Prologue
Journal du Dr Hortense Prim
C’est fou. Complètement fou. Ou bien peut-être est-ce moi qui suis folle ? Non. Indéniablement que non ! Je ne perds pas la tête. Bien au contraire, je suis la scientifique la plus lucide que cette foutue planète n’ai jamais porté ! Je suis la seule à avoir assez de clairvoyance dans ce bas monde. Et grand Dieu qu’il va mal. Je n’en peux plus de le voir se déchirer sans pouvoir rien faire de significatif. Je n’en peux plus de voir ces imbéciles s’entre tuer pour un oui ou pour un non. Je n’en peux plus de voir tous ces cerveaux soi-disant brillants s’unir pour ne développer que la destruction massive de notre Mère la Terre. S’en est juste assez ! Quand vont-ils voir que l’essentiel est juste là sous nos pieds et qu’ils le détruisent sans vergogne ? Jamais sans doute. A moins que je ne change la face du monde. Non. Ce n’est pas le monde que je dois changer. C’est nous. Je dois réussir à faire ce que nul autre n’a encore jamais réussi à faire. Ni même essayer. Oui. Je dois le faire.
[… ]
[Printemps – 2135] Je me suis beaucoup renseignée ces derniers temps. Mon cerveau est en surchauffe 23h sur 24h. Et encore, je doute qu’il se repose vraiment lorsque je m’accorde une petite sieste d’une heure. Je ne cesse de me triturer les méninges pour trouver LA solution qui sera notre rédemption à tous. Enfin, je pense surtout que pour nous s’est fichu mais qu’il y a une chance pour que les générations futures soient mises sur la bonne voie dès la naissance. J’en suis intimement persuadée. C’est bel et bien fichu pour nous. Mais pour eux il y a un espoir ! Je dois juste continuer de chercher. Le temps est précieux et il s'écoule malheureusement à une vitesse hallucinante. J’ai peur de ne pas réussir à suivre la cadence. Pourtant je le dois. Du haut de mes 27 ans, j’ai une équipe du tonnerre. Je ne sais toujours pas comment j’ai fait pour les trouver. Des génies, des surdoués, comme moi. Mais qui plus encore, partagent mes idéaux. En tout cas même s’ils me trouvent un peu allumée, ils n’en laissent rien paraître et me suivent sans jamais me contredire. Je me fais souvent penser à une mère qui donnerait des indications à ses enfants. C’est glauque, on a tous quasiment le même âge !
[… ]
Nous touchons au but… j’ai eu une idée cette nuit alors que je relisais inlassablement mes notes, mélangées (je l’avoue) à mes romans qui m’aident à garder un pied avec la réalité. Je pense avoir enfin trouvée la solution à tous les maux de notre Mère. Avec l’évolution nous nous sommes écartés du droit chemin. Nous nous sommes éloignés de tous les fondamentaux. Avec l’évolution nous avons bafoué notre véritable nature. Avons détruit l’harmonie que nous entretenions jadis. Je vais corriger le tir. Je ne sais pas encore comment nous allons y arriver avec mon équipe mais nous trouverons une solution. Et si nous n’y arriverons pas, faute de temps ? Je formerais personnellement les personnes qui prendront ma relève. Oui. Ce projet est beaucoup trop important pour s’éteindre avec moi. Il en est tout bonnement HORS DE QUESTION. Enfin bon. Pour l’instant, je dois peaufiner mon idée avant de la leur exposer. Tout doit être millimétré. Parfait.
[… ]
[Hiver – 2138] Bon sang. Cela fait 3 ans que nous travaillons à l’élaboration de l’ADN parfait. Nous sommes toujours au point mort. J’ai envie de tout envoyer valser. Je ne comprends pas pourquoi nos 10 cerveaux réunis dans un seul et même but et dans une cohésion parfaite n’arrivent pas à trouver la solution. Je ne dormais déjà pas beaucoup de nature. Mais maintenant ? Seul mes nerfs et la caféine me tiennent éveillés. De micro-siestes. Du café et c’est reparti. Depuis combien de temps ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je crois que je perds à moitié la tête. Pourtant il ne faut pas. Je dois mobiliser toutes les capacités surdéveloppées de mon encéphale pour parvenir à résoudre le problème de l’équation. Pas moyen. Nous avons tout essayé. Plusieurs fois. Sous tous les angles possibles et imaginables. Quelque chose bloque irrémédiablement. Pourquoi bordel ?!
[… ]
Est-ce que mon projet serait voué à l’échec depuis le début ? Avant même de germer dans mon esprit ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. J’ai envie de tout envoyer paitre et en même temps, je sens dans le plus profond de mes tripes que je ne dois pas le faire. Je ressens jusque dans ma moelle que je dois poursuivre. L’équipe me voue une confiance aveugle. Pourtant je sens que du côté de Ravière et d’Edonis, il y a quelque chose. Un « truc » que je n’arrive pas à identifier et qui perturbe tout le groupe. Ils ne sont pas à 100% dedans. Je devrais les blâmer. Je dois les blâmer et les faire rentrer à nouveau dans les rangs. Je dois être plus qu’un leader. En cohésion avec mon projet, je dois être leur alpha.
[… ]
[Eté – 2147] Nos recherches avancent enfin ! Grand Dieu je n’y croyais plus. Voilà quasiment 12 ans que nous nous sommes lancés à cerveaux perdus dans cette idée. Malheureusement, nous avons été freinés par les dissidents… par tous ces chieurs politiques, ces écolos qui gueulent vouloir sauver la planète et qui au final ne font que ça : gueuler. MOI je VEUX et je VAIS changer le monde. R.A.D.I.C.A.L.E.M.E.N.T. Et ça n’est pas une promesse en l’air. Enfin bref, ils m’ont à peu près tous emmerdés moi et mes cerveaux. Nous n’avions pas besoin de ça… et en même temps si. Car nous avons désespérément besoin de financements, de subventions. Mais comment se faire subventionner un projet dont nous ne parlons pas ? Impossible. Mon projet doit être tenu secret. Il ne devra être révélé qu’en temps voulu. Comme un bébé que l’on couve pendant 9 mois en son sein. Le mien se fait amplement désirer au bout de 12 ans mais qu’importe. Qu’il mette encore 20 ans il finira par voir le jour ! Et ce jour-là… pour eux…il sera trop tard.
[… ]
[Automne – 2152] 44 bougies. Je ne fête jamais mon anniversaire. Enfin. Je ne le souhaitais jamais. Mais aujourd’hui j’ai décidé de m’offrir un cadeau de moi à moi. Une apprentie. J’ai mis du temps à la dégoter. Elle est jeune, fringante, pleine d’ambition (tout du moins elle le sera). Et surtout : elle a un cerveau égal au mien ! Je ne pensais pas que cela serait possible à trouver. Surtout ne venant pas de moi. Ai-je eu beaucoup de chance ? Est-ce le destin qui la mise sur ma route ? Qu’importe. Elle est là et c’est tout ce qui importe. Je lui ai fait passer plusieurs tests. Elle y est réceptive. Au-delà de mes espérances si je puis dire. C’est incroyable… surtout sachant d’où je l’ai tirée. Un petit pays insignifiant dont je n’ai même pas retenu le nom. Ça n’a strictement a-u-c-u-n-e valeur. Je la façonne. Elle sera la base de tout. Un esprit jeune. Malléable. Déjà trop intelligente pour se laisser totalement berner mais suffisamment juvénile et influençable pour aiguiller mes recherches. Recherches qui part ailleurs avances bien. J’avais raison de supposer que Ravière et Edonis avaient un impact négatif sur nos recherches. Depuis que je m’en suis débarrassé tout va mieux et nos travaux progressent à vitesse grand V ! Voilà depuis bien longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi exaltée ! Que c’est excitant !
[… ]
[Eté – 2171] Nous sommes proches du but. Après tant d’année à trimer nous voilà enfin devant les portes de l’autre côté. Je n’aurais presque qu’à tendre la main pour pouvoir le toucher ! Je m’emballe… mais j’ai rêvé de ce moment toute ma vie durant ! 36 ans déjà et la consécration est… là. Quasiment. Les éprouvettes sont viables. Sont stables ! Bon sang ! Je suis bien obligée de reconnaitre que je n’y croyais presque plus… ça me déchirait le cœur. Mais qu’importe ! Ils sont là, bien au chaud dans leurs cocons en verres. Mon projet de fusion animal va enfin voir le jour de manière concrète. Cependant, je ne peux m’empêcher de ressentir un mauvais pressentiment. Quelque chose remu dans le plus profond de mes entrailles. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Je place donc tous le restant de mes maigres espoirs dans ma petite protégée. Dieu que cette jeunesse, que cette énergie de ma vingtaine me manque ! Tout de cette époque me manque. Nous ne sommes plus que 5 cerveaux. Bien entendu je n’inclus pas ma précieuse. Bénédiction ou malédiction que d’être doté d’une si grande intelligence ? Je pense que je ne saurais jamais. Je ne verrais sûrement jamais de mes propres yeux ce pour quoi j’ai consacré ma vie. Je suis tout de même heureuse. Elle accomplira de grande chose. Elle mènera à bien ce projet pour lequel je me suis battue corps et âme. L’âme… si complexe et si indomptable… quoi que ?
[… ]
[Hiver – 2178] C’est la fin. Je sens les serres de la faucheuse s’arrimer à mes os et commencer à me tirer vers l’autre monde. Je ne veux pas. Je ne peux pas. Pas si proche du but ! Pas si proche de voir enfin la consécration de mes efforts. Mes 27 ans… Ma folie. Ma passion. Ma jeunesse. Mes ambitions. Ma soif de donner un visage nouveau à cette Mère décrépie qui n’a de cesse de se mourir. Aujourd’hui, je le sais je vais rejoindre une partie d’elle-même. Je vais retourner d’où je viens. Je n’ai pas peur. La seule peur que je puisse éprouvée et que je n’ai jamais éprouvée est celle de voir tout mon projet partir à va l’eau. J’ai toute confiance en ma précieuse. Pourtant j’ai ce goût amer collé au palais. Il faut vraiment qu’elle y parvienne. Je n’ai pas fait tous ces sacrifices pour rester au point mort. J’arrive en bout de course. Quelque chose continu de clocher avec l’ADN. Depuis notre presque réussite, nous n’avons engendré que des monstruosités que même Mère nature n’aurait pas voulu. Je continue de m’accrocher de toutes mes forces à l’espoir. L’espoir ne m’a jamais quitté. Mais je dois bien me rendre à l’évidence. L’espoir seul ne suffit pas. J’ai si froid. Froid de mes échecs. De ma vie d’échecs. Je pars tout de même heureuse. J’ai toute confiance en ma petite. Une peur subsiste ceci dit. Ne va-t-elle pas s’éloigner du chemin pour lequel je l’ai façonné ? Faite que non Mère.
Annotations
Versions