Chapitre 6

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Soen

[1 Mars 2420 – Citée Sehuenpiri]

Perdus. Paumés. Largués. Sont autant de synonymes que de descriptions en deçà de la réalité à laquelle nous sommes actuellement confrontés. Le Hummer nous a déposé a environ 5 kilomètres de la porte sud avant de se barrer fissa. Cela fait bien dix bonnes minutes que nous sommes plantés au même endroit. Lana qui regarde désespérément dans la direction qu’on prit les gardes. Lyra absorbée par tout ce qui l’entoure. Les autres déjà munis respectivement de la boussole, de la carte, des instructions et de fusils hypodermiques. Moi, je suis là, les bras ballants dirait-on. L’adrénaline et la surprise commencent doucement à refluer dans mes veines et il me faut quelques instants pour me reprendre. Je dois être parfaitement calme et rationnel avant de prendre la moindre décision.

Fait n°1 : nous sommes bel et bien largués au beau milieu de la jungle.

Fait n°2 : nous ne sommes pas en plein rêve ou paranoïa collective.

Fait n°3 : il n’y a pas l’air d’avoir de danger imminant.

Fait n°4 : il fait une chaleur moite étouffante.

Fait n°5 : la végétation paraît étouffer tous les sons environnants.

Fait n°6 : à y regarder de plus près il y a l’air de n’y avoir pas le moindre bruit.

Fait n°7 : les autres ont l’air de plus ou moins bien gérer la situation.

Fait n°8 : nous devons profiter qu’il fasse jour pour avancer et créer un premier campement.

Je me secoue les puces et rejoins les autres pour étudier le plan.

— Il serait judicieux de partir dans cette direction, affirme Lana en indiquant un point sur la carte.

— Pourquoi pas ? Ça nous laisserait de quoi balayer la zone et de quoi prévoir du temps pour le montage du camp, renchéri Zéphir. T’en penses quoi So’ ?

Je les dévisage tour à tour, regarde l’itinéraire qu’ils envisagent de suivre et opine.

— Ça me paraît pas mal. On décolle. Inutile de rester plus longtemps ici, on doit être mobile.

Lyra se relève et nous rejoins en trottinant. Nous finissons de nous mettre d’accord et nous nous mettons en route. Lili s’empare de la tablette d’identification ainsi que du kit d’échantillonnage. Zéphir lui sert de garde du corps rapprocher. Tic et Tac comme j’ai surnommé les deux lurons qui ont complété notre équipe, se chargent du balisage et de la surveillance. Lana et moi nous occupons du chemin à suivre et de la sécurité de notre groupe. Fusil hypodermique pour elle et moi le fusil à balles réelles ainsi que les armes blanches, tel que la machette pour déblayer le passage.

Sur le chemin, en plus de scruter les alentours pour repérer la moindre source de danger, je me prends à essayer de déchiffrer mes comparses. J’avoue ne pas réussir à analyser totalement mes potes et Tic et Tac. C’est suffisamment rare pour que je le souligne. Les mecs sont fidèles à eux-mêmes, les visages durs, impassibles et efficaces dans leurs tâches. Je soupçonne Lyra de se jeter corps et âme dans la partie scientifique du programme afin de ne pas péter les plombs face à la dangerosité de notre situation. A moins qu’elle ne soit complètement hermétique au danger qui nous guette. Impossible pour moi de trancher sur la question. Evidemment, je n’irais pas lui poser la question Son choix de faire équipe avec Zeph n’est donc pas étonnant, ils ont un truc tous les deux. Ils ne sont pas ensemble. Cependant, ils agissent l’un sur l’autre, depuis le premier jour.

Et enfin, il y a Shalana qu me laisse quelque peu perplexe. Je n’arrive pas à la déchiffrer non plus. Son humeur est tellement changeante que j’en ai presque le tournis lorsque je me pause pour y réfléchir cinq minutes. Entre hier et aujourd’hui elle est passée par le calme, la douceur, la peur, les larmes, la colère et enfin la rage de vaincre. Cela ne fait pas si longtemps qu’elle a rejoint notre petit groupe. Néanmoins elle s’est très vite intégrée et nous nous sommes pas mal rapprochés. Surtout physiquement. Etant un handicapé des sentiments je ne peux pas offrir plus que ma protection et ma loyauté. Ils sont ma famille, je donnerais ma vie pour eux. Mais émotionnellement parlant, c’est compliqué.

Vingt ans que Zéphir et moi sommes meilleurs potes. Dix-sept ans que Lyra s’est à son tour greffé à la famille. Moins de dix ans pour Lana. Je suis capable de me remémorer les moindres détails de mes rencontres avec eux. Je ralentis le pas et au même moment Lyra pousse plusieurs glapissements aigus. Pas le temps de réfléchir. Tous mes instincts en mode automatique, je me précipite dans sa direction, le fusil armé et prêt à faire feu ; Lana, Tic et Tac en font autant. Nous arrivons près d’elle et fouillons les recoins du périmètre des yeux. Le cœur battant la chamade, la respiration lourde et les mains crispées sur la gâchette. Nous l’encerclons, tendus et aux aguets. Rien. Seuls les glapissements que Lili continue de pousser résonnent. Je me tourne et me penche vers elle.

— Hey… qu’est-ce qui se passe ?

Elle me fait face, ses grands yeux bleu brillant.

— Oh… Soen… C’est incroyable ! glapit-elle en me fourrant dans les mains la tablette, me faisant lâcher le fusil. Regarde !

J’écarquille les yeux et les baisses sur l’écran. Un message y est inscrit en rouge : « Inconnu ». Je la regarde à nouveau sans comprendre. Ses yeux pétillent et étincelles d’une lueur de joie qui ne les a pas habités depuis très longtemps.

— Tu veux bien nous expliquer où est le danger ?! gronde Lana toujours sur ses gardes. Avec des mots, s’il te plait !

— Mais non ! Il n’y a aucun danger. Les gars regardez, c’est juste incroyable, phénoménal même ! On est à moins de dix kilomètres de la Citée et pourtant on tombe déjà sur des espèces inconnues. Ou du moins non répertoriées, s’excite-t-elle.

Cinq paires d’yeux se posent sur Lyra. Deux bouillent de colère, deux autres s’illuminent de soulagement et la dernière, la mienne, s’emplie de lassitude avant de se durcir.

— C’est incroyable ça Lili, lui chuchote Zeph.

Tic et Tac se barrent pour retourner à leur poste initial. Lana prend un peu de champ.

Moi, je pense nager en plein délire. Cependant, je préfère ne pas relever. Je lui rends sa tablette.

— Je ne sais pas dans quel monde ton cerveau c’est barré pour supporter toute cette merde, mais il va falloir que tu reviennes un minimum parmi nous et fissa, je gronde d’une voix douce mais ferme. On est largué dans une putain de jungle qui veut notre mort à chaque coin de fougère. Ici le trépas nous guette et nous devons redoubler de vigilance si on veut rester en vie. Si l’un de nous pousse le moindre cri, c’est car il y aura un réel danger. C’est bien compris ?

Son expression joyeuse se terni sensiblement et devient grave au fur et à mesure de mon monologue.

— Je suis désolée Soen… je… je me suis laissée emporter par l’excitation de découvrir ces espèces et… je n’ai pas réfléchis. So’… pardon.

Je pousse un long soupire, passe la main dans mes cheveux et lui jette un regard lourd de sens.

— Putain tu fais chier Lili.

Je délaisse mes mèches pour les siennes, attire sa tête sur mon torse et la laisse m’enlacer. Son QI supérieur à la moyenne est à la fois une bénédiction et une malédiction. Devoir s’adapter à chacun des membres de cette famille pour les conserver sur le droit chemin est un travail de tous les instants. Je l’étreins avec vigueur quelques secondes avant de la relâcher. Elle me sourit et retourne auprès de Zéphir et ses plantes. Je croise son regard noir. Tant pis. Il faut savoir être ferme avec elle. Sa vie est bien trop précieuse.

Je m’éloigne de quelques pas et les observe. Ils sont tous occupés afin d’éviter de penser à notre situation. Je sors la boussole et consulte la carte numérique assez peu fourni. Cela fait un peu plus de trois heures que nous sommes lâchés dans la nature. Nous avons avancé de (X) kilomètres. Ce qui nous fait (X) kilomètres de distance de la Citée. Ok.

— Tu penses en avoir pour combien de temps ? je demande à Lyra.

— Hum… si je suis le protocole indiqué… ça va me prendre plusieurs heures. Rien que dans cette zone il y a trois espèces inconnues.

Je hoche la tête et pars retrouver Tic et Tac.

Je m’approche doucement dans l’optique de ne pas faire trop de bruit. Les deux me tournent le dos et sont en train de discuter. Tic détache sa masse de cheveux blonds qui vient cascader dans son dos. Elle passe ses doigts dans ses mèches lisses et les triture. Tac passe son bras autour de ses épaules et dépose un baiser sur son crâne. J’ai la sensation d’être un voyeur qui fait irruption dans leur intimité. D’être de trop. Pourtant, à aucun moment je songe à revenir plus tard ou bien à signaler ma présence. Je tire une certaine satisfaction à les épier de la sorte. L’adrénaline à l’idée de me faire surprendre coule dans mes veines et me grise. Je me cale contre un arbre et me greffe insidieusement dans leur conversation.

— Et maintenant tu vas me dire ce qui se passe là ? demande Tac en tapotant sa tempe.

Tic hausse les épaules et continue de martyriser ses mèches.

— Je flippe carrément d’être ici. On peut mourir d’une seconde à l’autre. On a l’habitude de toujours rester sur nos gardes, de regarder par-dessus notre épaule… mais là c’est différent. Je me sens oppressée. Comme si on était en train de m’observer en permanence. Tu comprends ?

Hochement de tête de l’intéressée.

— Ça me stress davantage. Comme si ceux qui sont en train de m’observer n’attendent qu’une inattention de ma part avant de me fondre dessus. C’est ridicule je sais. Pourtant, j’en suis persuadée. On nous surveille et je suis convaincue que ce n’est pas le conseil.

— Qui d’autre ?

Silence, puis nouveau haussement d’épaule.

Je médite sur les paroles de Tic et sa conviction d’être épiée. Je scrute instinctivement les environs. Rien d’autre que la végétation. Même pas de trace du moindre animal, et ça, bien que je n’y connaissance rien, je pense que ce n’est pas normal. Le peu de cours de biologie animale que l’on nous dispense à l’école, si on a la chance d’y aller, ou de chopper des livres sur le sujet, indiquent que ce genre d’endroit grouille de vie. Evidemment, pour moi ça a été la seconde option. Il faudrait que je me penche sur la question si nous ne croisons pas de bestioles pendant encore un moment. En attendant, j’enterre mes questionnements dans un coin de ma tête et fini par révéler ma présence.

— Hey.

Ils se retournent de concert, pas l’air vraiment surpris de ma présence. Tic m’esquisse un sourire et Tac un simple hochement de tête.

— Vous avez terminé le balisage ?

— Ouais, on est bon. Et la geek, elle en est où ?

Rictus mauvais de ma part.

— Elle bosse et s’éclate comme une folle. Vous m’aider à monter le camp ?

— Ici ? questionne Tic.

— On a repéré un cours d’eau pas loin d’ici. On pourrait le faire là-bas. Ça sera plus pratique.

Je hoche la tête et nous nous y attelons.

***

Le campement, aussi rudimentaire soit-il est dressé et n’attend plus que nous pour faire son office. Le soleil a commencé à décliner il y a un moment. Bien que sa course ait été lente, l’obscurité, elle, n’a pas tardée à pointer le bout de son nez. L’épais feuillage en est la cause. Aussi, nous a-t-il fallu nous armée de nos lampes frontales et sur pieds. Ce n’est pas évident d’avancer dans la pénombre. Puis enfin dans le noir complet, sans buter dans une racine.

Des insultes fusent de part et d’autre lorsque l’un d’entre nous se ramasse parterre ou se prend une branche traitresse en plein dans la tronche. J’ai renoncé à l’idée de pousser l’exploration au-delà de la rivière en l’absence de luminosité suffisante. Nous sommes bien équipés, mais les ombres de la jungle sont plus fortes. C’est comme si chaque arbre, chaque pierre aspiraient la moindre molécule de lumière. C’est vraiment perturbant. Bien que j’affiche le contraire, je n’en mène pas large face à cet environnement hostile et inconnu. Ceci dit, pour l’instant, aucune plante n’a essayé de nous bouffer. Aucun animal d’ailleurs puisqu’ils sont toujours aux abonnés absents. Perturbant je vous dis.

L’eau noire et silencieuse devant moi ne me procure aucune once de sérénité et de paix, comme aime à le raconter les vieux documentaires que j’ai eu l’occasion de voir à la volée. Un sentiment d’oppression oui, mais de la quiétude, certainement pas. L’atmosphère lourde et pesante n’aide en rien à diminuer cette sensation. J’extirpe la boussole de ma poche et fixe l’aiguille numérique indiquer le nord derrière moi. Je ne sais pas exactement si j’aimerais rebrousser chemin ou si m’enfoncer plus profondément serait plus judicieux.

Aucune idée. On nous a vendu que le dehors était plus que dangereux, mortel même, à la seconde où l’on y poserait le pied. Mais les faits sont là. Il est près de 22H et nous n’avons été en danger imminent de mort à aucun moment. Est-ce que les monstres sont bel et bien morts ? Ont-ils seulement existé en fait ? commencé-je à m’interroger. Il n’y a aucune preuve tangible de leur existence. Seulement les on-dit et les décrets visant à justifier notre confinement forcé depuis bientôt 200 ans.

Moi, complotiste ? Non. Pas le moins du monde, je ne peux cependant pas m’empêcher de m’interroger. Je ne fais que constater que le seul danger immédiat serait de tomber dans la flotte, se cogner la tête contre une pierre et de se noyer. C’est tout. Peut-être également se perdre et crever de faim vue qu’il n’y a pas la moindre bestiole à chasser et pas plus de plantes comestibles.

Alors que je me demande où va bien pouvoir nous mener ce projet fou, j’entends derrière moi Zéphir m’appeler. Je me redresse et jette un dernier coup d’œil à cette immensité noire prête à me happer au premier faux pas. Je me détourne, esquisse un premier pas et me fige, paralysé. C’est comme si un étau s’emparait de moi et m’immobilisait. C’est foudroyant. Et ça ne dure pas plus d’une seconde. Mais une seconde extrêmement glaçante.

Lorsque je peux me mouvoir, je me retourne en balayant le faisceau lumineux. Rien. Je regarde à droite et à gauche. Rien non plus. Je lève les yeux. Rien. Enfin, rien, c’est relatif. Effectivement, je ne vois rien. Imperceptiblement, je sens très légèrement mon cœur pulser un peu plus fort, un peu plus vite. C’est une évidence : on m’observe. Je ne sais pas qui. Ou quoi. Ni d’où ça vient. Ceci dit, je le sens. Et ce jusque dans les tréfonds de mon âme. Les paroles de Tic me reviennent en pleine gueule. Elle avait raison.

Nous ne sommes pas seuls.

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