66. Les bornés convoquent l’amoureuse

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Livia

J’ouvre les yeux en entendant du bruit, les sens aux aguets, et grimace en voyant l’heure. Ça ne vient pas de Sacha, qui dort paisiblement à côté de moi, ou contre moi, pour être plus précise, voire sur moi. Septembre a apporté les nuages avec lui et je ne dis pas non à être réchauffée par mon amoureux. Je n’avais plus l’habitude, j’avais oublié comme c’était agréable.

Le bruit de la porte de la salle de bain me fait pourtant quitter cette étreinte. Je bouscule un peu Sacha pour le réveiller.

— Salut, Beau Barbu. Enfile ton boxer, Mathis est déjà réveillé, il va venir nous rejoindre.

Bon, ça a au moins le mérite de lui faire ouvrir les yeux, et nous tatonnons chacun de notre côté du lit pour récupérer un minimum de fringues. J’ai à peine le temps de me réinstaller contre lui que la porte de la chambre s’ouvre doucement.

— Maman ? Je peux venir faire un câlin ?

— Bien sûr mon petit Cœur, viens.

Je soulève la couette pour l’inciter à venir se lover contre moi, mais il préfère monter par le bout du lit et vient s’installer entre nous, m’obligeant à me décaler pour ne pas finir écrasée sous son petit corps.

— Tu as bien lavé tes mains après être allé aux toilettes ?

— Mais oui, Maman.

Il dépose un petit bisou sur la joue de Sacha, qui l’observe avec tendresse avant de se lover contre moi en baillant. Meilleur réveil du monde. Y a pas mieux que de le sentir contre moi.

— Sassa ? Tu fais le câlin aussi ?

Le sourire de mon amoureux vaut tout l’or du monde. Je sais que je suis parfois maladroite avec lui quand il s’agit de Mathis. C’est mon bébé, et le laisser faire me fait bizarre, quand bien même il cherche à s’impliquer. Mon fils est bien plus naturel que moi, il ne me laisse pas le choix. Hier soir, c’est Sacha qu’il a voulu pour le bain, Sacha qu’il a demandé pour l’aider à finir son dessin… Et là, il se rapproche, nous enlace tous les deux et dépose un baiser sur nos joues.

Il est encore tôt et Mathis se rendort. J’avoue que je dormirais bien un peu plus, mais j’aime trop ce tableau pour ne pas en profiter. Mon amoureux pique un peu du nez mais nos regards se croisent fréquemment et nos sourires s’appellent l’un l’autre.

Et puis, le réveil sonne et le quotidien nous rappelle à l’ordre. Petit déjeuner tous les trois, préparation pour la journée. Sacha part avant nous pour aller ouvrir le café, je finis de me préparer tandis que Mathis joue dans sa chambre, et je l’accompagne à la garderie avant de commencer le boulot.

Je suis surprise de voir mes parents tous deux en cuisine en arrivant, et je lance un regard à mon collègue sexy, qui me répond par un haussement d’épaules. J’ai bien vu que la confiance ne régnait plus, ici, et ça m’ennuie fortement, mais ni lui, ni moi, ne demandons d’explications. Sacha a besoin de ce boulot, moi aussi, alors on la boucle et on fait notre travail.

Le rush du matin est passé quand mon père m’appelle pour lui filer un coup de main alors que ma mère est tranquillement installée dans la cuisine à lire un magazine. Je sens que l’excuse trouvée n’a aucune valeur, même si je risque de me prendre des réflexions en me coltinant le ménage ou les tâches ingrates.

— Allez-y, accouchez, pas la peine de tourner autour du pot, je vous écoute, soufflé-je en récupérant la poche à douille que mon père me tend pour faire les macarons.

— On voulait te parler d’un sujet un peu sensible, ma Puce, mais promets-nous de ne pas t’énerver et surtout de ne pas hausser la voix.

— Oulah, je crains le pire et ça ne me dit rien qui vaille… Je ne peux rien vous promettre, vous savez bien qu’on a des avis très divergents sur plein de sujets, Papa.

— Oui, mais là, c’est important pour toi et pour Mathis aussi. Et pour nous. Bref, je crois que tu ne vas pas apprécier ce qu’on a à te dire. Dis-lui toi, Mimi, moi, je ne sais pas comment faire.

Magnifique… Mon père est généralement plus diplomate que ma mère, alors soit je la laisse parler et je m’énerve, soit je fais en sorte de ne pas entendre ce qui va m’énerver…

— Je vous préviens, si vous mettez Sacha, prison et danger dans la même phrase, aucune chance que je reste calme.

— Ah, tu vois, Momo, elle a compris, pas besoin de faire tous ces chichis ! Oui, ma Chérie, il s’agit bien de ce… cet homme dont tu t’es entichée. Avec ton père, on pensait voir pour arrêter son contrat parce qu’on n’a plus confiance depuis cette histoire de garde à vue. On a attendu parce que… pour ne pas te fâcher mais là, ça ne peut plus continuer ! On n’ose même plus lui laisser le shop tout seul !

Je soupire et me concentre sur mes macarons jusqu’à finir une ligne. Je crois que cette poche à douille va m’aider à ne pas partir en vrille et m’énerver. Oui, c’est ça, faire des macarons, ou imaginer leur coller au fond de la bouche et les étouffer avec. Moi, drama queen ? Si peu…

— Ecoutez, je comprends que vous puissiez vous poser des questions, OK ? Mais est-ce que vous avez essayé d’apprendre à le connaître ? Est-ce que vous avez fait l’effort de mettre de côté son expérience en prison pour vous concentrer sur l’homme ?

— C’est pas ça, tu le sais bien. On n’a pas confiance, s’impatiente mon père, c’est tout. Et puis, si tu ne nous avais pas forcé la main, on aurait pris un jeune bien sous tous les côtés plutôt que ce délinquant. Tu imagines si ses amis reviennent ou s’il nous dévalise ?

— Putain, vous êtes vraiment bourrés d’a prioris, ça m’agace. Vous savez pourquoi Sacha a fait de la prison ? J’entends, est-ce que vous vous êtes intéressé aux raisons qui l’ont poussé à dealer ?

— Il n’y a pas de bonne raison pour dealer, tu sais ? C’est pour ça qu’il a fait de la prison… S’il avait eu des excuses, il n’aurait pas fait trois ans de prison.

— Très bien, puisque vous êtes bornés dans vos idées à la con… Je tiens juste à vous dire que j’aurais pu vriller comme ça en perdant mon boulot y a quelques mois. Sans revenu, c’était la rue pour moi et pour Mathis. La seule différence entre Sacha et moi, c’est que j’ai des parents qui ont pu m’aider. Lui a perdu les siens, et il était le tuteur de sa sœur… Ça n’excuse pas la prison, mais ça l’explique en partie, non ?

— Il aurait mieux fait de se trouver un boulot, grommelle ma mère. Et tu te rends compte de l’exemple que tu donnes à Mathis ? Et du danger dans lequel tu te mets, aussi ? Moi, depuis que je sais que tu l’as amené dans ton lit, j’ai peur chaque jour de me réveiller et d’apprendre qu’un malheur vous est arrivé. Tu n’imagines pas l’angoisse.

Est-ce qu’on se rend compte de qui je tiens mon côté drama queen ? C’est n’importe quoi, honnêtement. Sacha n’a pas tué un homme ou violé un gosse, non plus.

— Tu entends ce que tu dis ? soupiré-je. Sacha est quelqu’un de gentil, de doux et d’attentionné, il est génial avec Mathis, il… Vous êtes tellement bornés et butés dans vos clichés que vous ne voyez que ce que vous voulez voir.

— Ce qu’on voit, c’est que coucher avec lui te fait perdre la raison. Elle est passée où notre fille raisonnable qui ne pensait qu’à son fils ? S’il lui arrive quelque chose à cause de toi, tu pourras te le pardonner ? Dis-lui, Mimi, moi, je n’arrive pas à trouver les mots, vraiment !

— Tu ne trouves pas les mots parce que c’est ridicule, comme discussion, c’est tout. Vous pensiez que Guillaume était du genre à abandonner sa copine en cloque ? Non, et pourtant, il s’est barré comme un con. La peur n’évite pas le danger. Je n’ai pas perdu la raison, j’ai décidé de faire confiance, c’est différent. Sacha l’a gagnée, ma confiance, et vous devriez lui donner une chance, vous aussi. Vous ne voulez pas renouveler son contrat ? Qu’est-ce qu’il a fait de mal, ici, au juste ? Est-ce que vous avez quelque chose à lui reprocher d’un point de vue professionnel ? Et coucher avec votre fille n’est pas une raison valable.

— Je t’avais dit, Momo, que ça allait la braquer, cette conversation… soupire ma mère en me regardant avec une pitié que j’ai envie d’envoyer valser à travers toute la pièce. On ne lui fait pas confiance, nous… Ça ne se décrète pas la confiance, si ? Et puis, si on l’éloigne du boulot, peut-être que ça lui fera prendre de la distance avec toi et que tu retrouveras un peu tes sens. Il n’y a pas que le sexe dans la vie, tu sais ?

— Qui vous a dit que ce n’était qu’une question de sexe ? C’est vraiment n’importe quoi, marmonné-je. Peu importe ce que vous ferez, ça ne m’empêchera pas de rester avec lui. Vous ne voyez que ce que vous voulez voir, c’est insupportable. Entre vous et Louis et ses menaces à la con, franchement, vous me décevez. Vous êtes vraiment incapables de mettre de côté vos vieilles idées rabougries pour donner une chance aux gens, je ne sais même pas pourquoi vous faites ça, d’embaucher de temps en temps des gens en galère, si ce n’est pour la main d’œuvre pas cher. C’est écœurant.

— On s’inquiète pour toi, c’est tout, tu sais, répond mon père, comme tu le fais et le feras avec Mathis. C’est ta vie, on le sait bien que tu fais tes choix, mais tu restes notre petite fille et on n’a pas envie que tu sois malheureuse ou qu’il t’arrive quelque chose. On va réfléchir pour Sacha, d’accord ? Et toi… prends soin de toi, surtout.

— Ne vous inquiétez pas pour moi, je peux vous assurer que je suis très heureuse en ce moment. Je le serais encore davantage si je vous savais derrière moi, d’ailleurs, mais j’ai appris à faire sans. Sacha est clean et il bosse bien, ce serait bête de vous séparer de lui, honnêtement. Il a juste besoin qu’on lui donne sa chance, vous savez ? Qu’on lui fasse comprendre qu’on croit en lui. Et moi, je crois en lui. Je sais que c’est quelqu’un de bien. Peut-être que vous vous en rendrez compte, un jour. Mais il ne disparaîtra pas de ma vie parce que vous ne voulez plus de lui ici, c’est clair. Je l’aime, vous comprenez ? Et si la confiance, ça ne se décrète pas, l’amour non plus. Et encore une fois, il est vraiment génial avec Mathis, et jamais je ne l’aurais laisser entrer à ce point dans nos vies si je n’étais pas sûre de moi. Bref, je peux retourner en salle, c’est bon ?

— Oui, oui. Comme a dit ton père, on va réfléchir mais sache qu’on t’a entendue. J’espère que toi aussi, tu nous as un peu entendus… On t’aime, tu sais ?

— Je sais, soupiré-je. Mais vous avez parfois une façon bizarre de le montrer.

Je sors de la cuisine sur ces mots et retourne derrière le comptoir, fatiguée par cette conversation. Je vois bien le regard de Sacha, interrogateur, un peu inquiet aussi, mais comment lui dire que mes parents peuvent foutre en l’air le fragile équilibre qu’il a réussi à retrouver ? Honnêtement, j’ai envie de les secouer et de leur hurler dessus, tout ça me semble digne d’une mauvaise série télé. Ils me fatiguent.

— Je t’aime, tu sais ? soufflé-je à l’oreille de mon amoureux avant de déposer un baiser bruyant sur sa joue.

— Moi aussi, je t’aime, répond-il, toujours aussi intrigué par ce qui a pu se passer avec mes parents.

— Mes parents… Disons qu’ils sont bornés et épuisants, me lancé-je, incertaine. Ils hésitent à reconduire ton contrat, à cause de ta garde à vue, mais aussi du fait que tu partages ma couche, je pense.

— Oh, répond-il, visiblement surpris. Ils ne m’ont rien dit… Je… je ne veux pas te causer de problème avec tes parents, tu sais ? S’il vaut mieux que je parte… je trouverai bien autre chose…

— Tu restes ici, on verra bien. Peut-être que… il faudrait qu’on essaie de te trouver autre chose au cas où, tu ne crois pas ? Tu as encore le temps de voir venir, mais ne lâche pas l’affaire trop vite. Qui sait, ils vont peut-être se réveiller moins cons, un matin ? J’ai des problèmes avec mes parents depuis que j’ai décidé d’arrêter de dire Amen à tout, tu sais, c’est pas une nouveauté, ris-je.

— Eh bien, il va falloir que tu ailles te confesser, alors. Tu viendras me voir ce soir et je te ferai réciter tes prières. On verra bien ce que je choisirai comme punition !

— Pitié, punis-moi à coups d’orgasmes, gloussé-je en lui pinçant la fesse.

Si seulement mes parents voulaient bien ouvrir les yeux, ils découvriraient le Sacha que je vois, moi. Bien loin du délinquant qu’ils imaginent, du mauvais garçon, du dangereux criminel… C’est quand même dommage. Et ça m’énerve. Pourquoi tout ne pourrait-il pas être simple ? Loin des embrouilles. Si seulement on pouvait tout simplement vivre en harmonie, profiter de la vie et se faire confiance… Heureusement que j’ai mon petit cocon et mes deux hommes. Mes parents ne se rendent pas compte qu’ils me poussent encore davantage dans ses bras, au final.

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