prologue : La naissance d'une déstinée
La nuit était fort avancée et la cité dormait paisiblement. Seuls les éclairages extérieurs de l’Académie venaient illuminer les ténèbres des rues, projetant sur plusieurs centaines de mètres alentour leurs lumières éthérées aux couleurs chatoyantes. Le Cristal à Rêve, d’ordinaire étincelant sous les caresses du soleil, émettait en cet instant une lueur sombre, comme s’il pouvait sentir que les événements qui allaient suivre étaient de mauvais augure.
Au plus profond des noirs sous-sols de l’Académie, un homme ne dormait pas. La lueur vacillante de bougies dispersées à travers la pièce projetait d’inquiétantes ombres sur les murs de pierres taillées. Dissimulé sous le capuchon de sa bure noire, l’inconnu s’affairait à tracer des symboles mystiques avec une encre sanglante sur le lit disposé au centre de la pièce.
Son travail funeste était presque achevé lorsque des coups retentirent contre la porte en bois massif. L’homme, privilégiant la politique de l’autruche, arrêta son action et retint son souffle, espérant que le gêneur partirait. Hélas pour lui, son visiteur ne lâcha pas prise et abattit de nouveau vigoureusement son poing.
— Aspirant Ventus, ouvrez cette porte immédiatement ! Le Grand Haut-Rêveur a été prévenu il est en route. Il est encore temps pour vous de faire le bon choix et de revenir dans le droit chemin, supplia le visiteur.
— Jamais ! répondit Ventus tout en rassemblant à la hâte quelques affaires sommaires, ainsi qu’un épais grimoire, dans un baluchon. Le Grand Incubus triomphera et vos songes seront siens.
— Gardes, enfoncez cette porte !
Obéissant aux ordres, les gardes donnèrent de violents coups de butoirs dans la porte jusqu’à ce que celle-ci finisse par céder dans un fracas de bois et d’acier. À cet instant, Ventus, qui se tenait prêt, souffla d’un coup les bougies plongeant subitement la pièce dans le noir. Profitant de la surprise des gardes, il fonça à travers la porte, bousculant un homme au passage et fila vers la sortie.
Ses poursuivants sur les talons, il grimpa quatre à quatre les escaliers de pierres en colimaçon qui quittaient les entrailles de l’Académie. Essoufflé il parvint enfin dans le Grand Hall. Face à lui se dressait la grande arche de granit servant de majestueuse entrée. Malheureusement pour lui celle-ci était bien gardée à cette heure-ci, aussi s’enfonça-t-il dans les couloirs afin de rejoindre la porte du personnel et espérer se fondre dans le dédale des ruelles de la Cité.
C’était sans compter sur la ténacité des gardes qui se rapprochaient inexorablement de lui. Il se sentait perdu et changea de plan. Il s’engouffra dans un petit couloir dérobé sur sa droite. Il était plongé dans la pénombre ce qui était à son avantage. Il bifurqua de nouveau pour tenter de gagner de précieuses secondes en déroutant ses adversaires. Le subterfuge ne marcherait pas bien longtemps puisqu’ils connaissaient l’Académie aussi bien que lui, mais cela devrait être suffisant pour ce qu’il avait en tête.
Avisant une porte en face de lui il la franchit et la verrouilla avec une épaisse barre de bois. Cela devrait retenir les gardes un certain temps et lui laisser l’occasion de se plonger en Somniria. Il s’allongeât dans un coin de la pièce et entra en transe.
Quelques instants après, les poursuivants parvinrent à leur tour devant la porte close. Les gardes entreprirent, à nouveau, d’enfoncer la porte, mais celle-ci était un obstacle plus résistant. Ils furent très vite rejoints par d’autres gardes qui avaient été alertés par la course poursuite dans les couloirs. C’est à ce moment que le chef du groupe, un homme grisonnant vêtu d’une bure marron cintrée d’une cordelette dorée, leur ordonna de faire silence. Une grande concentration s’afficha sur son visage et il semblait être à l’écoute de quelque chose.
— J’ai senti un rêve ! Son esprit est passé de l’autre côté, méfiez-vous ses attaques sont retors.
— C’est insensé, rétorqua un des gardes. Il est seul, sans aucun chevalier pour le protéger. Qu’espère-t-il faire dans ces conditions ?
Interpellé par ces paroles, le sage se plongea dans une intense réflexion. Son front se creusât de rides et ses yeux se froncèrent. Ce qu’il déduisit ne semblât pas être à son goût.
— Ce n’est pas un acte insensé, c’est un acte désespéré ! C’est pour ça que je ne perçois pas de déformation de la réalité. Il ne compte pas attaquer, il compte abandonner son enveloppe charnelle et s’enfuir dans les limbes du rêve ! Vous et vous ! ordonna-t-il à deux des gardes présents. Allez prévenir le Grand Haut-Rêveur et aidez à mettre sur pied une équipe de poursuite. Je vais rêver immédiatement afin de ne pas le perdre. Toi ! Tu garderas mon corps, on ne sait jamais. Les autres, enfoncez-moi cette porte et montez la garde auprès de lui, dans le cas où tout ceci ne serait qu’une feinte.
— À vos ordres ! crièrent les gardes à l’unisson avant d’appliquer les consignes.
Comme il l’avait indiqué, l’homme s’assit contre un mur et se mit à rêver. Son corps se détendit et sa respiration se fit plus lente. Lorsqu’il ouvrit les yeux, son esprit se trouvait à Somniria, la dimension du songe. Bien entendu, Ventus avait filé, mais il ne perdit pas espoir. Mettant en pratique ses années d’expériences et son immense connaissance, il se concentra afin de retrouver la trace du traitre. Chaque rêveur laissait une signature énergétique unique facilement identifiable pour quiconque était assez rompu pour la percevoir. Aussi ne lui fallut-il que quelques instants pour repérer celle de celui qui fut son élève parmi toutes celles présentes.
Comme un limier à la chasse, il remontât inlassablement la piste qui s’enfonçait toujours plus loin dans les méandres de Somniria. Rapidement il fût rejoint par l’équipe de chasse qui avait été constituée à la hâte. La piste se faisait de plus en plus fraiche et ils savaient qu’ils étaient proches de leur but. Cela se confirmât lorsqu’ils tombèrent sur le premier piège.
Le sol se déroba soudainement sous leurs pieds et ceux qui y échappèrent ne durent leur survie qu’à d’incroyables réflexes. Le reste du parcours ne fut qu’une longue succession de pièges divers et variés et le groupe s’amenuisa peu à peu pour ne finalement plus laisser que leur chef. Enfin, il finit par rejoindre Ventus qui semblait acculé.
— Rends-toi Ventus et je plaiderai en ta faveur auprès de sa Grandeur.
Pour toute réponse, un déluge de feu s’abattit sur lui, qu’il doucha avant que la salve ne l’atteigne.
— Arrête ce petit jeu avant qu’il ne soit trop tard ! Je sens bien que tu hésites. Ton attaque manquait de conviction. Et si elle avait atteint son but je n’aurais fait que perdre la connexion avec ce plan, comme tous les autres avant moi.
— Vous vous fourvoyez, Maître Zardmus. Ma conviction n’a jamais été aussi forte. Mais je me doute que vous ne puissiez saisir mes motivations, tout comme vous n’avez jamais vraiment pu comprendre mes sentiments. Mais maintenant j’ai un nouveau Maître et il me murmure de grandes choses.
— Petit imbécile aveugle et imbu de lui-même ! l’insulta Zardmus. Crois-tu vraiment que tu puisses être autre chose qu’un énième pantin entre les doigts griffus Du Grand Incubus ?
— Et pourquoi pas ? Avouez que cette pensée vous effraie. Vous vieillissez Maître. Et je triomphe, malgré votre acharnement.
Alors même qu’il prononçait ces paroles, un nourrisson juste né se matérialisât devant lui.
— Que…Non ! s’horrifia Zardmus.
Mais il était trop tard et il ne put réagir. L’âme de Ventus se mit à trembloter avant de perdre en substance. Aussi rapidement que le vent, il s’engouffra dans la bouche béante du bébé gémissant. Zéphyo Ventus, Adepte du Grand Incubus, venait de commettre un acte innommable en fusionnant son esprit à celui d’un nouveau-né, échappant ainsi à toutes poursuites.
***
À des centaines de kilomètres de là, deux parents exténués pleuraient de joie la naissance de leur fille :
— Elle est magnifique, s’extasia la mère. Nous l’appellerons Althéa…
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