Mon compère Jonas

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- Mon compère, je crois que le moment est venu pour moi de m'en aller, me confessa Jonas. Je n’ai pas été très prudent dans mon job. Tu te souviens de…

Une quinte de toux secouait vigoureusement le bonhomme, terrassé par une forte fièvre depuis quelques jours. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. En peu de temps, il avait considérablement maigri. Je ne le reconnaissais plus. Son visage était osseux et de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Et de temps en temps il suffoquait. Ses orbites n’étaient plus que de gros trous dans lesquels s’étaient réfugiés des yeux qui renvoyaient un regard triste et résigné. Si ma mémoire était bonne il était dans la quarantaine tout comme moi, pourtant sur ce lit fait de vieux haillons, il faisait le double.

- Oui tu te souviens, reprend-il avec difficulté. De ce jeune homme. Il était costaud. Son enterrement a eu lieu à l'église Sacré-Cœur.

- Oui je me souviens de lui.

Je lui faisais savoir en secouant la tête affirmativement. Cette réponse était surtout pour le retirer dans l’embarras de me fournir plus d’explications, mais en réalité je ne me souviens de rien. On avait trop de jobs avec les morts à lever. Surtout en période de fin d’année. Les gens tombaient comme des mouches et nous les ramenions à la vie comme des dieux.

Le pauvre Jonas souffrait lamentablement mais il essayait de m’expliquer l’origine de sa maladie.

- Je ne te l’avais pas dit mais après avoir récité les incantations, je ne sais pas comment mais en sortant de sa tombe, il m’avait surpris avec quelques sabòk. parvint à dire Jonas avec une voix à peine audible. Il m’a fallu réciter d’autres incantations pour le maitriser mais il était déjà trop tard pour moi. J'étais fait comme un rat. Mwen te monte sou yon resif.

Il a fait une pause pour reprendre son souffle. La chaleur dans cette pièce exigu qui lui servait de chambre ne l'aidait pas. J’étais assis tout près de lui sur une vieille chaise, qui sans aucun doute, était infestée de punaises qui n'arrêtaient pas de me piquer de temps en temps. L’une de ces bestioles s’était même aventurée sur mes couilles. Discrètement, je m'étais débrouillé pour me défendre. Mais je prenais sur moi pour garder mon calme. Même devant un malfaiteur, il faut avoir un certain respect quand il ne va pas tarder à casser sa pipe. Et en plus ce malfaiteur était un collègue avec qui j’avais fait une multitude de coups alors je lui devais du respect.

- Mon compère…

Jonas n’a pas pu terminer sa phrase. Il était secoué pour une énième fois par une quinte de toux. Il s’était courbé et avait porté ses deux mains à sa poitrine pour maitriser la violence de ce toux. Cette fois, il était plus grave. Je craignais le pire. Il avait vomi du sang qui avait sali une bonne partie de son oreiller. J’ai appelé sa femme. Elle était horrifiée quand elle avait pénétré dans la chambre.

- Woyyy ! Fwa sa nou pedi Jonas.

Je lui ai tout de suite demandée d’apporter de l’eau et une serviette. A deux, on a essayé tant bien que de nettoyer le sang et de passer un peu d’eau sur le visage de Jonas.

Les lèvres de Jonas étaient sèches. L’homme était complètement abattu. Il ouvrait de temps en temps ses yeux comme s’il craignait qu’en les gardant fermé trop longtemps il risquait de passer l’arme à gauche plus vite. Je regardais mon compère Jonas tout en pensant au risque du métier.

Quelle tristesse ! Moi et compère Jonas, on avait commencé notre carrière de malfaiteurs ensemble il y a vingt ans de cela en province. A Saint-Raphaël, là où nous avions grandi. Au début, on se contentait de fabriquer quelques potions magiques qu’on vendait à des personnes qui voulaient se débarrasser d’un ennemi. Une femme qui voulait en finir avec une rivale. Un homme cocu qui se vengeait de l’effronté qui avait osé goûter à sa femme. Ou encore ceux qui voulaient éliminer quelqu’un pour récupérer son travail. Après, pendant une courte période, on tendait des batteries sur commande. On était très doué. Ces procédés magiques étaient si efficaces que même commanditaires étaient stupéfaits. A l’époque, les armes à feu n’étaient pas si à la mode. On réglait les aléas de la vie quotidienne à la bonne vieille méthode de chez nous. Pas mal de gens avaient des comptes à rendre. On gagnait bien notre vie. Notre réputation était tellement établie que des gens en ville faisaient appel à nous. Nous avions même travaillé pour des politiciens biens connus. C’étaient même nos plus grands gros clients. Pendant les périodes des campagnes électorales nous étions très demandés.

Quelques années plus tard, avec l’argent que je gagnais, j’avais laissé Saint-Raphaël pour m’établir en ville. J’avais construit une petite maison de trois pièces à la Cite du Peuple et entretenais ma famille. Ma femme, Marie-Louise, une marchande de chen janbe que j’avais engrossée, et les huit enfants que nous avons engendrés. Jonas avait fait le même choix que moi. Il avait, lui aussi, construit sa maison et s’était établi dans le même quartier que moi. Ainsi on était voisin. Ensemble, on concoctait de potions beaucoup plus efficaces et élargissait notre clientèle qui était très satisfaite de nos produits. Certains dans le quartier nous haïssaient secrètement mais nous craignaient encore plus.

Un jour, par un heureux hasard, on s’était vite rendu compte que l’activité de leveurs de morts était beaucoup plus lucrative voire même jouissive quand on tombait sur une zombie, une femme avec des postérieures imposantes et tentantes. Dans ces cas-là, avant de rapporter ces femmes qu’on n’aurait jamais eues dans la vie courant, on profitait pour tirer quelques coups. Que voulez-vous même devant une zombie, belle et attirante qui plus est, la chaire est faible. Quant aux hommes, on les fouettait vigoureusement. Surtout quand ils posaient des problèmes. Fallait les voir, ces grands gaillards qui se prenaient pour des dures. Je me rappelle bien qu’un jour un jeune homme s’était vidé les intestins sous les coups d’igwaz. A deux, Jonas et moi, on maîtrisait toutes les situations.

Mais depuis quelque temps, je soupçonnais Jonas de faire cavalier seul. A maintes fois, il faisait des jobs dans mon dos alors qu’il savait très bien que c’était trop risqué.

- Mon compère, parvint à articuler Jonas comme s’il venait de parcourir un marathon, dis-moi est-ce que tu vas les empêcher de me lever et de me fouetter ?

Merdre ! Je n’avais pas pensé à cette question…

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