Chapitre 3

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Soen

[29 Février 2420 – Citée Sehuenpiri]

— Avis aux citoyens, commence la voix robotisée sortant des hauts parleurs extérieurs. Le très honorable président du conseil va faire une annonce capitale. Veuillez cesser toutes activités et rester très attentifs à l’annonce qui va suivre.

Le grésillement caractéristique de la fin du message se fait entendre.

Le brouhaha qui règne depuis quelques instants dans la cellule continue comme si de rien était. Pas que les déblatérations du conseil m’importent d’une quelconque façon, cependant c’est une distraction comme une autre. Je me redresse sur ma couchette en piteux état et m’approche de la lucarne condamnée par des barreaux. Je jette un œil à l’extérieur. Le silence règne. Le contraste est saisissant. Le peu de personnes que j’arrive à distinguer ont les yeux rivés sur les hauts parleurs et chuchotent. Je plisse légèrement les yeux. Qu’est-ce que le conseil va bien pouvoir balancer pour qu’il y ait une telle tension dans l’atmosphère ? Si même moi j’arrive à la sentir, c’est que ça pu sacrément ! Intrigué, j’intime aux autres de la fermer. Ils grognent mais obtempères en ruminant.

L’hymne de la Citée retenti à travers toute la ville avant que le président ne prenne la parole.

— Chers citoyens, chères citoyennes. Le conseil et moi-même vous remercions pour votre attention. Aujourd’hui est un jour à marquer d’une pierre de maïkarite. En effet, il a été voté à l’unanimité une décision majeure pour notre avenir à toutes et à tous.

Il ménage un silence qui m’hérisse le poil.

Je n’ai aucun mal à imaginer la foule des riches amassée devant le bâtiment du conseil. Tous bien habillés et parés des matières les plus précieuses, pendues aux lèvres de ce connard de président Swenn. Je me demande quelle connerie il a encore pu inventer. Maintenant que le conseil de vieux croulants est petit à petit remplacé par de jeunes vautours comme lui, il faut s’attendre à tout. Et surtout au pire. Je fouille dans ma mémoire et reprend le compte des conseillers. Merde. Ils sont passés en supériorité numérique il y a peu. J’attrape les barreaux et tend le cou le plus possible pour ne pas en rater une miette.

— Malheureusement, comme vous le savez toutes et tous. Cette année sonnera le 186ème anniversaire de la Citée. Cela fera 186 ans que nous sommes confinés. Parqués comme de vulgaires animaux !

Plusieurs citoyens se mettent à huer.

— Le conseil et moi-même avons donc décidés de prendre une mesure sans précédent. Nous avons mis au point le projet « Recolonisation » et allons le mettre en place dès le 1er Mars prochain. Le projet consistera à envoyer quelques groupes de personnes aux portes de l’enceinte afin de discerner si nous avons la possibilité de retourner vivre en dehors de nos murs. Selon nos calculs, les monstres qui jadis ont poussés nos ancêtres à s’enfermer devraient s’être éteints. Cependant, nous ne pouvons pas vous faire courir le moindre risque et nous nous devons de vérifiés que tel est bien le cas.

Je lâche les barreaux et recule la tête en fronçant les sourcils. Il a craqué ? Est-il devenu encore plus con ? Ses ambitions le perdront forcément. Personnes ne voudra jamais mettre un seul orteil en dehors des murs. De ce que j’ai entendu dire, même les plantes essaie de vous bouffer !

Je me détourne de la fenêtre. Aussi cinglé soit-il, rien de ce qu’il pourra continuer à dire ne me concernera. Pourtant, je n’ai pas fait un pas vers ma couchette que mon sang ne fait qu’un tour dans mes veines.

— C’est pourquoi, nous avons décidés de donner une chance à certains prisonniers de recouvrer leur liberté en intégrant le projet.

Mes poils se hérissent sur mes bras et je n’ai pas le temps de retourner à mon poste que les autres se bousculent à la lucarne en beuglant.

— Ils nous filent notre liberté ?!

— On va vraiment sortir de ce trou à rat !

— Putain c’est génial !!

Je les pousse et retrouve ma place initiale, l’oreille tendue plus que jamais.

— … devrons rester trois mois. Leur mission sera très simple : s’enfoncer au plus profond de la forêt et revenir sain et sauf le 1er Juin. Aussi serons-nous en mesure de déterminer la menace qui pèse au-dehors de la Citée et ainsi mettre en place de futurs travaux afin de recoloniser ces terres qui nous appartiennent.

Dehors des cris de joies explosent ici et là. Le peuple est en liesse fasse à l’annonce du président qui termine son allocution.

— Le conseil et moi-même vous remercions une nouvelle fois de votre attention. Nous vous promettons également un lendemain meilleur pour nos enfants !

L’hymne s’élève à nouveau avant de s’éteindre.

Un silence de mort flotte dans notre cellule miteuse. On pourrait entendre une mouche voler. Je relâche les barreaux que j’avais de nouveau agrippé sans m’en rendre compte. Mes phalanges sont blanches à force de les avoir serré comme un possédé. Je croise le regard de chacun des membres du groupe. Nous nous scrutons tous en chien de faïences, les visages graves. Quelques secondes s’écoulent avant que les premiers sourires s’esquissent et qu’ils beuglent de joie. Je me contente d’un rictus de travers. L’annonce de notre cher trou du cul de président a tout l’air d’un cadeau empoisonné. On nous agite la liberté sous le nez, mais à quel prix ?

Je retourne m’asseoir sur ma couchette où Shalana notre tornade rousse me scrute de ses billes noisette.

— Je ne sais pas ce qui se passe dans ta petite tête, mais tout me porte à croire que là-dedans ça tourne à plein régime.

On va vraiment sortir de notre trou à rat ?

Je passe la main dans mes cheveux qui commencent à devenir trop longs à mon goût et me contente de hausser les épaules. Pas plus avancé sur la question qu’elle.

Sa bouche pulpeuse se pince dans un pli sévère et ses sourcils se froncent. Je lis dans ses yeux une myriade d’émotions. L’étonnement, la joie, l’incompréhension, la peur. Tout se mélange et forme un voile sur ses yeux, je presse sa cuisse en relevant le coin de mes lèvres.

— On est obligé de rien Lana. Tu le sais ça ? Et puis, à tous les coups c’est simplement la dernière trouvaille du conseil pour faire du vide.

— Je… je… oui…

Elle bafouille, trébuche sur les mots et se mord les lèvres. Réflexe typique lorsqu’elle est nerveuse et tendue. Je cherche vainement quoi lui dire pour essayer de la rassurer, je suis vraiment mauvais avec les mots.

Lana agrippe mon t-shirt et enfoui le visage dans mon cou. Je ne réagis pas et affronte le regard de mes deux autres compagnons de cellule. Cherchant dans leurs yeux respectifs la réponse à nos interrogations silencieuses. Nous avons là une chance en or de sortir d’ici comme la souligner Lana. Cependant, cela me parait trop beau pour être vrai. Quelles sont réellement nos chances de nous en sortir, là, dehors ? S’ils font appel à nous c’est soit car ils ont trop peur des risques encouru ou bien soit car c’est seulement pour faire de la place. Leurs pronostiques ou pseudo calculs d’extinction des monstres elle sort d’où ? Quelles que soient les véritables raisons, on nous envoi clairement au casse-pipe. Pourtant, aussi fou et risqué que soit ce plan de merde, c’est peut-être bien la meilleure chance qu’on ait à porter de main de retrouver notre liberté depuis très longtemps.

Je fais part à la cantonade de mes réflexions.

— Sortir d’ici c’est nous exposer à une mort certaine, je conclus.

— Rester ici et mourir entre ces quatre murs c’est mieux ? demande Lana, d’une petite voix.

Elle n’a pas tort.

Nous sommes tous condamnés à calancher ici. Les voleurs du square qui s’attaquent aux riches n’ont strictement aucune chance de sortir d’ici, même pour bon comportement. Aussitôt sorti d’ici, nous n’aurions pas d’autres choix que de recommencer à voler. Dans cette prison c’est la mort à petit feu qui nous attend. Dans le square c’est un trépas encore plus lent qui nous attends. Au moins ici, ils sont obligés de nous nourrir et de nous donner le strict minimum pour notre toilette. Quant à l’extérieur de l’enceinte… c’est l’inconnu total. Accepter de faire partie de leur projet c’est accepter de se faire bouffer par la flore, la faune et peut-être même les monstres contre lesquels nos murs nous protègent. Un enfer contre un autre. Reste à savoir lequel est le pire.

Je relève les yeux vers mes amis et leur adresse mon meilleur sourire de situation de crise. Je balaye des yeux la pièce et encre mon regard dans chacune des paires d’yeux qui m’observent en attendant ma réponse. Malgré moi, je suis un peu leur référent en matière de décisions. Le leader d’une équipe soudée, le meneur d’une famille recousue de tous les côtés. Je me lève, obligeant par la même occasion Shalana à me suivre. Je tends mon poing au centre de la pièce et d’une voix grave annonce :

— On va l’obtenir notre liberté !

Zéphir, Lyra et Shalana frappent leurs poings sur le mien en exprimant leur volonté de se battre malgré la peur qui coule dans nos veines.

Une lueur de détermination mélangé à un autre sentiment trop fugace pour que je puisse l’intercepter illumine le regard noisette de Lana.

Des bruits de pas résonnent dans le couloir et se rapprochent de notre cellule avant de s’immobiliser devant. Allongé sur ma couchette, je me redresse sur les coudes, un masque d’indifférence plaqué sur le visage. Clétus ouvre la porte et nous toise de son seul œil valide. Petit cadeau de la part d’un des taulards après l’avoir salement provoqué. C’est un réel plaisir que de regarder son unique œil.

— Alors les vermines ? Il y en a qui sont dotés de couilles ici ? Les gonzesses peut-être ?

Je me redresse en grognant et me tient solidement campé sur mes pieds, les bras croisés sur le torse et le regard noir. Zéphir me rejoint et imite ma position. Nous nous dressons comme des remparts entre cet être abject et les filles.

Le garde renifle bruyamment avant de cracher son glaviot à quelques centimètres des filles qui ne reculent pas devant l’immondice. Elles le percutent de leurs regards remplient de haine. Je contiens mon rictus. Je suis fier d’elles. Hans derrière lui chuchote à son oreille, ce qui a le mérite de le calmer. Il nous balance une feuille de papier qui vient lamentablement s’échouer à mes pieds.

— J’espère que vous savez lire. Ça m’évitera de continuer à voir vos sales gueules tous les jours ! balance-t-il mort de rire avant de repartir en fermant la porte.

Un silence s’installe le temps que les bruits de pas s’éteignent.

Lyra quitte la couchette, vient ramasser la feuille, la défroisse et lit à voix haute.

A tous les prisonniers de la prison carcérale de Sehuenpiri,

Aujourd’hui est un jour spécial. Un tournant est actuellement en train de voir le jour. Le magnifique projet « Recolonisation » va voir le jour ce 1er Mars 2420. Pour réussir à mettre en place cet imminent projet qui nous permettra d’enfin ouvrir de manière définitive les portes de notre merveilleuse Citée, il nous faut votre collaboration. Chacun des volontaires devra donner entièrement de sa personne et démontrer son intérêt au projet. Pour ce faire, il nous faut 24 volontaires, que ce soit hommes ou femmes. Cependant, si nous n’avons aucune demande, un tirage au sort sera effectué sans aucune possibilité de retrait.

Les modalités du projet et les missions qui vous serons attribués durant les trois mois du projet sont détaillés ci-après.

Pour la réussite du projet vous devrez :

- Survivre aux trois mois en extérieur

- Vous enfoncez au maximum dans les tréfonds de la forêt

- Baliser et identifier les zones par lesquelles vous passerez

- Identifier et recenser la faune et la flore

- Identifier et recenser les dangers potentiels

Pour la réussite du projet vous aurez individuellement un sac à dos contenant :

- Un sac de couchage

- Une trousse de premier secours

- Des vivres

- Une boussole

- Un couteau suisse et de chasse

- Un kit de survie en pleine nature

- Un kit d’identification faune et flore

- Un kit de balisage

Pour la participation et la réussite de ce projet vous bénéficierez d’une relaxe totale, d’un effacement total de votre dossier, d’une restitution de votre liberté et de la possibilité de rejoindre directement les quartiers de moyenne classe. Ainsi qu’une reconnaissance de votre investissement pour le développement de la Citée.

Si vous êtes intéressés pour participer au projet, merci de vous manifester ce jour au réfectoire et d’attendre dans la zone délimitée à cet effet. Passé 20h et sans le bon nombre de candidats, le tirage au sort sera effectué et incontestable.

Lyra termine sa lecture et repose la feuille.

Les modalités sont claires et nettes. Nous avons de quoi survivre pendant ces trois mois. Il y a toujours moyens de les entourlouper et de ne jamais revenir bien évidemment mais pour quoi faire ? Rester dehors c’est se résigner à une mort inéluctable. Un bon moyen de s’assurer de notre retour avec leurs précieuses infos… J’espère quand même qu’ils comptent nous filer de quoi nous défendre contre les animaux et potentiellement les monstres ! Je suis pleinement conscient des risques et de nos faibles chances de nous en sortir. Cependant, je sais également que rester à croupir ici n’est pas une vie. Jamais nous ne sortirons pour bonne conduite. Notre seule chance est de nous évader et nous avons déjà essuyé beaucoup trop d’échec. Nous n’avons plus l’embarras du choix. Nous sommes des battants, c’est pour cela que malgré les risques que nous encourront à accepter de rejoindre leur projet, nous devons tenter le coup.

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