Il était super ce Thomas hein ? Alors pourquoi je vais voir ce Kévin ? Oui, Kévin. Kévin. Kévin. Il faut le dire plusieurs fois pour ne pas en avoir honte. Ou peut-être que c'est pire. Ou peut-être qu'en fait on se fait des montagnes d'un prénom. J'en sais rien. Je m'en fous. Je l'appellerai Chérie de toute façon. 

Ouais je sais ce que je dis des rencontres par affinités, c'est de la merde etc. Cela dit, lui, il fait plein de trucs super cools. Le mec qui va en Afrique et en Haïti pour aider des enfants et leur apprendre des techniques pour mieux vivre via le mieux bâtir, mieux créer une agriculture locale. Dans le genre héros des temps modernes.

Bref, Kévin. Un gars en retard. De dix minutes. Le voilà qu'il arrive, un peu plus gros que sur sa photo, soit, pas grave, personne n'est parfait.

• Bonjour, enchantée, moi c'est Anaïs.
• Bonjour, Kévin, me dit-il en me faisant la bise.
• Je t'attendais pour prendre à boire, tu prends quoi toi ?
• Euh, je vais prendre... comme toi !
• Ok super, s'il vous plaît, deux Mojito !
• L'originalité totale...
• Eh oui, on ne se refait pas.
• Donc, dis-moi Anaïs, que cherches-tu aujourd'hui ?
• Je cherche quelqu'un qui me recherche.
• Ah... C'est à dire ? Quelqu'un qui recherche un archétype défini : "une fille comme Anaïs" ?
• Vu comme ça, c'est pas top en effet. Mais, grosso modo, oui. Qu'est-ce qui amène un homme de 27 ans à être célibataire ? Aucune rencontre au fur et à mesure des missions ? Pas de Nigériane à se mettre sous la dent ?
• Haha je vois que tu as bien regardé mon profil, c'est gentil ! Disons que comme j'ai beaucoup passé de temps à l'étranger, à faire des plans avec mes amis pour réussir à mettre en place quelque chose de durable pour tous ces gens qu'on aide... ça a été compliqué au niveau sentimental. Pour être honnête, il n'y a rien eu de durable depuis mon adolescence. Et je ne suis pas vraiment prêt à m'arrêter du jour au lendemain, il nous reste beaucoup trop à faire.
• "Nous", tu veux parler de qui ? le défiai-je.
• Mes amis. Nous sommes un groupe de six, bien soudé, depuis dix ans environ. On a fait tous les coups humanitaires ensemble.
• Oh super ! Moi je n'ai pas vraiment de groupe, enfin, tous mes amis ou presque étaient aussi ceux de mon ex... donc au final, je n'ai plus de groupe d'ami à proprement parler, juste quelques amis par-ci par-là, la crème de la crème, et les collègues doctorants.
• Ah ouais, j'ai vu ça, tu es doctorante en philo. Le genre à tout intellectualiser c'est ça ? me sourit-il.
• Tu sais, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec toi, je dirais que c’est d’abord des rencontres. Des gens qui m’ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j'étais seule chez moi...
• ... Et c'est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent...

Il est interrompu par les mojitos. Le courant passe, j'ai l'impression. Au-delà de ça, les regards, puisque tout est là-dedans, dans ce qui se vit seulement, sont vrais et puissants. On se touche et on se vit à travers tout ça. La soirée continue ainsi, entre références communes, certes, ce qui fait toujours plaisir mais flatte surtout l'égo, mais aussi avec de nombreuses choses qui ne nous réunissent pas, celles qu'on admire d'abord pour ensuite les détester car elles nous éloignent. Mais on reste ébloui, j'admire son courage, son dévouement et sa capacité à être sur tous les fronts à la fois. Il aime ma spontanéité, mon humour et mon cynisme. Alors profitons-en.

Et on sait tous comment se terminent ces rencontres-là, quand les yeux dans les yeux puis la main dans la main et puis pièces par pièces on remplit à nouveau mon appartement de vie à travers nos voix qu'on laisse éclater partout à coups de petits amours humains mais moteurs de notre vie.