Chapitre 4
Soen
[29 Février 2420 – Citée Sehuenpiri]
Un bourdonnement comme fond sonore se fait entendre dès que nous quittons notre cellule, tout le monde échange avec ses voisins sur l’allocution du président connard. Ça jase fort. Ce qui est compréhensible. Des œillades sont échangées. Chacun se jauge pour savoir qui va accepter de participer. Est-ce qu’il faudra suivre ces gens ou au contraire les huer et passer à tabac ? Voilà ce que chacun pense à cet instant. Les clans sont plus soudés que jamais, ou pas en fait. Nous quittons le couloir principal et nous engageons dans le réfectoire. Plus bondé qu’à son habitude à cette heure-là. J’avise l’horloge digital qui affiche 19 : 00. Une heure pile avant qu’un tirage au sort ne soit effectué. La zone délimitée est actuellement vide. Dans mon dos je sens Shalana quasiment plaqué contre mon dos.
— On fait quoi So’ ? On attend que certains se décident à se bouger le cul ou on fonce dans le tas ? me demande Zéphir en se penchant vers moi.
J’embrasse la salle du regard.
Il m’est plus difficile que d’habitude d’analyser correctement les visages de nos joyeux camarades de geôle. Pas étonnant vu la bombe cataclysmique que nous a balancé ce trou du cul de Swenn. Pourtant je m’efforce tant bien que mal de déterminer la meilleure marche à suivre. S’imposer ou patienter ? Difficile à dire et cela m’agace de ne pas pouvoir établir une stratégie.
— Mangeons rapidement et surveillons la zone. Quoi qu’il arrive nous devons obtenir ces places. C’est clair pour tout le monde ?
Zeph entrechoque son poing au mien et les filles hochent la tête.
J’attrape mon plateau, le remplis et m’installe à une table qui me permet d’avoir une vue d’ensemble. Lana s’empresse de s’installer à ma gauche. Lyra prend place en face de Lana et Zeph de moi. L’ambiance pesante et tendu du réfectoire sature l’air. Il ne reste que trente minutes avant la dead line et pourtant la zone reste toujours aussi vide. J’ai remarqué que certains s’étaient sensiblement rapproché l’air de rien. Il y a de tout. Des mecs et des femmes déterminés avec une soif de sang dans le regard, d’autres plus réservés mais avec cette même hargne les animant. Et enfin ceux qui transpirent à grosses gouttes et qui se posent trente-six milles questions sur la meilleure décision à prendre. Je ne pense pas que nous appartenions à l’une de ces catégories. Pour nous tous c’est une question de survie. Néanmoins, pour moi, chacun d’entre eux n’a plus grand-chose d’humain. Ils sont passés du stade de l’Homme à celui d’animal. Un truc qui se décèle dans le regard quand on prend la peine de vraiment observer. Je ne nous pense pas spécialement supérieur. Je dirais que nous, nous n’avons pas encore abandonnés et baisser les bras. Alors qu’eux, c’est fait depuis un moment.
Je termine mon plateau et bois mon verre d’eau d’une traite en avisant l’heure : 19 : 53. Bon et bien c’est parti. Personne ne s’est encore décidé à sauter le pas bien que les rangs se soient resserrés autour. Pas de problème, tant qu’il y a 4 places pour nous je m’en tamponne de savoir qui va participer. Bien que je doive avouer que me faire une idée des bougres qui participerons avec nous à l’avance m’aurait arrangé. Quoi qu’il en soit. Personne ici n’a assez de couilles. Je me lève et embrasse les membres de ma famille du regard.
— Il est temps de se bouger le cul si on ne veut pas rater nos tickets d’entrée !
Chacun opine du chef et se lève.
En tête de notre petit cortège je bouscule les connards qui ne bougent pas assez vite de mon chemin. Ils grognent et m’assassinent du regard, je leur rends au centuple. Arrivé en bordure de zone, je défie quiconque de venir nous chercher des noises. Nous franchissons la ligne de délimitation et donnons nos immatriculations aux gardes en faction. Derrière nous, ça chuchote et le mouvement se met en place. Il ne leur fallait que ça, un leader qui prendrait les devants.
— Matricule et tendez votre bras gauche, beugle les gardes.
— 16032366, j’énonce mécaniquement.
Elle pianote sur sa tablette, me saisit le bras et enfonce sans douceur aucune une seringue dans mon biceps. Je mets toute ma verve à son encontre dans mon regard. La gardienne me calcul à peine, si ce n’est pas du tout et me fait passer derrière une seconde ligne avant d’enchainer avec mes comparses.
Le même manège se poursuit jusqu’à ce que les 24 participants soient passés sous la seringue de la très aimable gardienne du doux nom de Cherry. Nom que je m’empresse de compartimenter dans mon tiroir « compte à régler ». Moi ? Rancunier ? Nullement. Un tantinet chatouilleux peut-être à la rigueur mais pas plus. Le visage fermé et inexpressif la gardienne nous indique de la suivre elle et ses collègues. Par mesure de sécurité – la bonne blague – nous sommes tous menottés avant de quitter le réfectoire. Nous passons par une succession de couloirs familiers avant de nous engager dans une aile où nous n’avons jamais mis les pieds. Bien sur le décor est le même partout, murs et sols gris ternes, des lucarnes avec barreaux en guise de fenêtre et des gardes postés ici et là. Pas de quoi être dépaysé en somme.
Cherry s’arrête devant une porte à double battant, se penche pour chuchoter quelques choses aux gardes en faction qui s’empressent de l’ouvrir. Nous pénétrons à l’intérieur de ce qui semble être une salle de réunion. Une immense table rudimentaire en forme de U trône au milieu et des chaises sont installées tout autour. Cherry nous intime de nous asseoir et d’attendre dans le silence. J’entends derrière moi quelques-uns qui grognent avant de se prendre des coups de matraque pour les faire taire. Charmant.
Le masque de Cherry se fendille légèrement en un rictus de satisfaction qui me donne envie de lui retirer dans la seconde. Je n’aime pas particulièrement les autres volontaires mais ce n’est pas une raison pour jubiler devant de la violence gratuite. Aussi, mon envie de lui refaire le portrait – femme ou pas – me démange sérieusement. Une ordure est une ordure, quel que soit l’apparence que celle-ci revêt. L’équité à tous les niveaux. Je m’affaisse lourdement sur la chaise qui grince sous mon poids en signe de protestation et je serre les dents. Un coup d’œil à ma droite pour m’assurer qu’aucun de mes frères et sœurs ne se soient fait tabassés. Ils connaissent nos règles donc je n’ai pas à m’inquiéter là-dessus, mais sait-on jamais.
Nous sommes tous assit, nous dévisageant un par un en chien de faïence. Je détail rapidement les 20 autres participants. Une majorité de femmes sont présentes, bizarrement ça ne m’étonne pas. Ici il faut en avoir une sacrée paire pour survivre à l’enfer carcéral, si elles sont trop douces elles ne font pas long feu. A moins de s’être attirer les faveurs de gars puissants et craints. Ce qui n’arrive quasiment jamais. Pour avoir atterrie ici, il faut principalement vivre dans le square et quand on vient de là-bas il faut déjà être aussi dur et solide que la maïkarite si on veut espérer voir le lendemain. D’où le fait que les femmes d’ici sont principalement plus couillus que les gars eux-mêmes. C’est bien.
Onze femmes pour neuf hommes. Je reconnais quelques personnes que j’ai côtoyé dans le square ou à qui j’ai eu affaire pour diverses raisons au sein de l’enceinte. Les autres je les ai aperçus succinctement au détour d’un couloir, sans plus. En théorie nous ne sommes pas censés être en compétition avec les uns et les autres mais au contraire nous serons sûrement amenés à devoir coopérer. Pourtant, une certaine tension émane des uns et des autres qui n’augure rien de bon.
Les doubles battants s’ouvrent à la volée, coupant court à mon analyse, et laisse entrer un homme en costume cravate anthracite bien propre sur lui. Ma bouche se tord dans un rictus de dégoût lorsque je reconnais cet homme comme étant le sacro sain fils de pute Swenn. Le dos bien droit, le menton haut, il ne s’embarrasse pas des politesses d’usages ou ne nous accorde même un regard. Il se prend pour le maître du monde et ça m’horripile carrément. Je serre les poings jusqu’à ce que mes jointures blanchissent. Mon sang bouillonne dans mes veines et mon envie de lui coller la râclée de sa vie me tord les tripes.
J’espère qu’il sent sur lui le feu brûlant de mon regard meurtrier alors qu’il fait le tour, sereinement et s’avance jusqu’au pupitre à l’extrémité du U. Il adresse un sourire à Cherry dont les joues s’empourprent et pose enfin les yeux sur nous. Il nous détail, nous scrute, nous analyse. Je pourrais presque voir les rouages de son cerveau s’actionner. Le sourire dentifrice qu’il nous adresse à toutes et à tous pourrait presque m’aveugler si je ne voyais pas aussi rouge.
Il ménage un petit effet avant de s’emparer d’une petite télécommande et d’activer le panneau numérique. Une vue satellite de la Citée et du territoire alentour apparait. Il passe une main dans ses cheveux blonds gominés avant d’enfin s’adresser à nous.
— Bonsoir à toutes et à tous. Si vous ne m’avez pas reconnu, je suis le président du conseil, Swenn. Je ne pense pas avoir besoin de vous réexpliquer les raisons de votre venu ici. J’ai ouïe dire que vous étiez tous volontaires et vous m’en voyez ravi. Aujourd’hui est un grand jour pour nous tous. Une nouvelle ère s’offre à nous et avec elle la possibilité d’enfin récupérer les terres qui nous appartiennent.
Il se tourne vers la carte et pointe certaines zones.
— Nous avons décidés de vous séparer en quatre groupes de six afin de ratisser la zone le plus largement possible. Une équipe au nord, une au sud, une à l’ouest et la dernière à l’est. Ainsi nous arriverons à quadriller un maximum de territoire tout en s’assurant de ne rien oublier. Un oubli serait fort malheureux, juge-t-il bon d’ajouter d’un ton pince sans rire.
Swenn appuie sur la télécommande et fait défiler les quatre points de départ des équipes. La porte nord et la porte sud accueillerons deux équipes dont l’une devra atteindre l’ouest ou l’est selon un trajet bien défini.
— Comme indiqué sur le communiqué nous ne vous laisserons pas partir sans rien. L’objectif est clair : vous devez pouvoir vous orientez, prendre des notes, des mesures et avant tout autre chose être en capacité de revenir. Ou pas. C’est vous qui voyez, cependant, il n’est pas dans votre intérêt de faire pareille hérésie, ajout-il en dardant un regard suffisant à chacun d’entre nous.
Sourire dentifrice, puis image suivante.
— Ceci dit… nous avons omis un objectif sur le communiqué. En effet, notre projet bien qu’annoncé en toute transparence à nos très chers concitoyens, nous ne pouvions pas tout dire. Vous serez également chargé de braconner.
Le silence lourd de sens jusque-là est subitement remplacé par une succession de murmures interpellés. Il vient vraiment de parler de braconnage ? Qu’est-ce qu’il entend par là ? Et surtout, que s’attend-t-il à ce que l’on braconne ? Honnêtement, cette histoire empeste à plein nez ! Un frisson glacé s’aventure le long de mon échine et je redoute le pire.
Swenn, visiblement agacé d’avoir été interrompu échange un regard avec Cherry qui sort de sa transe énamourée et sort son fouet et nous hurle de bien vouloir fermer nos gueules. En toute sympathie bien sûr. Le poids de la menace de son fouet électrique suffit à arrêter les bavardages. Fière d’elle Cherry se tourne vers le président un sourire de jeune vierge effarouchée plaqué sur le visage en attente de compliments ou de remerciements. Elle se heurte au dos du président qui reprend comme si de rien était. La moue de dépit sur le visage de Cherry est pour moi d’une satisfaction incroyable. Bien fait pour cette garce.
— Notre objectif est de sécuriser la zone et de vérifier que plus aucun danger ne nous menace. Cependant, nous ne sommes sûr de rien en ce qui concerne les monstres. Nous partons du principe que le danger n’est pas encore totalement écarté.
Je sens Zéphir se crisper sur sa chaise et les filles retenir leurs respirations.
— Néanmoins, notre captivité à assez durée. C’est pourquoi, si d’aventure vous deviez tomber sur un des monstres, nous vous donnons pour mission de le ramener. Mort ou vif. Vif de préférence afin de pouvoir faire des expérimentations dessus afin de les exterminés une bonne fois pour toute.
— Vous nous envoyez là-bas pour crever en fait !
— On est censé faire comment ?! Les amadouer avec des petites fleurs !
— Vous êtes un putain d’enfoiré de malade mental mal embouché !
Plusieurs volontaires s’insurgent et se lèvent en criant leur haine à notre cher président.
Ni une ni deux, Cherry fait virevolter son fouet pour corriger les dissidents qui crient non plus de haine, mais de douleur. Une odeur de cochon griller charrie jusqu’à mes narines. Une femme, Vivy je crois, s’effondre sur sa chaise, une autre, Yolène, continue d’être secouée de spasmes et un gars se prend des coups de matraque en supplément. Je jette un coup d’œil à Zéphir. Il a le visage dur et contracté. Je sens d’ici sa tension et la bataille qu’il mène pour ne pas réagir et faire comme si de rien était. Les filles restent bien droites sur leurs chaises et manient à la perfection le poker face. Je suis fier d’elles. Un mouvement attire mon attention vers Swenn qui se penche vers Cherry.
— Il me les faut en état pour demain. Hors de question d’organiser un autre briefing.
— Oh mais oui bien entendu monsieur le président ! Edward ! Pernice ! hèle-t-elle les deux gardes qui arrêtent de s’acharner sur le bougre au sol et en sang avant de reporter son attention sur Swenn. Je vous assure qu’ils seront frais comme des gardons !
Il hoche la tête et reprend son speech comme si une femme n’était pas inconsciente, l’autre en pleine crise spasmodique et qu’un homme ne se vidait pas à moitié de son fluide vital.
— Vous serez équipés en conséquence. A chaque groupe ne sera donner qu’une seule arme à balles réelles. Toutes les autres seront munies de flèches hypodermiques. Notre objectif est que vous rameniez des sujets vivants. Nous ne pourrons malheureusement pas vous tracer à plus de 5 kilomètres autour de l’enceinte de la Citée. Après la végétation bloque les signaux. Cependant, vous serez muni d’une balise qui s’activera une seule et unique fois. Vous devrez l’utiliser après avoir capturer un monstre afin que nous puissions venir l’extraire. Ces balises sont extrêmement précieuses. Nous en avons peu en stock et c’est le seul moyen de vous retrouver. Tout le matériel vous sera fourni demain et une formation courte vous sera donné. Votre mission est cruciale. Des questions ?
Un silence de mort règne dans la salle. Chacun se demandant si nous avons réellement le droit de prendre la parole ou non. La menace du fouet de Cherry plane sur nos têtes ainsi que la perspective de finir comme Vivy et Yolène. Pourtant, Swenn semble réellement attendre, aussi, Derek se lance.
— Comment on est censé reconnaître les monstres ?
Question qui peut paraitre bête mais tellement juste, nous ne connaissons rien de ces monstres, ni leurs apparences, ni leurs caractéristiques. Rien. Nous connaissons simplement les ouïes dire transmit de génération en génération. Elles n’ont jamais été prises en photos, si ce n’est la tentative de clichés avortés. Rien de concret. Nous allons réellement en terrain inconnu.
— Ne vous en faites pas pour ça. Vous les reconnaitrez quand vous les verrez.
Derek contracte la mâchoire et lance un regard plein de mépris au président. Je peux lire dans ses yeux la manière dont il aimerait mettre en pièce le costume cravate. Nous partageons tous cette envie, c’est indéniable. Peut-être, un jour viendra où la balance penchera en notre faveur. Si ce jour arrive, je promets que je saurais me servir de cette opportunité à bon escient.
Plus personne n’ouvre la bouche. Il ne répondra pas franchement à nos questions, alors à quoi bon ? Il nous l’a proposé pour la forme, parce qu’il n’a clairement aucune intention d’y répondre. C’est un vrai fumier de la pire espèce !
— Bien. Puisque toutes les informations nécessaires au bon déroulement du programme ont toutes été données. Je n’ai plus qu’à vous souhaiter d’être productif sur le terrain.
Sourire dentifrice avec juste ce qu’il faut de suffisance pour augmenter encore d’un cran notre rogne et nos envies de meurtres. Il adresse à peine un regard à Cherry qui manque de défaillir puis s’en va avec ses gorilles qui patientaient sagement derrière les portes. Les chuchotements caractéristiques de la fin d’un discours ne viennent pas. La tension qui règne encore est trop importante, trop étouffante. D’autant que Vivy n’a toujours pas reprit connaissance. Yolène quant à elle est prostrée sur sa chaise. Ces deux femmes d’ordinaires coriaces ont réussi à être rabaissée à l’échelle de vulgaires cloportes. Le type sanguinolant use de ses dernières forces pour fusiller du regard Cherry qui n’en a cure. Trop effondrée de constater que le président n’a que faire d’elle. Petit rictus de mon côté, à peine visible.
— Bien, commence Cherry alors que les portes se referment sur costard-cravate. Vous allez tous intégrer des cellules proches des portes d’extractions pour cette ultime nuit chez nous et pour les trois prochains mois. Nous vous conseillons de vous tenir à carreau et de vous reposer afin de ne pas décevoir le très honorable président Swenn. Tenez-vous prêt à l’aube. Edward ! Pernice !
Les gardes rappliquent comme de fidèles toutous suivit de renfort et nous embarques par groupe des six.
Un nouveau jour nous attend.
Une nouvelle vie.
De nouvelles épreuves à surmonter à la force seule de notre volonté et de notre détermination.
Qu’est-ce qui va bien pouvoir nous attendre au-delà des portes ?
Continueras-tu de veiller sur moi de là où tu te trouves ?
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