1. Une Journée Mémorable

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  Cela faisait des jours et des jours que la canicule s’était abattue sur les terres de Bortésia, accablant la population de sa chaleur écrasante. Les travaux des champs étaient devenus pénibles et le manque d’eau se faisait cruellement ressentir pour les récoltes et le bétail. En ville, la promiscuité des habitations rendaient l’atmosphère étouffante et la moindre parcelle d’ombre était la bienvenue. Seuls les enfants trouvaient encore l’énergie de chahuter par ce temps.

  Ils étaient une petite dizaine à s’être rassemblés sur la Place du Puits pour jouer à la balle au roi. Althéa avait été désignée comme le « roi » de son équipe. Elle avait tout naturellement choisi Ode et Yvan, ses deux meilleurs amis et respectivement la fille du charpentier et le fils du boulanger. Son équipe était complétée par Morana, la petite sœur d’Yvan. Le jeu était déséquilibré car l’équipe adverse était composée de la fratrie des deux plus jeunes fils du forgeron, âgés de neuf et sept ans. Malgré leur jeune âge, leur musculature était déjà bien développée et ils étaient bâtis comme des taureaux. À cela, s’ajoutait leurs trois comparses avec qui ils aimaient à terroriser les autres enfants de Bortésia et les petits paysans alentours.

  Cela faisait une quinzaine de minutes que la partie avait débutée et l’équipe d’Althéa était déjà en grande difficulté. Elle se faisait mener de dix points et peinait à marquer. Henson, plus grand qu’elle de facilement deux têtes, l’empêchait constamment de récupérer la balle, tandis que son frère, Frugiel, faisait des carnages dans son équipe en tant que roi. La frustration était grande pour Althéa. Son équipe se devait de gagner car l’enjeu était de taille : l’équipe vainqueur aurait le monopole de la Place du Puits comme terrain de jeux. Bien entendu, c’était une idée de Henson et de sa clique qui étaient venus, une fois de plus, les embêter alors qu’ils jouaient tous quatre tranquillement aux billes. Althéa n’avait pas voulu s’écraser devant eux et ils avaient alors proposé le jeu. Ne souhaitant pas perdre la face, bien qu'elle sache d’avance que les chances de gagner étaient minces, elle avait accepté. Et maintenant elle se retrouvait dans cette situation.

  — Et bien alors, tu fais moins la maligne hein ? la nargua Henson.

  — Ouais, vous êtes qu’une bande de nuls ! renchérit Frugiel

  Les autres gorilles rirent grassement aux insultes de leurs chefs. Frugiel, enhardi par l’attention de son public, envoya violemment la balle sur Morana qui la reçut sur la tempe, la projetant à terre. Cette dernière se mit à pleurer à chaudes larmes.

  — Hou le bébé. Pleure, tu pisseras moins ce soir ! se moqua méchamment Augustin.

  À peine eut-il fini sa phrase qu’il se reçut la balle en pleine tête, coupant court aux rires de la bande.

  — Qui a osé ? s’énerva-t-il.

  — Eh bien alors ? Je croyais pourtant que c’était drôle, ironisa une voix inconnue depuis le bout de la place.

  Sortant de l’ombre dans laquelle il était dissimulé, William avança fièrement. Benjamin du Seigneur de Bortésia et de deux ans l’ainé d’Althéa, il lui arrivait de plus en plus souvent de descendre en ville pour jouer. Mais les enfants du coin s’abstenaient au possible de le fréquenter, par peur de son statut. Frugiel et les autres firent moins les malins quand ils le reconnurent. Pour sauver les apparences, ils firent tout de même les bravaches.

  — Vous devriez avoir honte de vous ! les tança William en aidant Morena à se relever. Il n’y a aucune gloire à vaincre plus faible que soit. Des pleutres, voilà tout ce que vous êtes.

  — Comment oses-tu ! s’enflamma Henson par-dessus la cacophonie de protestation outrées de ses camarades.

  — Alors, tu ne vois aucun inconvénient à ce que je me joigne à la partie ? Ça rééquilibrera le jeu. Et ça sera plus amusant comme ça. Voyons voir comment vous jouez avec un adversaire à votre hauteur. À moins que vous n’ayez peur de perdre ? les asticota-t-il avec un grand sourire.

  — Peuh ! Tu ne me fais pas peur, microbe ! Je vais prouver à tout le monde que tu n’es qu’un fils à papa. Allez viens, je t’attends ! fanfaronna-t-il de plus belle, en tombant droit dans le piège de William.

  William, tout sourire, se plaça devant Althéa et, lui prenant la main, lui fit un baisemain et une courbette en lui déclamant :

  — Ma Reine, que notre collaboration soit fructueuse.

  À ces mots, Althéa devint rouge pivoine et bafouilla quelques sons inarticulés. William lui fit un clin d’œil et partit dans un grand éclat de rire, fier de son effet, avant de rejoindre sa place sur le terrain. Cela ne fit qu’ajouter à son malaise.

  Sur ces entrefaites, la partie put reprendre. Fort de son nouveau membre, l’équipe désavantagée remonta peu à peu au score. William s’imposa tout naturellement comme chef d’équipe, dirigeant ses joueurs stratégiquement et ne leur laissa ni répit, ni ouverture. Il virevoltait de-ci de-là sur le terrain, interceptant toutes les balles adverses et les renvoyant finement à Althéa, qui se faisait une joie de bombarder les brutes du camp adverse. Bientôt les deux équipes furent à égalité. D’un commun accord, il fut décrété que cet échange serait le dernier et que la première équipe à marquer un point l’emporterait.

  Le jeu était à son paroxysme et la balle volait en tous sens à travers les deux camps sans que jamais aucun des deux rois ne parviennent à mettre la main dessus. La dernière action fut tellement confuse qu’elle fila droit et haut dans les airs en direction du centre du terrain. William se précipita et sauta, dans l’espoir de la récupérer, mais de son côté, Henson, en fit autant. Les deux adversaires se télescopèrent en plein bond, retournant lourdement au sol. Dans un effort désespéré, alors que la balle allait toucher le sol, William plongea et la rattrapa à la volée avant de l’expédier droit dans les mains d’Althéa, sous le regard ébahi de l’assemblée.

  Tout reposait maintenant sur ses épaules. Elle n’avait pas le droit à l’erreur. Elle se plaça au bord de son aire de jeu, sauta, arma son bras et visa. Mais au moment de tirer, Augustin, mauvais joueur, la percuta lourdement ce qui fit grandement dévier la balle qui vint heurter le dos d’un homme près du puits.

  De surprise et de douleur, ce dernier en lâcha le seau plein d’eau qu’il venait de peiner à remonter et elle s’éparpilla sur le sol. Le temps sembla se suspendre, tous les enfants s’arrêtèrent de jouer et retinrent leur souffle. L’homme se retourna violemment, rouge de colère.

  — Bande de sales morveux ! Vous croyez peut-être que c’est le moment de gaspiller de l’eau ! Vous allez voir, vous allez recevoir une correction que vous n’oublierez pas !

  La panique s’empara de la place et dans un désordre total les enfants s’enfuirent dans les ruelles poussiéreuses comme une volée de moineaux. Althéa n’eut pas le temps de s’échapper, l’homme bedonnant se précipita sur elle et l’attrapa par le bras. Il la tira violemment en arrière et leva le bras dans l’intention de la frapper. Sa prise était trop forte et elle ne pouvait pas se dégager. Son bras lui faisait atrocement mal. Elle se recroquevilla sur elle-même.

  — Arrêtez ! s’interposa William en lui agrippant le bras.

  — Mêle toi de tes affaires toi ! le repoussa-t-il abruptement.

  Un bruit métallique retentit dans leur dos.

  — Monsieur, je vous conseille de laisser ces enfants tranquilles, intervint un homme d’une voix doucereuse.

  Les enfants focalisèrent leur attention sur le nouveau venu, tandis que le villageois sursauta alors qu’une lame s’inséra dans son champ de vision. Un des gardes du château était venu à leur secours. Derrière lui, deux autres arrivèrent, main à l’épée, protégeant une dame d’un âge mûre et deux jeunes femmes semblant être des servantes. Le rougeaud grogna et détala sans demander son reste.

  — Jeune Maitre ! Combien de fois faudra-t-il vous dire de ne pas fuguer, le sermonna la matrone. Vous devriez avoir honte de me faire venir jusqu’ici malgré mes vieux os. Cependant, je me dois de vous féliciter pour avoir défendu cette demoiselle. Voilà qui est digne de votre éducation de gentilhomme. Je n’en attendais pas moins de vous.

  William gonfla le poitrail de fierté et rougit légèrement quand il vit le regard d’Althéa brillant de gratitude.

  — Et maintenant, jeune maitre, il est temps de rentrer. Il ne faudrait pas faire attendre votre maitre d’armes.

  — J’arrive, laissez-moi juste le temps de dire au revoir à ma nouvelle amie.

  — Bien, mais faites vite.

  William prit Althéa par la main et l’emmena à l’écart pour lui parler à l’abri des oreilles indiscrètes.

  — Je dois rentrer, la vieille Matilda, ma perceptrice, est intraitable. J’aurais pourtant aimé passer plus de temps avec toi. Voudrais-tu être mon amie ? Et pourrions-nous nous revoir ?

  — euh…d’accord, pourquoi pas, accepta-t-elle en pensant qu’elle le lui devait bien puisqu’il l’avait défendu et lui avait donné un coup de main avec la bande à Henson.

  — Parfait. Dans ce cas j’essaierai de m’échapper après ma leçon. Rejoins-moi après l’heure du grillon au ruisseau près du Moulin de Parshaw. Je t’attendrais.

  Il déposa un chaste baiser sur sa joue et s’en alla avec ses gens. Althéa resta plantée là un moment, à méditer sur cette drôle de matinée qui l’avait vu damner le pion à la bande de Henson et se trouver un preux chevalier.

  Aux alentours de la mi-journée elle retourna chez elle pour déjeuner en compagnie de ses deux parents et de ses frères et sœurs. Elle resta silencieuse tout le temps du repas, peu fière de son exploit avec le pauvre homme de la fontaine. Son père lui aurait probablement décoché une bonne baffe dont elle se serait souvenue. De plus, elle craignait de se dévoiler et que ses parents lui interdisent de se rendre à la rivière.

  Une fois l’heure venue, elle s’éclipsa discrètement. Elle s’éloignât du village en suivant une route caillouteuse qui longeait la Dormeuse, un petit cours d’eau autour duquel s’articulait la ville. Le moulin était posté en retrait de la bourgade, situé stratégiquement entre la localité et les fermes avoisinantes que l’on pouvait apercevoir de-ci de-là dans le lointain, surplombant des coteaux de vignes et les champs de blés dorés par le soleil. Parfois, de petites taches brunes indiquaient la présence de troupeaux paissant dans les pâturages.

  La proximité du ruisseau et l’ombre des arbres le bordant apportaient un brin de fraicheur à Althéa qui souffrait de la chaleur ambiante, accrue par sa marche. Le temps était de plus en plus lourd, annonciateur d’un orage salvateur et d’une pluie bienfaitrice. Mais pour le moment il ne se décidait pas à éclater. Après plusieurs dizaines de minutes elle vit enfin le moulin et sa grande roue à eau tournant paresseusement dans le courant. Elle le contournât et elle le vit, assis sur la berge, le regard plongé dans les miroitements de l’eau.

  Elle s’annonçât d’un léger raclement de gorge afin de ne pas le surprendre dans sa méditation. Il tourna la tête vers elle et lui adressa un immense sourire chaleureux. Cela lui fit chaud au cœur. Sans un mot elle s’installa près de lui. Une timidité s’empara d’elle et elle ne savait que dire pour rompre la glace. C’était assez inhabituel de sa part, elle qui était plutôt extravertie. Mais le statut social de William, ainsi que son éducation et ses manières la freinaient et elle ne savait comment se comporter.

  Ce fut finalement lui qui se décida à prendre la parole en premier :

  — Tu sais, la plupart des enfants ne sont pas à l’aise avec moi, à cause de mon père. Et personne ne veux jamais jouer avec moi. Et à la maison je suis le plus petit, mes frères ne s’intéressent plus à moi et Matilda n’est pas très marante. C’est pour ça que j’étais très content de jouer avec vous tout à l’heure.

  — Moi aussi, j’ai trouvé ça amusant, dit timidement Althéa. Mais après j’ai eu très peur. Heureusement que tu étais là. Et que tes gardes sont arrivés.

  — Ils nous ont bien aidés pour cette fois, c’est vrai. Mais sinon ils m’empêchent toujours d’aller m’amuser. Père n’aime pas que je sorte du château. Mais je m’y ennuis. Alors je me faufile souvent en cachette pour aller me promener en ville. Mais la plupart du temps je viens ici. C’est calme et beau. Et je me sens moins seul si les autres enfants ne s’amusent pas sans moi.

  Althéa se sentait triste pour William, qui ne demandait qu’à avoir des amis. Aussi chassa-t-elle ses doutes afin de ne le voir que comme un garçon ordinaire.

  — Et bien moi, je serais ton ami et tu ne seras plus jamais triste et seul.

  — Oh, merci beaucoup. Alors on pourrait se retrouver ici tous les deux, tous les jours, pour jouer. Comme ça mes gardes ne me trouveront pas facilement.

  — Tu ne veux pas être amis avec les autres ? s’étonna Althéa.

  — Je sens que je peux te faire confiance et que tu sauras garder notre secret. Mais je crois que tu dois être la seule au courant, sinon la rumeur se répandra jusqu’à mon père et il m’interdira de te voir. Tu veux bien me promettre de ne le dire à personne ?

  — Je te le promets, jura solennellement Althéa. Que mes rêves se transforment en cauchemar et que le Grand Incubus me dévore si je romps ma promesse.

  — Alors s’est entendu, nous nous retrouverons ici tous les jours à l’heure du grillon.

  — Allez viens, on va se baigner, lui enjoignit Althéa en se débarrassant de ses vêtements.

  Elle sauta dans l’eau en rigolant et se mit à éclabousser William qui finit par se joindre à elle. Les deux nouveaux amis passèrent le reste de l’après-midi à batifoler dans le ruisseau sans voir le temps passer. À présent le ciel était voilé par de gros nuages noir menaçants et l’air était lourd et chargé d’électricité. Un vent chaud et lourd s’était levé. Occupés par leurs jeux, Althéa et William ne se souciaient pas de ce changement de temps.

  Lassés de jouer dans le ruisseau, ils s’étaient mis à explorer une petite ile au milieu de l’eau. Elle n’était pas très grande, mais la végétation dense qui la recouvrait en faisait un magnifique terrain de jeux pour les enfants qui s’étaient attelés à y construire une cabane pour leurs jeux futurs.

  Soudain un éclair illumina le ciel et le tonnerre gronda les faisant sursauter. Aussitôt le déluge se déchaîna et de grosses gouttes se mirent à tomber. Althéa était plutôt courageuse, mais elle n’aimait pas l’orage. Elle se recroquevilla sur elle-même, gémissant de frayeur à chaque nouveau grondement. William, avisant la peur de son amie, la prit par la main et l’entraîna au centre de l’ile afin de s’abriter dans un tronc creux qu’il avait repéré plus tôt.

  William regrettait de s’être laissé surprendre et de n’être pas parti plus tôt. Mais tant que l’orage serait là, ils ne pouvaient pas traverser la rivière ni même marcher à travers route, cela était trop dangereux. Il ne leur restait donc plus qu’à attendre que le temps se calme avant de faire une sortie. À côté de lui, Althéa se mit à trembler de froid et il l’a pris dans ses bras pour se tenir mutuellement chaud. Bercé par le bruit de la pluie martelant le ruisseau et enveloppé par la douce chaleur d’Althéa, William finit par s’endormir.

  Quand il se réveilla en sursaut, il était incapable de dire combien de temps s’était écoulé. L’orage était parti, mais la pluie tombait toujours drument et le ciel obscurci ne lui permettait pas de déterminer l’heure du jour. Le léger bruit qui l’avait tiré de son sommeil se manifesta à nouveau sans qu’il puisse déterminer ce que s’était. Il décida de réveiller Althéa qui dormait paisiblement blottie dans ses bras.

  — Althéa, réveil-toi, j’ai entendu un drôle de bruit, la secoua-t-il doucement.

  Elle ouvrit les yeux et se les frottas pour en chasser le sommeil puis tendis l’oreille. Le son se manifesta de nouveau.

  — On dirait un miaulement ! s’exclama-t-elle.

  Elle se leva et quitta leur abri pour en chercher l’origine, suivie de William. En arrivant au bord de l’ile, vers la source du bruit, il se rendit compte que le niveau de l’eau avait dangereusement augmenté et avait commencé à submerger une partie de l’ile. Il leur était maintenant impossible de retourner sur la berge car ils n’avaient plus pied et le courant était bien trop fort pour pouvoir traverser à la nage.

  — William, regarde ce pauvre petit chaton a été emporté par le courant ! s’exclama Althéa le tirant de ses sombres réflexions.

  Regardant dans la direction qu’elle lui indiquait, il avisa effectivement une pauvre petite boule de poil trempée qui s’accrochait désespérément à une touffe de mousse. C’était un miracle que le pauvre petit être soit encore en vie car le courant avait dû le malmener. Mais si les deux enfants ne faisaient rien, le pauvre n’allait pas tenir longtemps.

  Althéa s’avança pour le secourir, mais elle était trop petite pour l’attraper sans s’approcher dangereusement du bord, aussi William la retint-il. Elle le regarda avec tellement d’espoir et de fierté qu’il sentit son cœur se gonfler de courage. Il s’approcha prudemment du bord de l’eau. La terre y était friable et il s’enfonçait de quelques centimètres dans la boue spongieuse. L’eau vint lécher ses orteils, mais il réussit à s’approcher du bord. Tout doucement il se penchât et attrapa le chaton par la peau du cou et le tira hors de l’eau. Ce dernier n’avait plus la force de se débattre et il se laissa faire tranquillement, allant même jusqu’à s’accrocher avec fermeté dans les bras d’Althéa quand William le lui passa.

  Le chaton était tiré d’affaire, grâce à sa bravoure. À cet instant, un bruit sourd qui s’approchait de plus en plus vite se fit entendre et soudainement une vague déferlante vint frapper brutalement William qui perdit l’équilibre et bascula tête la première dans les flots.

  Avant même de comprendre ce qu’il lui arrivait, William se retrouva submergé par les flots tumultueux qui agitaient la Dormeuse. Il était ballotté de toutes parts, tournoyant sur lui-même à ne plus savoir où était le haut du bas. À plusieurs reprises, alors qu’il tentait de rejoindre la surface, il fut projeté contre le lit du ruisseau, s’écorchant au passage contre les pierres saillantes et les différentes branches charriées par le courant. Complètement affolé, il n’était pas loin de se noyer quand son dos percuta un rocher, expulsant d’un coup l’air de ses poumons. Il but la tasse, mais réussi in extremis à s’y accrocher, lui permettant de s’extraire partiellement de l’eau et de reprendre son souffle.

  Dès que William était tombé à l’eau, Althéa s’était empressée de mettre le chaton à l’abri avant de scruter nerveusement les flots en colère. Lorsqu’il creva enfin la surface de l’eau, quelques longueurs en aval de l’ile, Althéa éprouva un immense soulagement qui fut de courte durée, tant la situation de son ami était précaire. Elle devait l’aider, mais ne savait comment s’y prendre. Elle ne pouvait pas le rejoindre car elle se ferait elle aussi emportée. Mais elle ne pouvait pas non plus le laisser ainsi car il s’affaiblissait à vue d’œil et ne pourrait bientôt plus tenir.

  Complètement affolée elle regarda autour d’elle espérant trouver une solution, quand elle avisa une énorme branche morte à moitié ensevelie sous les feuillages. Elle s’en saisit et avec quelques difficultés réussi à la trainer au bord de l’eau. Par chance, elle était assez grande pour atteindre le rocher. Avec un ultime effort elle l’a mis à l’eau et aussitôt le courant l’emporta jusqu’à William. Entre le poids de la branche et la force du courant, elle faillit lâcher prise, mais réussi à se rétablir après avoir été trainée de quelques centimètres dans la boue.

  Une fois la branche à peu près stabilisée, William progressa le long du rocher jusqu’à pouvoir s’y accrocher. Le poids rajouté de ce dernier mettait à rude épreuve les forces déclinantes d’Althéa. Impossible pour elle de tirer la branche en arrière et de ramener William sur la berge, tout ce qu’elle pouvait faire à présent, c’était de la maintenir à flots pendant qu’il ramperait jusqu’à elle. Des larmes silencieuses coulaient le long de ses joues et de temps en temps des sanglots incontrôlables lui échappaient, mais elle devait se concentrer. William progressait très lentement le long de la branche et Althéa pensait qu’il n’arriverait jamais avant qu’elle lâche prise. Elle était effrayée et exténuée. Ses épaules lui faisaient atrocement mal, comme si elles étaient sur le point de se disloquer.

Alors qu’elle allait abandonner, elle perçut à travers la tempête des cris ténus. Relevant la tête, elle crut voir au loin des personnes venant dans leur direction. Cette vision lui redonnât de l’espoir et un regain de forces. Elle s’agrippa de plus belle à la branche et cria de toutes ses forces :

  — À l’aide ! Au secours ! Aidez-nous !

  Les inconnus semblèrent se diriger dans leurs directions et Althéa cria de plus belle pour continuer à attirer leur attention. Rapidement ils arrivèrent à leur niveau et elle constata qu’il s’agissait de quatre cavaliers. Des chevaliers du Seigneur selon toute vraisemblance. William et elle étaient sauvés.

  Dès qu’ils comprirent la situation dans laquelle se trouvaient les deux enfants, les hommes mirent pieds à terre et se précipitèrent dans l’eau pour aller les chercher. Là où les enfants étaient en difficultés, les hommes n’eurent pas trop de peine à progresser, malgré le courant et, très vite, ils récupérèrent William et le portèrent sur la berge. Dès qu’ils l’eurent pris avec eux, Althéa en profita pour lâcher sa branche et ignorant leurs appels, se dépêcha d’aller récupérer le chaton qu’elle avait mis à l’abri un peu plus tôt. Elle revint vers les chevaliers, la boule de poils inanimée dans les bras. À son tour elle fût secourue.

  Les deux enfants étaient frigorifiés et à bout de force. Les hommes sortirent des ouvertures rudimentaires de leur paquetage et les en emmitouflèrent pour les réchauffer et les protéger de la pluie et du vent mordant. On voulut retirer son chaton à Althéa, mais elle refusa de le lâcher et s’y accrocha avec désespoir, si bien qu’on le lui laissa finalement.

  Après avoir repris un peu du poil de la bête, Althéa se précipita vers William pour vérifier qu’il était sain et sauf. Il était complètement épuisé, mais sourit néanmoins à son amie quand elle s’approcha. Althéa se jeta alors dans ses bras et se mit à pleurer à chaudes larmes de soulagement. Elle se souviendrait toute sa vie de cette drôle de journée qui avait mal commencée.

  Une fois que les enfants furent en état de monter à cheval, on les plaça chacun devant un des cavaliers tandis que les deux autres dirigeaient les chevaux. Très vite, morte de fatigue, elle finit par s’endormir dans les bras de son sauveur, le chaton chaudement blottit contre elle.

  Quand Althéa ouvrit les yeux, il faisait noir et elle était allongée sur son lit de paille. Quelqu’un était assis à son chevet et s’était endormi sur elle. Il lui fallut quelques instants pour s’habituer à la pénombre ambiante. Quand ce fut fait, elle constata que c’était sa mère qui était là. Elle voulut se redresser, mais ce simple geste lui arracha une grimace de douleur et son corps courbaturé se rappela à elle. Cela eut pour effet de réveiller sa mère qui se précipita sur elle et passa une main sur son front pour vérifier sa température.

  — Tu vas bien, soupira-t-elle de soulagement. Hubert, elle s’est réveillée ! cria sa mère à l’intention de son père.

  Aussitôt on entendit un raffut à la cuisine suivit d’une cavalcade dans la maison et son père apparut sur le pas de la porte, essoufflé, portant un bol de gruau encore fumant dont l’odeur appétissante venait titiller les narines de Althéa et faire gronder son ventre affamé.

  Il s’approcha et lui tendit la mixture sans un mot. Son père n’était pas un grand bavard, mais Althéa percevait, dans ses gestes, ses yeux rougis, qu’il s’était fait du souci pour elle et qu’il était soulagé de la voir éveillée. Honteuse d’avoir inquiété ses parents, elle se laissa faire sans rechigner et avala d’une traite son repas sous le regard inquisiteur de ses parents.

  Une fois qu’elle fut repue, elle reposa la cuillère en bois dans le bol et le posa sur sa table de chevet.

  — Tu ne manges pas tout ? l’interrogea sa mère.

  — Je n’ai plus faim.

  — Comment te sens-tu ?

  — Fatiguée, lui répondit-elle d’une toute petite voix. Et j’ai mal partout.

  — Tu dois te reposer, ça ira mieux demain.

  —Moui.

  — Quelque chose ne va pas ma chérie ? s’inquiéta sa mère

  — Où est le petit chat ? Il va bien ? On a réussi à le sauver ?

  — Oui, ne t’inquiète pas et repose toi, il est ici.

  — Est-ce qu’on pourrait le garder ? S’il vous plait, dites oui, je vous en prie.

  Un léger malaise sembla s’installer, mais Althéa était trop jeune pour le percevoir. Hubert lança un regard de connivence à sa femme avant de se racler la gorge.

  — On verra, esquiva son père.

  — Oui, je suis trop contente !

  — Ecoute Althéa, tu ne devrais pas trop t’attacher à lui tu sais.

  — Pourquoi ?

  — Ce chat est tout jeune et très faible. Sans sa maman, il a peu de chance de survivre.

  — Mais ce n’est pas juste, William a risqué sa vie pour le sauver, se mit à pleurnicher Althéa, la voix suppliante.

  — Je sais ma puce, mais c’est comme ça, la consola-t-il en lui caressant tendrement les cheveux de sa grande main bourrue.

  — Est-ce que je peux dormir avec lui cette nuit ?

  — Si tu veux. Et maintenant, au lit. Tu dois te reposer pour aller mieux. Je vais chercher le chat.

  Althéa se recoucha docilement. Quelques instants après, son père revint avec le chaton. À présent qu’il était sec, il faisait moins pitié, mais il restait tout de même très chétif. Son père le posa tout contre elle. Il avait un pelage gris tacheté et ses poils avaient encore l’aspect du duvet. Ses yeux étaient clos et son flanc se soulevait faiblement. Althéa se lova tout contre lui puis son père la borda et sa mère l’embrassa sur le front avant de sortir tout deux de la chambre.

  Malgré sa fatigue, Althéa ne parvins pas à trouver le sommeil tout de suite. Elle se réjouissait déjà d’avoir un nouveau compagnon et s’imaginait de nouvelles aventures avec lui.

  — Comment vais-je t’appeler petit chat mignon ? murmura-t-elle tout bas.

  — Tu ferais mieux d’écouter papa, la morigéna Clothilde, sa sœur ainée, avec qui elle partageait sa chambre. Ton sac à puces ne passera pas la nuit.

  — Tu es méchante Clothilde ! Je préférais quand Hélène était encore à la maison avec nous. Depuis qu’elle s’est mariée et est partie tu te prends pour la reine.

  — Et toi tu n’es qu’une gamine stupide ! Tout le monde te passe toujours tout tes caprices !

  Elle sortit en trombe de la chambre en claquant la porte au passage. Althéa se retrouva dans le noir. Elle se blottit encore plus près du petit corps chaud allongé contre elle. De toutes ses forces elle souhaita que le chat survive. Elle voulait lui communiquer son énergie pour le sauver et c’est avec ces pensées qu’elle sombra enfin dans le sommeil réparateur.

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