- Plaintes d'une Icare -

Vivre dans ma tête c'est souffrir d'un carcan de souvenirs, ne jamais pouvoir s'extraire d'un étau de pensées inavouables, inavouées, inépuisables qui m'usent à toute heure du jour. Pire est le midi quand le soleil s'impose au zénith car on a beau tirer les rideaux sur les pupilles vitrées, claquer les volets sur les yeux fenêtres de pseudo-charme, la lumière s'infiltre par le moindre interstice. Ainsi est véritablement mort Icare : affalé sur un matelas de jeunesse, contemplatif professionnel de son plafond constellé de moustiques et d'ombres qui le toisent. À douze heures tapantes d'une semaine quelconque, le ciel s'invite, saisissant de fougue, irrité par une terrible rage de vent, et alors, ce rayon que le rêveur aime tant devient surin.

Icare est une plainte éternelle, maison de ma tête incarcérée dans un corps immeuble, et sur mon mur bat encore par intermittence une paire d'ailes.

Mais la nuit n'est pas en reste, succession de longues heures vaccinées dans l'enfance contre l'essence même du repos. Questionnez donc les lattes de mon sommier qui me reprochent depuis des années ces éclisses jalonnant leurs côtes. Je force sur la musculature de mon lit, que voulez-vous, reconnaissez-là l'incessant mouvement de crêpe des bienheureux-lytiques qui ne savent pas trouver l'absence de soi dans l'immensité derrière les paupières. Je crois que je ne sais pas nager, du moins, pas en pleine mer. Et quand Icare chute, on n'aperçoit jamais la terre.

[Les plaintes d'un Icare - Baudelaire]