27. Le roi du minou prend cher
Sacha
— Tu ne réponds pas ?
Je jette un œil à mon téléphone que j'ai laissé sur l'étagère derrière le comptoir pour m'aider à résister à la tentation de décrocher et qui n'arrête pas de vibrer depuis. Livia, bien entendu, l'a remarqué et a tenu une bonne demi-heure avant de m'interroger enfin. Je lui souris et me demande si je dois lui confier mon dilemme ou s'il vaut mieux que je le garde pour moi.
— C'est un de mes potes de Mantes et je crois qu'ils ont besoin de moi pour un business, décidé-je finalement de me confier. Je ne sais pas si je serai capable de refuser si je leur parle… Pathétique, non ?
Elle ne me répond pas tout de suite car un couple vient d'entrer et passe commande. On est bientôt à l'heure de la fermeture mais il y a encore un peu de monde. Je prends mon téléphone en main et hésite à écouter les messages qui ont été laissés sur mon répondeur. Ma collègue s'approche de moi, soucieuse. Je suis à la fois heureux qu'elle se préoccupe ainsi de moi mais aussi un peu honteux qu'elle soit la témoin de mes hésitations. J'ai l'impression de ne pas être un vrai mec quand je me comporte ainsi.
— Non, c’est plutôt honnête et lucide, bravo. Si tu veux que je te donne un coup de main, je peux hurler à ma mère que tu utilises ton téléphone au boulot, elle va te le confisquer comme à l’école. Sinon… je suis sûre que tu sais ce que tu dois faire.
— Tu sais que j'ai l'impression que j'ai toujours une dette envers mes anciens potes ? Je les ai abandonnés pendant trois ans et je me sens coupable à cause de ça. La seule chose qui me retient, c'est le message que j'ai reçu de ma sœur… Je t'ai dit qu'elle m'avait envoyé un SMS ? J'ai son numéro si tu veux toujours la contacter d'ailleurs…
— Positif, le message ? Je suis contente pour toi, elle ne lâche pas l’affaire, tu vois ? Et tu ne devrais pas te sentir coupable. Ce sont eux qui te sont redevables, à mon avis. S’ils sont encore dehors, c’est que tu ne les as pas balancés.
— Elle me dit juste que si je replonge et retourne en prison, elle ne me le pardonnera jamais. Et qu'elle a dit oui à des visites médiatisées. Ça veut dire en présence d'un travailleur social, ajouté-je, pas sûr qu'elle maîtrise le jargon de la protection de l'enfance. Comme si j'étais dangereux pour elle.
— Ils sont pas censés vous aider, les éducs ? Genre… à communiquer ? Au moins, tu vas la voir. Et oui, je vais prendre son numéro. Comme si je ne connaissais rien de la situation. Je me suis dit que… enfin, j’ai pas mal réfléchi à tout ça, et je ne voudrais pas que la situation te retombe dessus à un moment donné.
— Pourquoi ça me retomberait dessus ? Tu crois qu'ils pourraient lui interdire de t'aider à cause de moi ? Moi, tout ce que je veux, c'est qu'elle se porte bien et avoir une relation normale avec elle. Sans personne pour me surveiller et m'empêcher de lui parler librement.
— Non, ce n’est pas à ça que je pensais, même si effectivement, c’est une possibilité. Je me disais surtout que ça pourrait te retomber dessus, dans le sens où tu aurais manigancé ça pour la voir sans éduc, tu vois ?
— C'est un peu le cas, mais bon, ça ne coûte rien de lui demander. Si vraiment elle ne veut pas me voir, elle est libre de refuser. Il faut juste que tu sois transparente quand tu lui fais la proposition…
— Tu crois ? Très bien… Je lui dirai donc que c’est moi et mon complexe du sauveur qui avons manigancé tout ça, sourit-elle.
Je repose mon téléphone après avoir effacé les notifications et vais m'occuper du rangement dans l'arrière-salle. Je m'interroge vraiment sur la sollicitude dont fait preuve ma collègue. Est-ce qu'elle fait tout ça juste parce qu'elle a un complexe du sauveur ou bien y-a-t-il un peu plus comme je me plais à l'imaginer ?
Je finis de ranger les mugs dans l'armoire derrière le comptoir et l'observe aussi discrètement que possible. Franchement, il y a de quoi fantasmer quand on la regarde. Déjà, je crois que le mot qui lui conviendrait le mieux, c'est "voluptueuse". Elle a une poitrine et des fesses bien rebondies qui feraient bander n'importe quel homme normalement constitué. Et ce sourire qu'elle me lance quand elle capte que je suis en train de la mater, il est divin. Une vraie invitation à venir l'embrasser et à la serrer dans mes bras. Livia est, je crois, la plus jolie femme que j'ai jamais rencontrée. Le souci, c'est que je ne suis pas le seul à apprécier le spectacle offert par ma splendide collègue. Le petit rouquin dans le coin n'en perd pas une miette non plus et, vu son regard et la façon dont il la mate, je crois qu'il est en train de fantasmer sur elle alors qu'elle s'approche de lui pour prendre sa commande. Je tends l’oreille autant par curiosité un peu malsaine que par jalousie envers ce type qui doit avoir la trentaine…
— Donc, un petit brésilen corsé, ça marche. Pas de petite gourmandise ? Il nous reste quelques cookies et brownies. Ah, et le patron a fait des chaussons aux pommes, j’en garde un pour moi, mais si vous le voulez, je me sacrifie.
— Une gourmande, ça me tente bien, répond-il d'une voix très grave au vu de sa carrure. Il n'y a pas au menu une jolie brune avec un cul d'enfer ?
Non mais, il se prend pour qui, là ? Mon sang ne fait qu'un tour en l’entendant lui parler de manière aussi vulgaire. Je ne sais pas si je suis plus énervé par l'expression utilisée ou par le fait que j'ai peur qu'elle se laisse tenter. Je suis cependant vite rassuré quand j'entends sa réponse.
— Je ne connais pas cette pâtisserie, désolée. Et si vous cherchez une brune, c’est un bar qu’il faut, pas un café. On ne fait pas de bière ici. Donc, juste un café, Monsieur ?
— Ah, en plus, tu as du caractère, j'aime ça. Tu finis à quelle heure ? Une petite soirée avec moi, ça te tente ? On m'appelle le roi du minou, je te préviens.
Le roi du minou ? Rien que ça ? Ce serait presque drôle s'il n'avait pas ce regard de prédateur en la matant alors qu'elle ne se démonte pas face à lui. Quel professionnalisme !
— Je ne suis pas disponible, j’ai un autre boulot après celui-là, désolée. Je vais vous préparer votre café. On ferme dans vingt minutes, vous savez ?
Elle se retourne pour s'éloigner de lui mais il la retient par la manche.
— C'est un rencard que tu me donnes, ma jolie ? Tu as le feu au cul, on dirait.
Il ponctue sa phrase avec une petite tape sur les fesses de Livia et je ne me contrôle plus. Je bondis vers lui, bouscule un peu ma collègue sur le passage et attrape le roux par le cou, profitant de l'effet de surprise pour le soulever et le coincer contre le mur.
— Elle n'est pas intéressée, connard. Tu as besoin d'un dessin ? Les types comme toi qui manquent de respect, tu sais ce qu'on leur fait chez moi ? On leur coupe les couilles, hurlé-je, ivre de rage
— Lâche-moi, Ducon. Tu m'étrangles ! grogne-t-il en cherchant vainement à se défaire de mon emprise.
— Tu fais moins le Mec, là, hein ? Je vais te faire passer l'envie de mettre la main au cul des femmes, moi.
— Sacha ! intervient Livia à mes côtés. Lâche-le, laisse tomber.
— Ouais, lâche-moi, écoute-la si tu veux pas avoir de problèmes.
— Je m'en fous des problèmes, si tu crois que j'ai peur de retourner en taule, tu te mets le doigt dans l'œil.
La mention de la prison le fait blanchir et je suis ravi de voir la peur qui s'imprime dans son regard et qui remplace enfin la morve dont il faisait preuve jusque-là.
— C’est bon, c’est bon, je la dragouillais juste, laisse-moi tranquille, Mec !
Je croise alors le regard de Livia qui semble me supplier de m'arrêter là. Elle pose sa main sur mon épaule et immédiatement, je sens ma colère se dissiper. Je relâche finalement ma pression sur le cou du petit con qui se dégage vivement en frottant sa gorge.
— Ne t'avise plus de remettre les pieds ici, le menacé-je en m’avançant vers lui. Et la prochaine fois que tu veux manquer de respect à une meuf, dis toi qu'il y a peut-être un type comme moi pas loin qui n'hésitera pas à te casser la gueule.
Je suis obligé de me faire violence pour ne pas lui mettre une raclée alors qu’il marche à reculons afin de ne pas me quitter des yeux, visiblement effrayé par la violence dont j’ai fait preuve. Je n’ai peut-être pas répondu aux appels de mes potes mais je n’ai malheureusement pas oublié leurs façons de faire et la violence que l’on y vit et subit au quotidien. J’essaie de calmer ma respiration mais j’ai un mal de chien à faire retomber la pression et je n’y parviens que quand Livia renouvelle son geste d’apaisement à mon égard, en posant sa main sur la mienne. A nouveau, comme par magie, je sens la tension s’évacuer et je suis à nouveau capable de respirer normalement.
— Désolé, Livia, je n’ai pas supporté qu’il te touche.
— C’est rien… Merci, mais ne t’attire pas des problèmes par ma faute, tu veux ? Il y en aura d’autres, des clients comme ça, et… tu ne peux pas faire ça ici, Sacha, il va t’arriver des bricoles sinon.
— Comment tu fais pour rester zen comme ça ? Encore un peu, il te violait sous mes yeux, le con. Je… je n’ai pas réfléchi, tu vois. J’ai juste vu rouge.
— Je suis une femme. Je vis ça au quotidien ou presque. Tu sais que je me suis déjà fait harceler dans la rue alors que j’étais enceinte ? Certains mecs sont… dingues et sans limite. Je me demande comment des hommes peuvent en arriver là. Ils doivent bien avoir une mère, une sœur à qui ils ne voudraient pas que ça arrive… Bref, il n’était pas loin de se prendre une bonne baffe quand même, tu sais ? sourit-elle.
— Je crois que là, s’il a envie de recommencer, il réfléchira à deux fois avant de le faire. Je… je ne t’ai pas fait peur au moins ?
— Peur ? rit-elle. Non, enfin… disons que je n’aurais pas aimé que tu le cognes. Ça doit être le genre de types sans gêne qui irait porter plainte direct. Mais… j’ai trois frangins, tu sais ? Mon jumeau m’a déjà défendue au péril de ses poings. Vous êtes mignons quand vous nous défendez comme ça, vous les mecs.
— Content que tu trouves ça mignon, grogné-je en réalisant maintenant que si le gars avait porté plainte, j’aurais pu retourner directement en prison.
Je n’ai même pas encore eu mon rendez-vous avec mon conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation que je suis déjà en train de risquer ma liberté pour les beaux yeux d’une femme. Franchement, je n’ai rien dans ma p’tite tête, moi. Quel con.
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