Épisode 9. Je devrais apprendre à me taire
J’étais sur un petit nuage.
Enfin… pas littéralement. En réalité, j’étais toujours dans la chambre d’Aloye. Seul avec elle. Rien qu’en y repensant, je sentis mes joues s’empourprer.
Je venais de ranger mon couteau gobelin niv. 2 dans mon inventaire, tandis qu’Aloye avait jeté son arc sur le lit. Elle prit la parole, son ton plus grave qu’à l’accoutumée.
— Tout ce qui arrive est ma faute. Si ma quête n’avait pas bugué, Pinte-Pleine ne serait pas en danger.
Elle serra les poings, évitant mon regard.
— Vous savez… il n’est pas certain à cent pour cent que les gobelins rasent la ville. C’est juste une possibilité, rien de plus.
J’essayais tant bien que mal de la rassurer. Et, par la même occasion… de me rassurer moi-même.
— Je crois que vous ne connaissez pas très bien les mobs, monsieur le pervers.
Aïe. Toujours aussi directe.
— Tu peux m’appeler 7. C’est… moins blessant. Et puis, je suis juste un citoyen, tu peux me tutoyer.
Elle plissa légèrement les yeux, comme si elle évaluait ma proposition.
— Bien… Dans ce cas, 7, vu que tu risques de mourir à cause de moi, la moindre des choses, c’est que toi aussi tu me tutoies.
YES.
Si vous aviez accès à mon cerveau à ce moment précis, vous auriez vu une véritable danse de la victoire s’y dérouler.
Aloye reprit, plus sérieuse :
— Quoi qu’il en soit, tous les mobs de Valelune Online sont programmés avec un instinct agressif. Penses-tu vraiment qu’une armée de gobelins va juste passer à côté d’une ville sans rien faire ?
— Ouais… C’est vrai que c’est peu probable, répondis-je en me frottant le menton.
Je n’avais pas de barbe, mais le geste me paraissait tout à fait approprié. Mon regard tomba alors sur les cibles brodées.
— Et tout ça, c’est pour quoi ? demandai-je, intrigué.
Aloye alla s’asseoir sur son lit. Elle baissa la tête et posa une main sur son épaule, faisant apparaître sa fenêtre de statistiques.
Aloye Rin — Niveau 8
PNJ donneuse de quête
Compétence : Broderie
Quêtes en cours : 374
Elle inspira profondément.
— Tu vois, un certain nombre d’aventuriers ont accepté ma mission. Certains d’entre eux ont perdu de l’expérience et des pièces d’or quand ils ont succombé aux coups du One-Shot Boss. J’avais peur que l’un d’eux revienne pour se venger… ou juste par pure méchanceté.
— Tu crois qu’un aventurier irait jusque-là ?
Elle releva les yeux vers moi.
— Valelune leur donne tous les droits.
Pas une seule fois, en l’observant sur son balcon, je ne m’étais imaginé qu’Aloye pouvait avoir peur. Et pourtant, à cet instant, elle semblait terrorisée. Cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, elle la sentait peser sur ses épaules depuis bien trop longtemps.
À ce moment précis, je ne voulais qu’une seule chose. Enfin… disons que j’avais beaucoup de choses en tête, mais celle qui comptait vraiment, c’était de lui rendre le sourire.
Malheureusement, j’ai un talent certain pour parler trop vite sans réfléchir.
Parce que voilà ce que je lui ai dit :
— Juste par curiosité… Elle consiste en quoi, ta quête ?
Elle me répondit d’une voix mécanique, comme si elle récitait une phrase apprise par cœur :
— Par-delà la forêt brumeuse, il y a un moulin. Un mage, là-bas, guette depuis sa tour pâle. C’est lui qui détient la force de Pinte-Pleine. Ramenez-la-moi et vous serez récompensé pour votre bravoure.
— Quête acceptée !
…
Nous y voilà.
Comme quoi, une journée peut toujours être pire que ce qu’on croit.
Je n’ai toujours aucune idée de pourquoi j’ai dit ça, mais une chose est sûre : quelque chose venait de changer sur la fenêtre de stats d’Aloye.
Aloye Rin — Niveau 8
PNJ donneuse de quête
Compétence : Broderie
Quêtes en cours : 375
Le nombre de quêtes avait… augmenté ?
— Mais… comment ? demanda-t-elle, les yeux ronds.
Comme si j’en avais la moindre idée.
— Disons que je suis un PNJ… plein de surprises.
J’avais tenté un sourire confiant, mais tout mon codage tremblait d’effroi.
Je devais sortir d’ici avant de m’évanouir devant la fille de mes rêves.
— Bon… C’est pas tout, mais j’ai une quête à accomplir. Une simple question : ce moulin, il est loin ?
— Il se trouve à un jour et demi de marche.
— Parfait. Dans ce cas, je serai de retour dans moins de quatre jours. En espérant que les gobelins ne soient pas trop rapides…
Je me retournai, posai la main sur la poignée de la porte.
— Attends !
Mon cœur rata un battement.
C’était LE moment. Celui où elle allait me faire un petit bisou pour me porter chance, non ?
…
Eh bien, non.
Je me retournai et la vis, debout, son arc fermement saisi dans sa main.
— Je viens avec toi.
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