dB 9.3/4 : Bien trop de jaune, la naissance d'Achille
Partie 3 .
Il est sept heures, j’ai sept ans, la bouilloire siffle, blèse, vacarme pour moi qui crains de vivre trop amplement. Les pieds de la chaise raclent contre le sol mais, la porte de la cuisine fermée, on étouffe facilement ce qu’il s’y passe. Un pied après l’autre, je me hisse sur le siège pour regarder par le carreau. Une départementale cabossée longe la maison, les voitures y déboulent en sprinteuse du dimanche toutes les deux heures, du reste, c’est plutôt calme. Un air de fin du monde flotte comme une flamme. Il est sept heures, la bouilloire siffle, les adultes dorment. La baguette d’hier dans le bac en bois puis en tranche à dorer dans le grille-pain Moulinex, le beurre frais tiré du réfrigérateur qui sent très fort le coulommiers passé de date, la marmelade dans le décaféiné. Des appels de phare, l’été, quelques années plus tôt, bien trop de jaune et la bouilloire stridule comme les cigales. J’attends l’éveil du monde, découvre les textures de la pulpe des mains et des orteils, associe les idées. Je retiens les odeurs, le musc d’un personnage fantasque et désagréable qui vit en ces lieux en fantôme de chair et de mirages d'un passé poussiéreux. À cette époque, je savais déjà qu’on pouvait mourir des dizaines d’années durant avant d’apercevoir enfin la lumière au fond du tunnel.
Mais, vous savez, il a une personalité très complexe.
Je tâtonne, curieuse, dans les vastes placards et les tiroirs à faux-fonds, mais ne retrouve pas une bouteille d’alcool. J’ai sept ans, je connais la couleur des cerises. Mais à bien fouiller, il y a cette boite de cachets tout en haut de l’armoire, près du micro-onde huileux de traces de doigts. Dans un petit récipient en osier, recouvert d’un tissu blanc. Je laisse tout en place, Maman me croit candide et Mamie ne berne plus l’enfant. Aujourd’hui on le dit sobre, mais sait-on de quoi on parle véritablement... Après tout, moi aussi on veut me donner des médicaments et son armoire trône chez nous.
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