Épisode 10. Début d'un plan avec accroc
Tout allait trop vite. Bien trop vite.
Mon programme tournait à plein régime, cherchant désespérément un moyen de me sortir du pétrin dans lequel je m'étais moi-même fourré. Mais voilà, la fuite n'était plus une option, plus maintenant qu'Aloye avait décidé de m'accompagner pour accomplir sa quête buguée.
Je vais vous confier un secret : l'idée de me faire pulvériser par le One-Shot Boss ne m'enchantait pas du tout. La douleur, ce n'était pas franchement mon délire. Certes, il m'était déjà arrivé, lors de mes journées passées à descendre des pintes, de me cogner le pied contre une table ou de me faire quelques égratignures. Mais là, on parlait d'une mort certaine, avec en prime un supplément de souffrance.
Un pur moment de réjouissance.
Il me fallait un plan. Un bon plan et, si possible, un plan sans accroc.
La première étape était simple : me retrouver seul. J'avais donc donné rendez-vous à Aloye une heure plus tard devant la porte de la ville, juste en face des champs d'orge. Pendant ce temps, je filais à l'extérieur, mon couteau gobelin niveau 2 en main, droit vers l'endroit où, plus tôt dans la journée, j'avais repéré des coccinelles menaçantes de niveau 2.
Sauf que, bien évidemment, elles n'étaient plus là.
Tant pis.
Elles avaient été remplacées par des moustiques géants.
C'est là que j'ai compris quelque chose : ici, à Valelune Online , les mobs changent en fonction du moment où l'on se rend dans une zone.
Dans l'après-midi, il y avait des coccinelles niveau 2, menaçantes mais pas trop moches. Mais en pleine nuit, elles avaient cédé leur place à des insectes aux longues pattes fines et dotées d'une sorte de rapière de mousquetaire sur le popotin. Autrement dit, des bestioles atroces, mais toujours niveau 2.
Mon plan restait inchangé.
Je m'étais lancé pour attaquer.
À MORT !
Je ne savais toujours pas pourquoi je hurlais des trucs comme ça. Ça me choquait moi-même.
Premier coup : dans le vide.
Deuxième coup : raté aussi.
Décidément, j'étais vraiment pas doué pour ça. Sérieusement, comment les aventuriers pouvaient-ils faire ça… pour le plaisir ? Ces gens étaient vraiment bizarres.
Les moustiques, eux, ne perdaient pas de temps. L'un d'eux fonça sur moi et me planta son aiguille postérieure.
Aïe. Tu vas me le payer.
Cette fois, je riposte. Et bingo ! Mon couteau frappa son flanc et déchira son aile. Profitant de l'ouverture, je me jetai sur lui et l'achevai. Il a disparu dans un effet pixelisé, laissant derrière lui une sorte de cocon ressemblant à une pelote de fil à tricoter… gluante.
À peine le temps de savourer ma victoire qu'un autre moustique me piqua… les fesses.
Bon sang, ça fait mal !
Le pire, c'est que je savais déjà que ça allait gonfler et me gratter pendant des heures.
Super. J'avais rendez-vous avec la PNJ de mes rêves, nous allions nous enfuir de la ville en pleine nuit… et moi, je passerais la première partie du voyage à me gratter les fesses.
J'avais mis ces tristes pensées de côté et je m'étais concentré sur cette lutte insecticide.
Après quinze minutes de combat acharné, la cinquième et dernière bestiole rend l'âme. En la voyant se dissoudre dans des filaments gluants, un frisson me parcourut.
J'avais posé la main sur mon épaule pour afficher mes statistiques.
Et là… bingo.
Citoyen Numéro 7 - Niveau 3.
Je ne vous raconte pas mon sourire à ce moment-là. C'était pas normal, complètement impossible même… mais j'avais encore gagné un niveau !
Bien sûr, être niveau 3 ne faisait pas de moi un PNJ surpuissant, et j'allais devoir continuer à monter en niveau si je voulais survivre au voyage qui m'attendait. Mais je ne pouvais pas passer toute la nuit ici à massacrer des moustiques.
Le reste se ferait avec le temps.
Bien, passons à la suite du plan : l'équipement.
J'avais rejoint Aloye à l'endroit convenu. Elle était déjà là, discrète, cachée dans l'ombre comme une voleuse de grand chemin, capuche rabattue et arc en bandoulière.
Les miliciens de la ville l'avaient sûrement repérée, mais connaissant leur efficacité légendaire, ils avaient dû faire semblant de ne rien voir.
Aloye s'approche de moi.
— Tu es prêt à partir ? me demanda-t- elle.
— Presque. Un petit détour et ce sera bon.
J'avais pris les devants, et ma chère PNJ marchait à mes côtés.
La plus belle nuit de ma vie.
Seuls, sous un ciel de pixels.
Bref.
Je me dirigeai vers une vieille grange, celle que Math m'avait indiquée dans la journée. L'endroit où il vidait son inventaire lors de ses virées hors de Pinte-Pleine.
Le bâtiment était calme. Comme deux ombres, nous nous approchons silencieusement de la grande porte. D'un geste précautionneux, je l'avais poussé…
C'est alors qu'une voix s'élève. Une femme.
— Mmmm, c'est bon ça !
Puis une autre, masculine cette fois.
— Tu en veux encore ?
Oh bon sang.
On n'était pas seuls.
Et clairement, on tombait très mal.
J'avais chaud, d'un coup.
Je me tournai vers Aloye :
— On repassera plus tard.
Elle était toute rouge, elle aussi. Ce qui, entre nous, la rendait encore plus jolie.
J'entrouvris prudemment la porte pour nous éclipser… et, bien sûr, celle-ci grinça bruyamment.
— Qui va là ? demanda l'homme.
Je pivotai lentement vers les voix… et me retrouvai nez à nez avec Math Ernes et Clémentine, la serveuse de la taverne, chacun tenant… un ravier de framboises.
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