Chapitre 1

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[3 Mai 2181 – Laboratoire d’expertise ADN du Dr Hortense Prim]

— Est-ce que vous êtes vraiment sûr de vous ? Nous prenons un risque majeur à créer une telle chose… Si d’aventure nous sommes découvert c’est la fin !

La doctoresse Ludovika Stradovski observe ses nombreux écrans de séquençage et de reproduction ADN, n’écoutant que d’une oreille distraite son assistant. Brillant, mais un peu trop nerveux et avec un sens de l’éthique agaçant. C’est bien pour ça qu’il n’est que l’assistant. Il ne sait pas voir les choses en grand. Il ne doit même pas savoir ce que les termes « ambition » et « par tous les moyens » veulent dire. Assez désespérant il est vrai. Néanmoins, il n’essaiera jamais de la doubler. Il est bien trop trouillard pour ça !

— Cesse de geindre veux-tu et lance la simulation.

Kepler écarquille légèrement les yeux, donnant un air comique à son visage derrière ses verres en cul de bouteille. Ludovika aurait bien volontiers rit si elle avait su comment faire. Cependant, elle est totalement dépourvue du sens de l’humour. C’est à peine si elle a jamais esquissé plus qu’un rictus un jour. Peut-être dans son enfance. Lorsqu’elle ne connaissait pas le terme insouciance. Un lointain passé.

Elle continue de regarder ses moniteurs pendant que, piteux, Kepler pianote sur son clavier pour lancer la simulation.

Les colonnes de chiffres défilent, se superposent, s’entremêlent pour ensuite laisser place à différents séquençages ADN. Ils s’assemblent, se délient, ainsi de suite jusqu’à ce que les combinaisons se stabilisent enfin. La doctoresse s’approche des panneaux holographiques affichant les différents résultats. Sur l’un, les ADN refusent catégoriquement de se mélanger : inexploitable. Sur un autre ils se mélangent et s’imbriquent d’une façon plus qu’étrange : inexploitable. Le troisième une infime partie seulement a réussi à se lier : partiellement exploitable. Le dernier panneau montre une combinaison des plus surprenante. Les ADN ne se sont pas mélangés comme escompté. Ils ont fusionné et créés quelque chose de totalement inédit.

— C’est… balbutie Kepler.

— … la bonne, complète Ludovika une lueur carnassière dans le regard.

Elle approche ses doigts des résultats défectueux et les déplace sur le côté afin de les mettre à la poubelle. Elle tape sur le quatrième et l’agrandit afin d’étudier les différents composants de ce brin totalement inédit jusqu’ici. Elle le détaille sous toutes les coutures avec son assistant. Ils le décortiquent et prennent autant de notes qu’il leur est possible afin de les reporter dans une nouvelle base de données.

Ils lancent une nouvelle phase de séquençage et explorent toutes les possibilités.

— Ce résultat est incroyable, finit par lâcher Ludovika après plusieurs heures de tests.

— On n’a encore jamais vu ça. Est-ce que le Dr Hortense avait réussi à obtenir des résultats aussi concluants ?

La doctoresse lui jette un regard de travers.

— Bien sûr que non. Elle pensait avoir trouvé en 2171 mais ce n’était qu’une chimère. Elle a bel et bien réussi à créer quelque chose. Mais…

[19 Juillet 2171 – Laboratoire d’expertise ADN du Dr Hortense Prim]

Un hurlement de joie explose et résonne dans les couloirs sécurisés du laboratoire.

— J’AI REUSSI, s’égosille le Dr Hortense en boucle. LES EMBRYONS SONT VIABLES ! ILS SONT VIABLES !

Alarmée par tout le raffut Ludovika saute de sa couchette et se précipite vers la salle d’échantillonnage où doit très certainement se trouver son mentor.

Arrivée devant la porte du labo, elle s’arrête, pose les mains sur ses genoux et prend un instant pour reprendre son souffle. Se présenter à son mentor en soufflant comme un bœuf ça la fout mal. Reprenant contenance, Ludovika arrange à la va vite ses cheveux, inspire à fond et entre dans la pièce. Elle tique. Le Dr Hortense est en train de sautiller sur place en poussant des cris de joie. Lorsqu’elle remarque enfin la jeune femme elle se fige, une lueur folle dans le fond de ses pupilles bleus glaciés. Elle a toujours été folle, c’est un fait, mais là, il y a autre chose. C’en est presque effrayant. Stoïque, la jeune-femme observe son ainée et demande poliment en baissant les yeux :

— Que se passe-t-il ? Une grande nouvelle ?

Le docteur se reconstruit son masque habituel et lisse sa blouse blanche en réhaussant ses lunettes rouges sur l’arête de son nez.

— Plus qu’une grande nouvelle. C’est l’apothéose ma petite. Allé, vient, approche-toi et regarde, dit-elle en pointant du doigt une série de cinq éprouvettes sur la paillasse.

Ludovika s’approche doucement de son mentor et pose son regard de scientifique sur les petits tubes en verre. Penchée au-dessus du microscope, elle observe. Des cellules. Des cellules bien visibles et frétillantes de vie. Incroyable… elle a réussi… pense-t-elle incrédule. Cette folle de tutrice a enfin atteint le but qu’elle s’était fixé il y a de ça 36 ans. La jeune femme n’avait jamais douté de la viabilité d’un tel projet, seulement des méthodes employées par les cerveaux qui s’y attelaient depuis toutes ces décennies. Ils étaient beaucoup trop lents.

— C’est fantastique, répond sobrement sa protégée.

Hortense fronce le nez et plisse les yeux en direction de celle-ci, ne comprenant pas pourquoi elle était si mesurée. C’était là le jour à marquer d’une pierre blanche ! Ne le voit-t-elle donc pas ? Ce serait-elle fourvoyée depuis toutes ces années en la prenant sous son aile ? Impossible… Mais alors pourquoi ?

La jeune scientifique prend la parole sortant de ses sombres pensées son ainée :

— Quand allons-nous les exploiter ? Le potentiel est énorme et il nous faut faire vite.

— Oui ! Oui bien sûr. Ne perdons pas de temps. Lance la procédure sur le champ !

[3 Mai 2181 – Laboratoire d’expertise ADN du Dr Hortense Prim]

Le regard voilé, Ludovika pose ses yeux aciers sur l’étagère de la défaite. Bien en évidence dans un cadre reposent les échecs de feu son mentor. Les cellules avaient donné des embryons. Ces embryons plus que vigoureux avaient été implantés dans des mères porteuses volontaires. Les cinq choses qui en ont découlés. La simple qualification d’erreur est un doux euphémisme.

La doctoresse s’approche de l’étagère et porte son regard sur le premier sujet. Bien réactif au moment de l’implantation, il s’était développé pendant cinq mois avant de muter en une espèce d’amas difforme doté d’une immense gueule remplie de dents acérées comme des lames de rasoir. La chose avait dévoré la mère porteuse de l’intérieur. Ça avait été assez rapide et assez immonde à voir. Concrètement la femme avait commencé à ressentir des douleurs sourdes, puis de plus en plus fortes jusqu’à la faire hurler de douleur. Ses cris étaient glaçants, ils résonnent encore parfois aux oreilles de Ludovika, et portaient dans plus de la moitié du centre. L’immondice avait fini par percer le ventre et à s’en échapper. La jeune-femme n’avait jamais su déterminer si la pauvre volontaire était morte des suites de l’hémorragie ou bien de la douleur de se faire dévorer vivante de l’intérieur… sûrement un peu des deux. Il n’avait pas été bien loin. Sans bras, ni jambes, rien d’autre qu’une gueule béante pour tout déchiqueter, il était resté là à patauger dans le sang et les bouts d’organes avant de finir par crever de la même manière qu’un poisson trop longtemps hors de l’eau. Dégueu. Essai n°1 : échec.

L’essai n°2 n’était pas plus concluant. Lui est arrivé à terme. La volontaire est elle aussi restée sur le carreau. Il l’a totalement déchirée en sortant. Les médecins présents sur place n’ont pas eu le temps de pratiquer une césarienne ni même de la sauver une fois la chose extraite. Il était trop gros. Utérus et vagin explosés et disloqués. Il avait une apparence… mi humaine, mi… chose. Est-ce que vous arrivez à vous représenter les très vieux loups-garous des films des année 1900 à 2000 ? Et bien c’était, à peu de choses près, le résultat de ce deuxième tube. Lui non plus n’a pas survécu. Il a été abattu peu de temps après avoir tué un des médecins qui était censé s’occuper de lui. Essai n°2 : échec.

Le troisième essai s’était tout simplement détaché et avait entrainé une fausse couche en somme toute banale et très décevante. La seule chose intéressante avec celui-ci avait été qu’il avait aussi provoqué la mort de sa « mère » en sécrétant un poison qui s’était dilué dans son sang et avait agi comme si elle avait avalé une capsule de cyanure.

Les deux derniers essais étaient relativement proches. Ils étaient censés être viables. Ils étaient censés être ceux qui prouveraient qu’Hortense avait eu raison de se battre toute sa vie. Raté. Encore. Ils étaient tous les deux nés correctement, les mères porteuses se portant comme après un accouchement naturel. Le premier était resté au contact de « sa mère » dans un environnement qui se voulait le plus « normal » possible (factice évidemment). Le second avait été élevé auprès de sa mère dans une cellule et celle-ci était partie dès qu’il était capable de se débrouiller sans elle. Enfin ils pouvaient réellement se mettre au travail et les étudier afin d’en créer de nouveaux. En pure perte encore une fois.

Le premier a fini par dévorer sa mère alors qu’elle lui donnait à manger. Elle lui aurait paru plus appétissante que sa purée pour bébé. Le second était mort après avoir commencé une semi mutation. Des poils avaient poussé à divers endroits sur son corps. Sa tête avait commencé à s’allonger en une espèce de gueule informe. Ses oreilles étaient devenues plus pointues qu’à l’accoutumé. Ce qui l’avait vraisemblablement tué : sa cage thoracique déformée dans un angle étrange. Son cœur avait tout bonnement implosé. Résultat de l’apothéose ? Echecs cuisants.

Ludovika avait toujours su que cela allait se passer de la sorte. Bon. Elle n’aurait pas pensé qu’Hortense allait créer de telles abominations. Elle avait juste supposé qu’ils allaient simplement mourir dans le ventre des mères porteuses et basta. Mais cela revenait au même : ils étaient tous crevés en emportant les volontaires. Si, si, toutes. La dernière après avoir vu ses collègues mourir plus sombrement les unes que les autres avait décidé de se donner la mort. Après avoir vu de telles horreurs comment aurait-elle pu reprendre le cours normal de sa vie ? Hortense avait été affreusement déçue et en avait retourné tout son bureau. Ludovika avait été ennuyée d’avoir perdu autant de temps. Son mentor l’ayant obligé à arrêter tous ses travaux pour se concentrer uniquement sur ses précieux.

La doctoresse serre les poings rageusement et fait volte-face vers son assistant. Darde sur lui un regard empli d’une haine froide.

— Ose encore une seule fois ne serait-ce que penser à comparer mes travaux avec ceux du Dr Hortense… et je te donnerai en pâture à mes prochaines créations. C’est bien clair ?

Kepler pâlit à vue d’œil et hoche vigoureusement la tête avant de détaler comme un lapin dans la ligne de mire d’un renard.

[20 Mai 2181 – Laboratoire d’expertise ADN du Dr Hortense Prim]

— Est-ce que le virus est prêt ? s’enquiert Ludovika.

— Affirmatif docteur.

— Est-ce que le projet FA est opérationnel et prêt à être inoculé ?

— Affirmatif. Tout est en ordre, les doses sont toutes rangées dans les chambres réfrigérantes. Classées comme vous l’avez demandé.

— Y a-t-il une seule ombre au tableau ?

— Aucune. L’opération ne peut être qu’un succès. Notre couverture d’ONG est préparée depuis l’année dernière. Les hackers ont réussi à nous créer un palmarès brillant. Tout est prêt et n’attend plus que vos ordres.

La jeune-femme s’approche de la fenêtre et observe la jungle urbaine en contre plongé. Bientôt son paysage va changer. Leur vol direction le Sri Lanka, contrée reculée et considérablement délaissée par tous les médias et puissants dirigeants, est imminent. Ce sera un parfait terrain d’expérience. Une population relativement pauvre, vivant simplement, coupée du reste du monde. Et surtout dont le reste du monde se contre fout ! Cette fois… ce sera la bonne. Et pour la première fois en 29 ans, Ludovika esquissa un mince sourire.

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