28. Un dessin qui réchauffe l’atmosphère
Livia
— Et Poc, le petit dinosaure, court aussi vite qu’il le peut pour rejoindre son papa et sa maman. Il a vraiment eu très peur, mais il est rassuré de les retrouver, dis-je avant de tourner la page du livre. Maman dino le serre très fort contre elle et l’entraîne dans leur maison pour lui préparer un bon repas chaud qu’ils partagent tous les trois.
Mathis se frotte les yeux et récupère sa tétine en s’allongeant. Je lui souris et remonte le drap sur lui après avoir déposé le livre sur sa table de nuit.
— Morale de l’histoire, on ne part pas tout seul se promener, petit kangourou. D’accord ?
— D’accord Maman. Tu sais, j’aimerais bien avoir un papa, moi aussi ? Tu pourras en acheter un au supermarché la prochaine fois que tu y vas ?
Une partie de moi a envie de rire à cette idée, mais j’ai surtout de la peine pour mon fils. Pas toujours facile d’être maman solo, mais pas non plus l’idéal de n’avoir qu’un parent. Mathis me demande parfois où est son papa, et j’ai toujours été à peu près honnête avec lui. Pas d’omerta dans cette maison, mais ce n’est pas évident d’expliquer les choses à un enfant.
— On n’achète pas un papa au magasin, mon Cœur, souris-je en m’allongeant à côté de lui. Moi aussi, j’aimerais que tu aies un papa, mais on doit faire sans, tous les deux. Heureusement que tu as trois tontons au top et un papy qui adore bricoler avec toi, non ?
— Ah oui, c’est bien d’avoir plein de tontons ! Papy aussi, mais il est trop ronchon. Tu vas dormir avec moi ?
— Non, mais je vais te faire un gros câlin, tu veux bien ?
— Oui ! J’adore les câlins, me répond-il en se tournant vers moi et en m’enserrant dans ses petits bras.
Je le serre contre moi et lui fais une tonne de petits bisous qui le font rire. Pas la meilleure idée pour un endormissement rapide et apaisé, je le conçois, mais je crois que lui comme moi avions besoin de ça, là. Peut-être moi plus encore que mon fils, qui passe à autre chose bien plus vite que sa mère.
Je finis par arrêter, mais reste près de lui jusqu’à ce que j’entende sa respiration s’apaiser. En bonne maman-poule, je le regarde dormir un petit moment avant de me lever doucement et de sortir de sa chambre. Il en a un, de papa, qui n’a jamais rien voulu savoir de lui. Ce n’est pas faute de lui avoir envoyé messages et photos. Non, il n’a jamais voulu de gosses et c’était un caillou dans sa chaussure, rien de plus. Il n’imagine pas ce qu’il perd. Ce petit ange est la meilleure chose qui aurait pu lui arriver.
Je regarde l’état de l’appartement et soupire. Le petit ange est aussi une tornade… qui m’oblige à ranger tous ses jouets à vingt-et-une heures, qui me fait grimacer parce qu’il y a du feutre sur sa jolie table basse, des pâtes sous sa chaise… et une vaisselle de deux jours dans l’évier. J’ai presque honte de l’état de la pièce et je m’oblige à faire un coup de propre dans la cuisine avant de m’atteler à ranger ses voitures et ses dinosaures dans le bac à jouets du salon. Je souris en voyant un tas de feuilles gribouillées sur le table basse et les feuillette pour voir si je peux espérer une carrière artistique pour le petit monstre. Y a du boulot, mais j’arrive quand même à reconnaître notre chat, mes parents et… Sacha. Bon, pas difficile, il est le seul que Mathis côtoie qui ait de la barbe, hormis Diego, mais mon frangin est toujours affublé d’une casquette et d’une sacoche, comme l’original. Là, le barbu se trouve à côté de la princesse, et il n’a aucun signe distinctif qui pourrait laisser croire qu’il s’agit de mon frère.
J’attrape mon téléphone, posé près de la télé, et prends une photo du dessin que j’envoie à Sacha sans réfléchir. J’hésite à attendre sa réponse, mais je me décide à aller prendre ma douche avant, pour éviter de me poser dans le canapé et d’avoir la flemme de bouger après ça. Je me rends compte que je me dépêche une fois sous l’eau, et je ne traîne pas à sortir, sans doute pressée de me glisser sous les draps avec mon bouquin. Oui, bien sûr.
Je me sèche rapidement et enfile mon peignoir en sortant de la salle de bain. J’allume la petite lampe du salon et entrouve la porte de la chambre de Mathis avant de récupérer mon portable et de filer dans ma chambre. Self-control, je n’ai toujours pas déverrouiller mon mobile quand je m’allonge, mais un sourire débile se plante sur mon visage en voyant qu’il m’a répondu, et je m’empresse de consulter son message.
“ Trop fort, on dirait Picasso ! Et il a raison, sa maman est une vraie princesse. Tu ne dors pas encore ? ”
“ Picasso, vraiment ? Je crois que tu surestimes mon fils ! Dormir à cette heure ? J’ai 31 ans, pas 80, oh ! Et toi, pourquoi tu ne dors pas ? ”
“ Ton fils est déjà Don Juan, il peut cumuler avec Picasso, non ? 31 ans ? Tu ne les fais pas du tout. J’aurais dit 21 tellement tu as l’air jeune et belle. Tu es sûre que je ne dors pas ? J’ai pourtant l’impression de rêver en discutant avec toi. Je dois avoir 80 moi car je suis déjà au lit. ”
Si ça, ce n’est pas de la drague, je ne m’y connais pas. Je suis peut-être célibataire depuis des années, mais je suis encore capable de voir les signes, non ?
“ Arrête de me baratiner, on dirait un vieux chanteur lover, fais gaffe ! Figure-toi que je suis au lit aussi. Meilleur endroit au monde ! ”
“ Je ne baratine pas, je rêve, c’est mieux. Tu me fais une petite place ? Ou plutôt une grande vu ma taille ? ”
Nouveau sourire niais… Putain, je suis dans la merde, moi.
“ Il y a un chat au pied de mon lit, tu es prêt à rivaliser ? ”
“ Si c’est pour ronronner quand on me caresse, ça peut se tenter. Pour les câlins aussi, mais je n’ai pas de moustache, moi. Et je ne griffe que si on me le demande. Tu crois que je peux relever le défi ? ”
Il a quand même du culot, par messages, le petit. Le petit… le jeune. Bon sang, pourquoi est-ce que je réponds à un plan drague comme ça ? On a quasi dix ans d’écart, c’est…
“ Tu ferais le mur ? Pas sûre que ton éduc chiant apprécie… Et puis, tu diras quoi si tu croises mon père dans la cour ? Cherche pas, je suis une princesse enfermée dans sa tour… Même mon fils l’a vu ! ”
“ Tu crois que tes cheveux sont assez longs pour que je m’y accroche en montant ? Sinon, je ne tente pas le diable. Quoique. Tu m’invites vraiment ? C’est pas bien de me tenter et de me frustrer après. ”
Oh là là mais à quoi on joue ? Comment l’envoi d’un dessin peut-il en arriver là ?
“ T’as 23 ans, Sacha. Qu’est-ce que tu viens chercher à t’acoquiner avec une trentenaire qui a un gosse, franchement ? Profite de la vie… ”
Le temps de réponse est beaucoup plus long cette fois et je me demande avec un petit pincement au cœur si j’ai vraiment réussi à le décourager avec ce simple message, mais finalement, mon téléphone vibre à nouveau.
“ J’aime bien ton gosse. Et toi aussi, je t’aime bien. Tu es magnifique et je sais que je ne suis pas un mec assez bien ou assez mature pour toi. Mais on peut rêver quand même, non ? A cette heure-ci, ça devrait être permis, je crois. ”
J’hésite un moment avant de répondre, et je me demande si lui aussi n’a pas eu ce temps de latence à savoir à quel point il pouvait être honnête ou pas
“ Ce qu’il faut que tu comprennes, c’est qu’en tant que mère, je ne peux pas me permettre de ramener un homme différent chaque semaine ou chaque mois dans la vie de mon fils. Un enfant, ça s’attache. Je ne cherche pas un truc léger et sans attache, moi. A mon âge, j’ai envie de me poser, d’avoir une vie de famille. C’est pour ça que le sujet de la maturité peut être posé sur la table. Ou sur le lit, pour le coup. Pour le reste, personne n’est parfait et on fait tous des erreurs. Ça ne fait pas de toi un mauvais gars. Ou alors, un ancien vilain qui cherche à se repentir ? ”
“ Avec toi, on peut rêver de se poser, c’est sûr. Après la prison, un peu de stabilité, ça serait le pied. Et dans mes fantasmes, c’est où tu veux. Sur la table, sur le lit, partout, je m’adapte ! :) Je vais te laisser dormir avant de dire plus de bêtises. Le vilain qui a des pensées pas sages. ”
Est-ce que je pourrais vraiment me laisser tenter ? Parce que je viens d’imaginer bien des choses un peu partout dans mon appartement, et ça n’avait rien de sage ou de désagréable.
“ Je préférerais que tu m’en dises un peu plus sur tes fantasmes, moi. Mais si tu veux dormir, je comprends. A 80 ans, pas facile de tenir une fois le journal télévisé passé… ”
J’envoie sans réfléchir et me relis alors que la gêne s’installe en moi… Merde, dans quel état est-ce que je vais être quand il va arriver au coffee shop demain ? Je ne vais plus jamais oser le regarder dans les yeux après ça.
“ Pas sûr que ça soit une bonne idée de parler de ça. Mais je peux t’assurer, ils me réveillent bien et tu ne regretterais pas de les mettre en pratique. Fais de beaux rêves. Le petit vieux va se faire plaisir en pensant à une jolie brune. Bonne nuit. ”
J’ouvre grand les yeux en lisant son SMS et grimace. Merde… Je n’arrive pas à déterminer si ça m’excite ou si ça me gêne de savoir ça. Un peu les deux, sans doute ? En tout cas, je crois que ces petits messages du soir vont définitivement changer ma relation avec lui. Comment rester de simples collègues après avoir écrit et reçu tout ça ? Et qu’est-ce qui m’a pris d’entrer dans son jeu de la sorte ? Il y a bien longtemps que je n’avais pas été excitée par autre chose qu’une romance érotique…
“ Finalement, serais-tu plus sage que tu ne veux le faire croire ? ;) Bonne nuit, Sassa. Fais de beaux rêves. ”
Je mets mon téléphone en mode avion et vise du regard le tiroir de ma commode. Hector, pas Hector ? J’ai l’impression de le sortir de plus en plus souvent, lui. C’est un vieux coucou qui fonctionne encore à piles… Autant dire que j’ai nombre de fois réfléchi à m’offrir un autre vibro, mais… j’ai toujours préféré mettre vingt, trente euros pour des jouets pour mon fils plutôt que pour moi. Et puis, Hector est un ami fidèle, et j’ai encore des piles dans le tiroir, au cas où. Allez… il va sortir de sa grotte pour aller en visiter une autre.
Annotations