Chapitre 1

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« Je vous attendais très chère ! ».

Je reconnaîtrais sa voix entre mille. La joie envahit mon visage lorsque je le vis tirer la révérence avec le sourire en coin que j’adorais tant. Il m’inclinât à le suivre, usant d’une gestuelle tout droit issue de la galanterie du XVIIème siècle. Semblant venir d’une autre époque, il attisait la curiosité des personnes avoisinantes. Cependant, aucune réalité ne faisait autre que l’effleurer, seul le plus beau des temps anciens affectait sa personnalité. Le monde, autour, n’existait plus.

C’était la première fois que je l’entendais depuis des lustres, son timbre résonnait à mes oreilles comme la douce mélodie des temps passés. Elle était calme, ténébreuse, magique, envoûtante, une voix à faire tomber n’importe qui. Même moi. Pourtant, je ne suis pas vraiment du genre à tomber sous le charme du premier venu.

Il y avait quelque chose d’exotique, de merveilleux qui semblait posséder son être entier, qui rendait à chacune des parcelles de son corps sa propre touche de subtilité, de simplicité. Quelque chose d’inexplicable et d’indescriptible. Quelque chose de différent, unique, que seul lui possédait.

Son existence même me rendait accro, tant par son originalité et son détachement vis-à-vis des mœurs actuels, qui charmeraient n’importe qui, que par la façon dont il faisait frissonner la moindre parcelle de mon existence, de mon corps jusqu’au plus profond de mon âme. Une créature sortie tout droit des enfers. J’avais été envoûtée dès la première fois où mes yeux se sont posés sur lui.

Les minutes passèrent. Aucune de mes pensées ne s’orientait vers la simple idée de rompre le regard mutuel qui nous accaparait. Je prenais le temps d’observer cet être qui m’était cher, dans les moindres détails. Sa présence me réconfortait, le manque m’avait rongée de l’intérieur et je pus constater de par ses traits tirés que, comme pour moi, le sommeil s’était absenté ces derniers jours. Il n’avait pas changé, et dénotait du paysage. Son allure sombre, et plutôt classe, je me dois bien de l’avouer, contrastait avec le paysage clair et lumineux qui s’étendait derrière lui.

Je me tenais devant l’encadrement d’une grande porte vitrée, dans un sas plus exactement. Assez grand pour contenir une dizaine de personnes, mais je m’y trouvais seule, face a lui. Celui-ci délimitait l’entrée du grand bâtiment entièrement blanc qui m’avait accueillie pendant quelques mois. On pouvait apercevoir multiples fenêtres, qui donnait sûrement vue sur des chambres ou des locaux. Certaines étaient allumées, d’autres éteintes, ou encore avec les stores fermés. Derrière moi la salle d’accueil était remplie de familles qui se réunissaient et du personnel qui veillait au bon déroulement des visites.

Le soleil rayonnait, offrant sa chaleur perdue depuis des mois. Quelques-uns avaient alors décidé de se retrouver dehors, dans la cour intérieure, laquelle était visible de par les grandes baies vitrées qui l’encadraient. D’autres avaient accès à l’extérieur même de ce bâtiment. Il s’agissait des patients qui avaient une autorisation spéciale de sortir où qui quittaient pour un bon nombre de temps l’établissement. Comme moi.

Nous étions le dernier samedi du mois de mars. L’hiver avait été rude, et la gelée matinale, posée sur le gazon verdoyant, brillait sous les premiers rayons de soleil. Un pas après l’autre, je sortais lentement de l’hôpital psychiatrique dans lequel j’avais été confinée ces derniers mois. Ce fut une expérience pour le moins originale, et à laquelle je n’avais pu échapper suite à mes derniers entretiens avec ma psychologue. D’après elle, j’aurais une once de folie, me poussant à me mettre en danger encore et encore. L’œuvre du diable diraient certains, mais je sais que ce n’est pas le cas ; le diable je le connais.

Le jeune homme m’entraîna vers sa moto garée un peu plus loin au milieu du parking. Je le regardais démarrer avec son entrain habituel. Il avait toujours rêvé de pouvoir posséder ce deux-roues et quand il l’obtint enfin, on a pu dès lors ressentir dans chacun de ses mouvements l’amour qu’il lui portait.

J’enfilai des gants après avoir accroché sur ma tête le casque qu’il me tendait et pris place à l’arrière. Nous partîmes en trombe. Repensant à mes entretiens passés avec des psychologues et tous les spécialistes qui avaient essayé en vain de trouver une solution à ma situation, je me serrai contre sa taille et laissai mes cheveux flotter au gré du vent, la tête posée contre son dos et le visage enfoui dans ses cheveux. Je laissais vaquer mes pensées. La route fut longue, mais pas autant que mon séjour précédent.

Lucian était mon petit ami depuis peu. Il était arrivé dans mon lycée en cours d’année et j’avais tout de suite été charmée par ses cheveux noirs en bataille et ses yeux d’un bleu pâle envoûtant. Il était l’incarnation même de mon fantasme. Nous ne nous connaissions pas si bien que ça au départ, et bien que nous soyons semblables sur un certain nombre de points, il nous a bien fallu quelques mois avant de nous mettre ensemble. Cependant les épreuves et notre différence vis à vis de l’humanité nous rapprochaient.

Nous nous sommes rencontrés à la rentrée de janvier. Sortant du bus comme à mon habitude, je fus frappée par un changement d’atmosphère. Le ciel, couvert était chargé en électricité et me fit l’effet d’une décharge qui secoua mon être entier. Il était là, en face de moi, nos yeux se rencontrèrent. L’espace d’une seconde je cru qu’il sondait mon âme et partis me réfugier dans le lycée, sentant son regard posé sur moi et suivre le moindre de mes mouvements.

Les cours ne me préoccupaient guère. Lui par contre… Le reste de la journée fut éprouvante ; souvent perdue dans mes pensées, j’évitais tout contact avec les autres ainsi qu’avec mes cours. Dans les couloirs je me sentais observée. Dans la cours, mon regard se perdait de gauche à droite et de droite à gauche dans l’espoir de l’apercevoir. Il monopolisait tant mes pensées que je décidai d’aller marcher, laissant tomber mes cours de la journée pour aller m’enfoncer dans les bois. Si bien que je perdis la notion du temps, et, lorsque le ciel commença à décliner, je rejoignis mon arrêt, toujours pensive, sans me soucier des cours manqués.

Le jour suivant, il était là, au même endroit et nos regards se croisèrent à nouveau, si bien que je décidai d’aller lui parler. Je pris une longue inspiration, revêtis mon visage impassible de tous les jours et vins à sa rencontre.

De près il était plus grand que je ne l’imaginais. Plus intimidant aussi. Armée de mon courage, je me plantai devant lui et le regardai droit dans les yeux en le saluant. Il soutint mon regard quelques secondes qui me parurent interminables, le visage vide d’expression. Il me rendit mon salut avant de me dépasser pour s’appuyer contre le grillage avoisinant. Je restai immobile quelques instants, puis me retournai pour découvrir ses yeux posés sur moi. Lorsqu’il croisa les miens, il se détourna pour rejoindre le lycée.

Je le poursuivis, lui attrapai la manche et lui demandai pourquoi il se comportait comme ça. Après m’avoir dévisagée pendant un temps qui me parut interminable, il m’adressa quelques mots. Je ne l’intéressais pas. A ses yeux j’étais une fille banale qui ne méritait pas spécialement d’attention. Blessée, je me suis éloignée afin de rejoindre mon cours. Mais sa voix continuait de chanter à mes oreilles. Elle était si belle…

Après une demi-heure de route, nous arrivons chez lui. Sa maison, étendue sur deux étages, était encerclée d’un grand jardin. Toujours aussi imposante elle semblait m’attendre, ravie de me revoir après tant de temps. Près d’elle se trouvait une allée de gravier au bout de laquelle séjournaient deux beaux canidés dans la fleur de l’âge. Ceux-ci m'accueillirent par des aboiements enjoués tout en venant quémander quelques caresses.

Autour, les arbres manquaient de feuilles, perdues en raison des gelées hivernales. Ils semblaient annoncer un soudain renouveau de par les bourgeons qui commençaient à montrer leurs premières feuilles. Impatiente de retrouver ma vie d’avant, mes pas me guidèrent à l’intérieur où je retrouvais la chaleur accueillante d’un foyer qui m’avait manqué.

Durant mes jeunes années, j’ai toujours eu une forte propension à l’introversion. J’étais totalement déconnectée du monde réel. Il m’arrivait parfois de me retrouver devant des illusions auditives et tactiles qui épuisaient mon esprit et m’éloignaient chaque jour un peu plus des autres. Intriguée par ces phénomènes, j’avais fait moult recherches sur ce qui m’arrivait et j’en étais venue à la conclusion que je n’étais pas comme les autres. Sachant donc la chose anormale, je m’étais tue et avais tout gardé pour moi. Mais cela devenait de plus en plus difficile à masquer aux yeux des autres, j’avais développé une paranoïa extrême ainsi qu’une tendance à parler toute seule par moments. Enfin, c’est ce qu’ils disaient, je ne m’en souviens pas, ce qui n’est pas étonnant car ces phénomènes me provoquaient toujours des pertes de conscience.

Suite à mes incessantes pertes de mémoires et à mon comportement changeant que je n’arrivais plus à masquer, j’ai fini par entrer en conflit avec ma famille qui me força à consulter un spécialiste. Celui-ci, à force de séances, en vint à la conclusion que j'étais schizophrène, et atteinte également d’un dédoublement de la personnalité ce qui expliquait mes hallucinations, mes trous noirs et mes sautes d’humeur.

Je me rappelle que mes parents ont passé de longues heures à discuter avec lui dans une petite salle au fond du couloir. Un jour, alors qu’ils faisaient le compte-rendu de toutes les séances passées et je me devais de les attendre à l’extérieur. J’étais assise seule, sur une chaise, près de la porte, perdue dans mes pensées jusqu’à ce que, curieuse, je me décide de les écouter. Je ne parvenais cependant qu’à entendre quelques bribes de conversation.

« …. Izabeth….. dangereux…. surveiller….. peut-être pas si grave…. essayer .. vivre… voir si elle refait des crises... »

La suite était totalement inaudible comme s’ils se souciaient que je puisse les entendre. Où peut-être simplement que je commençais à me perdre dans mes pensées. Toujours est-il que je sentis la fatigue m’envahir avant d’apercevoir un chat devant moi. Curieuse, je m’approchai et caressai ce petit être pas bien farouche tout en me demandant ce qu’il pouvait bien faire dans cet établissement, il n’était pas à sa place ! Il était jeune, avec les poils noirs luisants et me regardait l’air de dire « Reste avec moi, je suis seul. Ne m’abandonne pas ! »

Alors que je le tenais dans mes bras, la porte s’ouvrit sur mes parents qui me regardaient bizarrement, comme si je sortais du zoo. Le chat dans les bras, je les regardais silencieusement avant de reporter mon attention sur l’animal qui se débattait pour s’échapper. Je l’empêchais de partir en demandant à ma mère de m’aider avant d’apprendre, par mes parents, qu’aucun chat ne traînait dans la pièce et que je tenais du vent.

J’avais alors été envoyée dans cet hôpital psychiatrique dans le but d’essayer de contrôler et de diminuer mes hallucinations ainsi que mes pertes de connaissances au moyen de médicaments tous plus chimiques les uns que les autres. Cela ne m’a rien apporté, je n’ai rien appris si ce n’est que j’ai plus de personnalités qu’on le pensait, dont une qui s’est déclarée lors du séjour.

En plus de se développer à cause de ma présence dans un lieu qui ne me plaisait pas, les médecins ont constaté que ma schizophrénie était également insensible aux médicaments qu’ils m’avaient prescrits et qu’au contraire ils ne faisaient qu’empirer ma situation. Il avait donc été décidé que je puisse quitter l’établissement définitivement à condition qu’une fois par mois un spécialiste puisse venir évaluer ma situation. Si celle-ci s’aggravait, je serais contrainte de retourner à l’hôpital et d’y rester définitivement ou jusqu’à ce que ma situation se stabilise afin de pouvoir être surveillée en cas de crise majeure.

Aujourd’hui était donc l’heure de ma sortie, prévue depuis deux semaines. Mes parents avaient été mis au courant mais avaient refusé toute la responsabilité de m’héberger à nouveau. Les spécialistes, embêtés, ont cherché une solution qui me serait bénéfique, et il a été donc décidé que je puisse aller vivre chez mon copain quelques temps avant d’avoir mon propre appartement, avec l’idée que des sollicitations quotidiennes comme une personne normale me permettraient de rester plus terre-à-terre.

Derrière moi, Lucian attendait patiemment que je me décide à avancer. J’étais restée sur le pas de la porte à contempler l’intérieur en me remémorant de bons souvenirs passés ici avec lui quand un élément me marqua. Il n’avait ni les cheveux noirs ni les yeux bleus : à la place il arborait une magnifique crinière brune et des yeux d’un marron parsemé de quelques tâches jaunes. Mon cerveau devait me jouer des tours, mais cela n’enlevait rien au charme de sa personne.

Je pensais aux premiers jours ensemble qui n’avaient vraiment rien à voir avec une quelconque routine, à la découverte de nos ressemblances et dissemblances, à notre attachement mutuel qui naissait sans que nous n’ayons voulu le reconnaître. C’était ici que l’on avait appris à se connaître réellement, ici que nous avons développé notre complicité déjà bien présente.

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