Le général Douma lisait avec satisfaction les dernières communications du centre de renseignement et d'interception de la frontière Ouest. En temps normal, il aurait été agacé et courroucé de la prise d'initiative de ces militaires, mais le Coq excusait toute prise de confiance. De toute manière, ils lui avaient également transmis le véritable message de l'espion ennemi, ce qui lui avait permis de suivre le même raisonnement et d'arriver à la même conclusion. Et quelle conclusion ! Maintenant que cette information était à leur disposition, ils allaient pouvoir gagner cette guerre rapidement, et peut-être même préparer la suivante. Mais la priorité était de détruire la Fédération des Royaumes de l'Est. Ce qui allait s'avérer beaucoup plus simple à présent que le Coq avait lamentablement accompli sa mission.

« Mon général, j'apporte des nouvelles du front de l'Est. »

Douma se retourna et vit face à lui le commandant Marco Leone, qui dirigeait la récente contre-offensive au Nord du front de l'Est. Responsable à lui seul de la chute d'un des royaumes fédérés ennemis, Marco était un militaire d'une rare intelligence dont la lucidité au combat et l'intégrité politique faisait l'unanimité dans les hautes sphères de l'Empire. Le général sourit.

« Commandant Leone, l'accueillit-il. Je vous remercie de votre présence et de votre dévouement.

- Nous progressons lentement mais sûrement, poursuivit le jeune commandant. Le temps joue pour nous. Cependant il faudra que nous continuions de recevoir des renforts et de l'approvisionnement de manière soutenue, sans quoi nous ne tiendrons pas face à l'ennemi.

- Parfait, parfait...

- Je dois en outre vous prévenir d'un fait plutôt inquiétant. C'est la véritable raison de ma venue.

- Quoi donc ?

- Lors de la prise d'une ville, il y a quelques jours, nous avons capturé un diplomate ennemi qui avait tenu à se faire constituer prisonnier par nos troupes. Il était porteur d'un avertissement préoccupant pour nous. D'après lui, nous sommes sur le point d'être attaqués sur un second front.

- Un second front ? Vraiment ?

- Je vois bien votre amusement, général, répondit Marco sans une once de manque de respect. Je vous avoue que l'homme ayant délivré cette information de lui-même, après s'être livré de son plein gré à nos soldats, me fait douter de ses paroles, qui pourraient très bien n'être qu'un mensonge destiné à nous destabiliser. Mais il vallait mieux que je vous en informe de toute façon. Le risque serait trop grand, et une attaque surprise pourrait nous faire perdre l'initiative au front de l'Est, voire le faire s'effondrer comme un château de cartes. La situation est pour l'instant maîtrisée, mais il s'en faudrait de peu pour que tout bascule. »

A ce moment-là le général Douma éclata d'un rire bruyant qui surprit le commandant Leone. Il sut néanmoins bien vite que son supérieur n'était pas en colère contre lui, et cette pensée le décrispa.

« Commandant, vos inquiétudes sont légitimes, et révèlent votre compétence. Mais je prends sur moi de vous communiquer des renseignements qui vous dérideront autant que moi. Vous ignorez certainement qu'un espion de l'Ouest appelé le Coq s'est inflitré chez nous pour tirer des renseignements de notre armée afin de jauger notre puissance en ces temps belliqueux. »

Le commandant ouvrit des yeux inquiets, ce qui fit à nouveau rire le commandant.

« Ne vous inquiétez pas ! Cet espion n'a aucune valeur. On sait qu'il fut recueilli par un organisme public de son pays quand il était un petit enfant ; il ne connut pas ses parents. Elevé à l'abri du besoin mais dans une pauvreté manifeste, il s'engagea rapidement dans les services secrets de sa patrie, et finit par devenir espion. Toutes ces missions ont été des échecs, et si vous voulez mon avis, la seule raison qui fait qu'il n'a pas encore été viré tient dans son état d'orphelin secouru par le gouvernement qui a pu devenir quelqu'un.

- Qu'a-t-il pu transmettre à l'ennemi ?

- Oh, beaucoup d'informations ! Mais le fait est que nous avons toujours pu les intercepter, toutes. Cela vous donne une idée des compétences de ce malheureux espion.

- Cela ne me rassure pas pour autant... A-t-il été capturé ?

- Non, mais voici le dernier message qu'il a émis. Tenez. Lisez-vous même, et prenez votre temps. »

Le commandant Leone s'exécuta et après trois minutes, fronça les sourcils.

« Codait-il tous ces messages de la même façon ?

- Oui ! Incroyable n'est-ce pas ? Le Coq est célèbre dans tout l'état-major pour ses prouesses de cryptage.

- Le message compte vingt-cinq phrases, et cette annexe va jusqu'à cinquante... réfléchit Marco, ignorant l'ironie du général. Et cet indice...

- Je sais ce que vous vous dites, commandant.

- Ce n'est pas possible, voyons. Tous ses précédents messages étaient-ils réellement codés en prenant le premier mot de chaque phrase ?

- Oui. C'est assez stupéfiant, je vous l'accorde.

- D'où son indication de prendre le début, mais aussi la fin... Et l'annexe qui donne la ponctuation pour les cinquante mots obtenus...

- Vous avez tout compris, Marco. Je n'en attendais pas moins de vous.

- Le texte final est donc le premier et le dernier mot de chaque phrase... C'est-à-dire ceci... »

Marco Leone griffonna encore une petite minute sur un papier et lut d'une voix morne mais claire :

« En nuée notre ennemi meurtri fait voeu de lacédémonien pour exploiter militairement ab abrupto le moindre accident diplomatique. Trauma possible, qu'importe. Escomptez-vous ma position ?Inaction militaire totale, sinon naîtra une nuit éternelle. Voici objectivement comment leur oubli nous renforce ; sans controverse ils resteront neutres, ainsi personne ne mourra. »