Prologue
La pluie tombait. Fine, douce et accompagnée d’un léger vent chaud, elle frappait le sol de manière continu tout en laissant entrevoir quelques rayons de soleil l’accompagner de façon éparse. Les gouttes ruisselaient lentement sur mon visage tourné vers le ciel. Traçant des sillons humides sur ma peau avant de sombrer à mes pieds, elles emportaient toute émotion néfaste. Sereine, je profitais du temps avant le retour des beaux jours annoncé pour la semaine suivante. La saison estivale. La seule chose qui, je l’espère, disparaîtra un jour. J’ai toujours préféré la pluie au soleil, la solitude aux regroupements, la fraîcheur à la chaleur. Dans ces moments-là je me sens entière, vivante. Sous le soleil, mon âme me semble se perdre dans les limbes, abandonnant mon corps au simple statut de marionnette.
J'étais assise dehors, sur une petite murette de vielles pierres. Celle-ci délimitait la cour de récréation de mon collège. Réputé pour son excellent niveau, l’établissement ne faisait pas dans la dentelle : les bâtiments, imposants, étaient d’un blanc immaculé ; et bien que parfois salis par les intempéries, chaque semaine le personnel venait passer plusieurs heures à nettoyer de fond en comble le moindre recoin de la façade extérieure. Les vitres, toujours propres étaient nettoyées le matin, le midi et le soir. Cela donnait une impression d’idéal, de perfection. L’apparence avant tout.
Autour de moi, les élèves se bousculaient sous le préau, survoltés, attendant impatiemment la sonnerie annonçant la reprise des cours. Les surveillants tentaient de les contenir, en vain. Installée à l’écart, j’écoutais le son de l’eau frappant le sol, douce mélodie reflétant mon cœur. J’écoutais le chahut que faisaient les enfants de mon âge qui me rappelait par moment ma famille. J’écoutais le silence de la route non loin, sur laquelle aucun véhicule ne circulait. Les sons s’enchaînaient dans ma tête avec un rythme parfait, jouant une musique apaisante pour ceux qui savent l’écouter.
En observant le comportement des élèves, nombre de réflexions me vinrent à l’esprit. J'étais complètement perdue dans mes pensées. Pourquoi la majorité de ceux que je croise éprouvent le besoin de parler, de se rassembler, d'être bruyants ? Pourquoi préfèrent-ils la chaleur étouffante du soleil, la luminosité aveuglante et les journées à rallonge ? L’obscurité, le silence, la fraîcheur me sont beaucoup plus agréables car créant une atmosphère sereine et douce : ils rendent la vie paisible. Pourquoi ne le remarquent-ils pas ?
Je n'en n’ai aucune idée. Je ne ressens aucun des besoins qui semblent communs aux autres, mon monde se résume à moi, mes sentiments, et rien d'autre. Si, aussi les sentiments des êtres qui me sont chers, ma famille. Je ne vis que par mes sentiments. Ceux-ci, décuplés se répercutent sur ma façon d'être. La moindre phrase que l'on m'adresse peut me faire pleurer, que ce soit de tristesse, de joie, de colère ou encore d'impuissance. Si bien qu'au fil des ans, j'ai appris à revêtir un visage impassible, dénué de toute émotion, et masquant mon véritable moi. Cela m'a évité bien des moqueries et ce encore aujourd'hui. L'immaturité des gens de mon âge, et même celle de la majorité des adultes me déprimeront toujours.
« Elizabeth ! »
Lentement, j’émerge de mon monde imaginaire, reprenant peu à peu contact avec la réalité. Mais qui donc pouvait bien m’appeler ? Je n'étais pourtant pas l’une de ces pimbêches, harcelées de tous, je n'étais pas la fille populaire que tout le monde envie, je n'étais pas non plus la souffre-douleur du collège. Généralement on me laissait seule, dans mon coin et personne ne venait m’adresser la parole.
Peut-être était-ce la voix dans ma tête. Souvent lors de mes instants de solitude, un second moi semble surgir du profond de mon être et m’interpelle par mon prénom sans raison apparente. Mais ces illusions ne duraient jamais bien longtemps. Seulement, lorsqu’elles se révélaient plus durables que la moyenne, il arrivait que j’en vienne à perdre connaissance. Mais cela est rare. Très rare. Je décidai donc de ne pas y prêter attention et continuai à rêvasser.
« ...beth ! »
Tiens, la voix commençait à s’estomper, elle allait bientôt n’être qu’un souvenir. Je commençais à être habituée. Je fus soudainement frappée par la dureté des gouttes, la pluie devint cinglante. Elle se fit fine, rapide et sembla se changer en grêlons. Le soleil, perdu dans les méandres de l’eau, on ne pouvait plus qu’entrevoir une masse grise qui tombait du ciel avant de s’écraser avec fracas sur le sol goudronné du collège. Je me dirigeai alors nonchalamment vers la zone la moins abritée située dans un coin reculé et éloigné des autres, ignorant les regards certainement réprobateurs de mes camarades de classe. Ils ont toujours eu du mépris pour la fille qui passe sa vie sous l’eau.
« ...abeth ! »
La voix semblait plus forte à présent, plus réelle. Peut-être que l’on m’appelait réellement. Le pauvre il devait être dépité que je sois perdue dans mes pensées, je l’avais à peine remarqué. Je me retournai un instant pour voir qui c’était. Personne. Je repris alors mon chemin, tournant le dos à cet interpellateur mystérieux. C’est quand même curieux, j'étais persuadée qu’il y avait quelqu’un maintenant. Mais qui ?
« …lizabeth ! »
Je me retournai. Instantanément. Personne ne semblait se soucier de moi hormis quelques visages curieux. Je scrutai, attentive au moindre mouvement qui aurait pu trahir une farce d’un de mes très chers camarades. Très cher, façon de parler. S’ils crèvent, je n’en n’éprouverais aucun remord.
« Elizabeth ! »
Je sursautai. Ça venait de derrière moi encore ! Et toujours rien ! Nerveuse je me mis à tourner sur moi-même. J’espère que ce n’est pas encore une de ces hallu…
« ELIZABETH ! »
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