d’un verre vide. Comme quoi, il y a une justice dans ce monde.
Richard prit la parole :
— Alors comme ça, on crie au gobelin ?
— Ouaip, répondit Math Erne, solidement vissé à son tabouret au comptoir.
Les PNJ s’écartèrent, formant un couloir entre le milicien et le nain.
— Et vous avez des preuves ?
— Pour sûr, j’en ai même décalqué deux qui rôdaient dans le champ des Galls.
— Ce ne sont pas des preuves.
— Ha bin zut, dans ce cas, non.
— Je me disais bien que ce n’étaient que des balivernes d’un nain en manque d’attention, conclut Richard en riant et lançant un clin d’œil à une demoiselle.
— Un quoi ? rugit Math en sautant de son tabouret. Tu rigoleras moins quand ils débarqueront en nombre pour érafler vos jolies armures !
Les deux miliciens échangèrent un regard empreint de peur, un regard que je connaissais bien pour l’avoir souvent vu dans mon propre reflet.
La dispute continua, mais mon attention s’était tournée vers le PNJ encapuchonné installé au bout du comptoir. Il sirotait un verre qui ne contenait pas de bière.
Oh, my Prog!
Je ne savais même pas qu’on servait autre chose ici. Cet inconnu, en tout cas, ne perdait pas une miette de la conversation.
— JE PENSE QU’UN SÉJOUR EN PRISON VOUS REMETTRAIT LES IDÉES EN PLACE, MONSIEUR ERNE ! cria Richard.
— Vous pensez ? C’est une première, répliqua le nain.
— Excusez-moi...
— Lou, Eddie, mettez-moi ce nain au frais !
— Vous voulez qu’on le mette dans un frigo ? demanda un des soldats.
— Hein ? Quoi ? C’est quoi, un frigo ?
— Excusez-moi, s’il vous plaît.
Dans la taverne, les PNJ parlaient tous en même temps. Certains se demandaient si cette scène n’était pas une blague pour rompre la monotonie de Pinte-Pleine. Les demoiselles, quant à elles, débattaient du fait que Richard était encore plus beau en colère.
— J’AI DIT : EXCUSEZ-MOI !
Le silence tomba brusquement. Tous les regards se tournèrent vers… un wererat.
Si vous ne savez pas ce qu’est un wererat, rassurez-vous, moi non plus je ne le savais pas avant cette soirée. Il s’agit d’une créature mi-homme mi-rat d’environ quarante centimètres, avec de petits yeux noirs cachés derrière une paire de lunettes, une moustache bien taillée, et vêtu d’un costume impeccable. Ces êtres anthropomorphes, très intelligents, vivent principalement dans les bibliothèques où ils dévorent littéralement les ouvrages. Chaque document grignoté ajoute automatiquement son contenu à leur savoir. De vrais rats de bibliothèque, donc.
— C’est quoi cette chose ? demanda Richard en reculant.
— Je m’appelle Sami, et j’ai une information importante.
— Une inspection sanitaire serait plus utile ici, marmonna Richard en jetant un regard vers la serveuse.
— Je ne vis pas ici, je viens de la bibliothèque, précisa Sami.
— QUOI ? On a une blibli… bliblio…
— Bibliothèque. Mais ce n’est pas le sujet, dit Sami en sautant sur une table. L’heure est grave. Je m’en suis rendu compte en dégustant les patch notes de cette semaine.
Un silence outré accueillit cette déclaration. Les patch notes, c’est notre presse écrite à nous. Ils annoncent les grands changements de l’univers et sont lus à haute voix au temple du Grand Programmeur chaque semaine. Peu de monde se déplace pour les écouter.
— En fait, j’ai dû avaler beaucoup d’autres ouvrages pour réunir toutes les pièces du puzzle. Le problème avec ces gobelins est lié au Grand Bug.
À la mention du Grand Bug, le PNJ encapuchonné redoubla d’attention.
— Comme vous le savez, Pinte-Pleine n’est pas très “attrayante” pour les aventuriers. La seule quête qui les attirait ici était celle d’Aloye, la fille du duc. Mais depuis l’apparition du “One-Shot Boss” dans la tour blanche, les aventuriers fuient. Ce monstre fait tomber les points de vie à zéro au moindre contact.
Clémentine prit la parole :
— Je connais cette quête. Beaucoup de clients venaient me voir après l’avoir validée. Mais il n’a jamais été question de gobelins.
— Pourtant, c’est lié. Les aventuriers faisaient une série de quêtes secondaires pour éliminer les gobelins en chemin. Maintenant que personne ne fait la quête d’Aloye, ces monstres se sont multipliés à chaque mise à jour. Une véritable armée est en marche, et nous sommes sur leur route.
La panique gagna la taverne. De mon côté, je remarquai une chose inquiétante : le PNJ encapuchonné avait disparu. La porte de l’auberge se refermait déjà sur un avenir des moins paisibles.
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