Chapitre 8 - Mia

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Marine discute avec Ethan sur son téléphone. Il a accepté d’avoir le numéro de mon amie, et elle pète un câble dès qu’il répond.

- Tu te rends compte, Mia ? Imagine il m’aime !

- Y a même pas 24 heures il aimait Sarah, et maintenant il t’aimerait toi ?

Elle balaye mon commentaire d’un geste de la main.

- On s’en fout de Sarah. Bon, je vais y aller, mes parents veulent m’emmener voir une expo sur les ours polaires. J’comprends pas pourquoi, mais bon. Salut.

Elle quitte ma chambre après s’être recoiffée devant mon miroir. Nous sommes dimanche 6 janvier, il est 10 heures et il pleut. Rien à faire de ma journée, à part glander sur mon lit. Ce qui va vite me saouler.

J’attrape dans mon armoire un jean slim gris et un sweat noir, puis je me rends à la salle de bain pour démêler mes cheveux. Je me fais deux chignons et je laisse deux mèches devant (sinon je trouve ça moche). Le téléphone dans la poche de mon pull, mes Converses classiques aux pieds, je suis prête pour sortir dans la rue.

Le village est calme ce matin. Il n’y a personne au marché du dimanche qui longe toute la rue commerciale, et certains artisans commence même à remballer. Parmi la librairie, le magasin de jouets, le bar, la pharmacie, le fleuriste, la pâtisserie et l’épicerie, les seuls commerces ouverts sont le bar et la pharmacie. Personne en vu sur la place de la mairie.

Je pourrai prendre le bus pour aller à Reims, mais j’ai la flemme de passer 30 minutes dans un pavé d’acier. Je décide donc d’entrer dans le bar. Aucune table n’est occupée, la seule place prise est au comptoir. Une jeune femme me tourne le dos. Je ne peux pas la distinguer et viens m’asseoir à côté d’elle. Elle lève les yeux vers moi et je reconnais Sarah.

- Oh, salut Mia.

Elle fait tourner le reste de son Coca dans le fond de son verre.

- Salut, tu fais quoi ici ? questionne-je.

Elle hausse avec lassitude les épaules.

- Je tue le temps.

- T’es pas avec Jordan, Julien, Ethan ou Jacques ?

- Ethan et Jacques sont chez le dernier, Julien dort encore à cette heure-ci et Jordan fait sa séance de jeux vidéos du dimanche. Et toi, t’es toute seule aussi. Marine n’est pas là ?

- Non.

Je ne sais pas trop quoi dire. Sarah et moi ne nous sommes jamais retrouvées seules toutes les deux.

Le barman s’approche.

- Mad’moiselle, vous désirez ?

- Un mojito menthe-citron sans alcool.

- Je reviens tout de suite.

Sarah continue de fixer tristement son Coca. Je me demande bien ce qu’elle a. C’est la pluie qui la déprime ? Le fait d’être seule ? Ou elle s’ennuie juste ? Ou bien autre chose de plus personnel ?

- Heu, ça va ?

- Bof…

Elle pousse son verre sur le côté et pose sa tête sur la table, entre ses bras croisés. Ses yeux commencent à s’humidifier. Zut, je fais quoi ? Mon mojito arrive et j’en bois une gorgée.

- Qu’est-ce qui ne va pas ?

Sarah se redresse et me détaille du regard. Je m’attends à ce qu’elle ne dise rien, mais elle répond simplement :

- C’est Ethan.

- Ça a un rapport avec votre baiser de l’autre jour ?

Ses yeux sont ronds comme des soucoupes.

- Comment tu sais ?

- Il nous l’a dit.

- Oh… Hmm, oui, en partie.

- Tu regrettes ?

Sarah joue avec une mèche de cheveux châtains et réfléchit intensivement à ma question.

- Non, à vrai dire… je...j’ai...enfin...genre...aimé…l’embrasser…

Sa voix est un murmure à la fin.

- T’as aimé embrasser Ethan ?

Je lève un de mes sourcils.

- Oui, chuchote-t’elle. Le truc c’est…(Elle soupire) Après qu’il m’ait embrassé, j’ai flippé et je l’ai repoussé. Mais je regrette. Maintenant, c’est gênant entre nous et...j’ai peur d’avoir perdu son amour.

- Pourquoi t’as eu peur ?

- Je ne m’y attendais pas. On se serait cru dans un film, il m’a regardé et il s’est penché. J’ai pas tout de suite compris… Et après je lui ai dit que je ne voulais pas qu’il se fasse des faux espoirs. Même moi je ne comprends pas pourquoi j’ai dit ça… Il était énervé après… Enfin, c’est sûr qu’il ne m’aime plus…

Elle se prend la tête entre les mains.

- Et tu l’aimes ?

- Oui.

Aïe. Je pense à Marine. Elle aussi aime Ethan. Et s’il apprend que Sarah l’aime, il sortira sûrement avec elle. Et Marine sera déçue. Je la connais, elle ressent ses sentiments très fortement, et elle les montre énormément. Elle en pleurera. Certains trouveraient ça exagéré, mais elle est comme ça. Ça ne doit pas être simple de ressentir les émotions avec une telle ardeur qu’on en souffre beaucoup. C’est pour ça que dès qu’elle est joyeuse, elle monte sur ressort, elle est surexcitée et dès qu’elle est triste, elle reste seule dans son coin, la larme à l’oeil. Je ne sais pas si ce mot existe, mais je dirai qu’elle est surémotive (j’ai cherché sur Internet, ça n’existe pas, mais tant pis).

- Tu crois qu’Ethan et moi, ça pourrait marcher ?

Sarah a attrapé mon verre et tourne la paille rayée entre les glaçons, les feuilles de menthe et le citron. Je le fixe.

- Désolée, j’ai besoin d’occuper mes mains. Tiens, je te le rends.

Elle fait glisser le verre près de moi et repose sa question.

- Oui, je pense.

Le truc c’est que physiquement, vous n’allez pas du tout ensemble.

Je me retiens de le dire. Sarah est déjà assez bouleversée comme ça.

- Merci pour le soutien, Mia. Ethan est toujours à se plaindre de toi, mais t’es vraiment sympa.

- Tu veux aller marcher ?

- J’aime pas être dehors quand il pleut, dit-elle.

- Alors pourquoi t’es sortie ?

- Hum… C’est difficile avec mes parents en ce moment. Ils se disputent, et y a aussi deux ou trois tensions avec moi. Comme quoi je les déçois, j’ai des mauvaises notes… Je suis partie après m’être engueulée avec eux.

Sarah est tout le contraire de Marine. Elle ne montre pas ses sentiments. Au lycée, elle a toujours un énorme sourire, elle est optimiste, elle ne parle pas d’elle. Alors qu’elle a pleins de problèmes.

- Pourquoi tu n’en parles pas avec les mecs ?

Elle me regarde, perplexe.

- On a tous des problèmes. Et puis, je n’ai pas à me plaindre de mes parents, alors que Jordan n’en a même plus. Je ne peux pas non plus me plaindre de mes relations amoureuses, parce que c’est encore plus difficile pour Julien en tant qu’homosexuel. Je les soutiens. Je ne veux pas plomber l’ambiance avec mes soucis débiles.

Sarah trépigne sur sa chaise.

- Je suis mal à l’aise quand je parle de moi. Regarde, ça fait 15 minutes qu’on est au bar, et à cause de mes problèmes, y a des gros blancs… Je préfère faire comme si tout allait bien et sourire. Ne t’inquiète pas pour moi.

Ce sourire n’est donc qu’une façade. Je la respecte pour ça. Le fait qu’elle fasse passer les autres avant elle. C’est vraiment une bonne fille. Marine ne devrait pas lui en vouloir ou l’appeler Miss Parfaite comme elle a l’habitude de le faire.

C’est vrai que, de l’extérieur, Sarah a l’air d’être parfaite. Elle est jolie, intelligente, populaire, à l’écoute des autres, à l’aise avec les mecs, issue d’une famille aisée… Mais pas du tout, en fait.

Je me note mentalement de ne pas rester sur une première impression. Et d’apprendre à connaître les gens avant de les juger.

- Enfin, c’est pas très joyeux tout ça. On y va ? demande-t’elle gaiement.

Plus aucune trace de sa tristesse, elle est de nouveau la Sarah joviale que je connais.

La pluie s’est arrêtée, et je propose à Sarah de venir chez moi boire un chocolat chaud avec les cookies et les cupcakes que j’ai fait hier avec Marine. Elle accepte avec joie. Je pousse la porte de la maison, et Maman salue Sarah.

- Bonjour, tu es une nouvelle amie de Mia ?

- Maman, je te présente Sarah. Oui, c’est une nouvelle amie.

- Puis-je rencontrer tes parents, Sarah ? Pour savoir un peu...

- Les parents de Sarah sont très occupés, coupe-je. On verra ça un autre jour.

Sarah me lance un sourire timide et un petit hochement de tête pour me remercier.

- D’accord, répond Maman. Fais comme chez toi, Sarah.

On passe à la cuisine prendre les gâteaux et les boissons et on monte dans ma chambre. Sarah s’assoit sur mon lit et goûte un des cupcakes.

- Ils sont délicieux, Mia.

- Merci. Je les ai fait avec Marine hier.

- Tu sais… J’ai toujours envié Marine d’être ton amie. Quand t’es arrivée le premier jour, j’ai voulu te venir te parler. Mais comme Jordan et Ethan se moquaient de toi, j’ai pas osé. Et Marine m’a devancé.

Dis donc, j’en apprends des choses sur Sarah aujourd’hui.

- Ah… On a quand même fini par devenir amies, souris-je.

- Pas faux.

On enchaîne sur divers sujets plus joyeux. Sarah est vraiment sympathique, en fait. Elle rit souvent, un peu comme Marine.

À 18 heures, elle me remercie pour tout.

- Je dois rentrer chez moi et m’expliquer avec mes parents. On se voit demain au lycée.

- A demain, Sarah.

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