Reconstitution parcellaire délirante
Jeudi, centre de Paris. Cinq jours après le départ de Karl. Plusieurs jours que j'enchaîne les rendez-vous, dénichés sur la première application de rencontre trouvée. Pas de tris par centre d'intérêt ou quoi, c'est de la merde, si j'avais besoin d'un double je maîtrise très bien l'onanisme et la discussion avec moi-même. Bref, j'ai enchaîné les rencarts pourris ces derniers jours, finissant par croire que le hasard ne fait pas si bien les choses.
Je me rends au 2bis, plutôt un bar d'étudiants, pas loin de Jussieu. Il s'appelle Thomas, prénom le plus donné son année de naissance, qui doit être 1996 si je ne me suis pas gourée. Quatre ans plus jeune que moi : peu importe. Enfin peu importe, je le sens mal, de grandes chances, si on peut dire ça comme ça, que ce soit encore un ado attardé. Je n'ai pas beaucoup d'autres informations, juste une photo, où il m'a l'air plutôt sérieux, souriant et posé. On s'accroche à ce qu'on peut.
J'attends à une table, à l'entrée à droite, parmi les tables de deux. J'ai mis un haut rouge, comme annoncé. Et le voilà. Forcément, il a l'avantage de l'âge, pas encore le bide à bières qu'il aura d'ici deux ou trois ans à peine. Une coiffure de footballeur qui brise doucement mes premiers espoirs, mais j'ai la foi, je ne m'arrête pas à ça.
- Bonjour, enchanté, moi c'est Thomas.
- Bonjour... heureuse de te rencontrer, moi c'est Anaïs, assieds-toi.
Il faut bien montrer qui dirige ici. Je lui souris, de ce sourire bête que je maîtrise si bien. Il me fait la bise d'instinct, pas très assuré quand même. J'entame les hostilités.
- Alors, c'est la première fois que tu rencontres quelqu'un par cette appli ?
- Euh... Pas vraiment, mais disons que ça finit toujours par être compliqué, car j'ai l'impression que beaucoup ne recherchent rien de sérieux.
- Belle technique d'approche, ce n'est pas un peu trop de promettre la lune si tôt ?
- Ce n'est pas une technique, je ne joue pas ! j'ai vraiment besoin de trouver quelqu'un qui correspondra à mes besoins actuels et à ceux de...
- Oui, oui. Je connais ce stratagème, habile.
Je laisse un silence gênant s'installer.
- Bon d'accord j'arrête de te taquiner. Donc de quoi as-tu vraiment besoin aujourd'hui, toi ?
- J'ai besoin de trouver une personne qui saura s'adapter à ma vie actuelle.
- Ohhhhh seulement ça ? Et pas l'inverse ?
- Disons que souvent, ma situation demande bien plus d'acceptation que celle des autres. J'ai un travail mine de rien assez chargé et en parallèle de ce temps partiel en tant que plombier, j'essaie de me faire une place dans le secteur de l'énergie avec un projet d'autoproduction d'électricité. C'est un projet qui me tient...
- Mais moi aussi je travaille, figure-toi, et tu parles à une doctorante fraichement diplomée en philosophie ! Donc je vais enseigner, écrire, chercher, tout ça va me prendre un temps...
- Mais ce n'est pas tout, en fait. Excuse-moi de te couper, mais je veux savoir avant toute chose, sinon je peux m'en aller dès maintenant, si tu es prête à accepter ma fille.
Alors c'est ça, quand quelque chose de totalement imprévu et bouleversant te tombe sur la gueule ?
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