dB 66
Cher.e Ami.e,
J'ai planté une graine comme tu me l'avais demandé, j'en ai fait un tronc robuste que mes omoplates transpercent de chaque côté comme autant de palettes sur lesquelles les peintres peuvent mélanger leurs pigments, touiller les gouaches. Un tronc robuste que personne ne s'enjoint à plier, un bourreau des intempéries, un mat de terre. Et tout contre cet arbre, j'ai plaqué la chair comme elle venait, informe et grumeleuse, par morceaux, même ceux qu'on avait déjà entamés.
Ami.e, j'ai fourré le sol des viscères de ma poitrine en espérant que tout repousserait moins sot, moins lâche, plus beau mais ne garde aujourd'hui plus que mon thorax béant et la terre a gobé ce qui devait croître grandiose comme les vieux et fiers marronniers qui peuplent les chemins de campagne. Ami.e, j'ai planté une graine et le tronc, échine de l'être, m'est un inconnu impossible à supporter ; j'avais pourtant tout laissé en lisière de soirée, là où le fleuve croise le cri du verre en chute. Je pensais : ici, le monde se laisse à rêver, ici est une bulle toute petite, flottant comme tes nombreux égards, un univers frêle où les poissons peuvent barboter. Je me suis trompée, ma colonne s'étire, couverte d'écorce comme un tronc robuste qui refuse de plier. L'inertie m'enlace, la cigarette crève dans un cendrier quelque part au loin et j'en inspire l'odeur de tabac abandonné.
Ami.e, on disait que l'humain est un peu... grossier. Et je cuisine fort bien la candeur, t'en ai gardé une part dans le congélateur alors passe donc, un de ces jours où il ne fait plus bon croire. Nous la goûterons ensemble. Pour se regarder, les cieux dans les cieux rien qu'une minute, car je me souviens de la nuit dernière pendant laquelle je me sentais si seule d'avoir dansé longtemps dans l'éther glacial et le réveil m'avait cueillie avec un drôle d'air. J'avais pourtant planté la graine, comme tu me l'avais demandé. C'est devenu un tronc robuste que mes omoplates transpercent de chaque côté mais, là où les peintres gribouillent, il ne fait jamais bon vivre, mieux vaut ne pas trop penser, mieux vaut créer le vide et voir ce qui explosera ensuite. Ami.e, c'est exactement comme on le disait : on colmate les brèches avec ce qui passe, je plaque la chair comme elle vient, informe et grumeleuse, par morceaux, même ceux déjà entamés.
In my mind - wallners
Postcard from Madrid - Oscar Anton
Paysage - Coline Rio
Annotations
Versions