71 : Le déménagement, c’est maintenant
Sacha
Après le petit repas que nous avons partagé comme avant mon incarcération, ma sœur s’est affalée dans le canapé et a allumé la télé alors que je me suis mis à la vaisselle.
— Eh bien, en fait, tu n’as pas du tout changé, dis donc ! Ça ne te gêne toujours pas que ce soit moi qui fasse tout le boulot pendant que tu regardes des pubs stupides ?
— Ça va, je le vis bien, franchement. J’aime bien te voir bosser, en plus.
— Purée, ils t’ont appris quoi, ta famille d’accueil ? Le respect pour tes aînés, tu connais ? C’est moi qui devrais être en train de mater la F1 pendant que tu fais la bonniche en cuisine. C’est ça, une bonne éducation !
— Je suis désolée de te le dire mais la F1 est sur une chaîne payante, maintenant, et je doute que t’aies les moyens de te l’offrir se moque-t-elle. Y avait pas la télé dans ton ancienne demeure ?
— J’avais pas les moyens de payer pour avoir la télé. On avait juste le droit aux matchs de l’équipe de France de foot. Je me suis fait chier comme un rat mort pendant trois ans. Je me suis même mis à lire des romances, tu te rends compte ?
— Eh bien, ton image en prend un coup, pouffe-t-elle. Remarque, j’en ai vu chez Livia, t’as de quoi te distraire là-bas.
— Crois-moi, chez Livia, je me distrais autrement qu’avec la télé ou les livres ! Je ne te fais pas de dessin, tu es encore mineure, mais je te jure, on n’a pas le temps pour ces conneries.
— Vous êtes de vrais lapins, c’est dégueulasse. T’as raison, je veux pas savoir.
— Ouais, tu verras quand tu auras trouvé un copain ou une copine que tu aimes. Tu vas te souvenir de cette conversation, ma lapine, rigolé-je.
— Qui te dit que je n’ai pas déjà trouvé quelqu’un ?
— Parce que tu serais avec cette personne et pas avec ton vieux frère en ce dimanche après-midi. Ou que tu serais comme moi à guetter une photo ou un message de cette personne sur ton téléphone. Là, franchement, si tu es avec quelqu’un, il est soit sur Mars soit il vit comme un ermite dans une montagne chinoise ! Je suis sûr que tu ne sais même pas où est ton téléphone !
— J’ai pas l’impression que tu aies plus de messages que moi, d’un autre côté… Peut-être que mon chéri est en repas de famille ?
— Montre moi sa photo, alors ! Regarde, là, c’est Livia et Mathis, ils sont beaux, non ?
— Ouais, non, je te montrerai pas de photo, c’est mort. C’est un coup à ce que tu l’attendes à la sortie de son boulot… Faudrait pas faire un scandale, il est marié, quand même.
Je la regarde, un peu abasourdi par ce qu’elle est en train de me dire. Ma soeur sort avec un mec marié ? Mais, c’est du grand n’importe quoi !
— Ah oui ? Marié ? Mais il a quel âge ? Tu sais que tu es encore mineure ? Et tu crois qu’il va quitter sa nana pour toi ? Mais tu rêves ! m’emporté-je.
— Qui te dit que je ne préfère pas rester la nana cachée ? Et puis, je fais ce que je veux, non ?
Je soupire avant de répondre.
— Oui, tu fais ce que tu veux, j’ai perdu le droit de te chaperonner quand je t’ai laissée toute seule en me faisant foutre en prison. Fais attention à toi, ajouté-je résigné.
— Ça va, je plaisantais, détends-toi, Sacha, pouffe-t-elle. Respire, on dirait que tu viens de prendre dix ans dans la tronche, fais gaffe, tu as pris des cheveux blancs, mon pauvre !
— Oh toi, alors ! répliqué-je en lui balançant un coussin sur la tête.
S’ensuit alors une bataille de lancers de coussins qui nous voit nous chamailler et nous combattre gentiment jusqu’à ce que la sonnette de la porte d’entrée de mon appart résonne plusieurs fois. Nous nous calmons et immédiatement, je pense que c’est la police qui vient faire une perquisition ou m’arrêter car je n’attends personne à cette heure-ci, un dimanche. Je vais ouvrir, inquiet et suis surpris de tomber sur Mathis qui me saute dans les bras.
— Eh bien, tu fais quoi ici, bonhomme ? demandé-je alors qu’il m’entoure de ses petits bras.
— On vient chercher tes affaires !
— Mes affaires ? demandé-je en voyant derrière lui Livia et son frère jumeau me sourire. C’est quoi cette histoire ?
— Ben, tu viens chez nous !
— Chez vous ? Tu as bu quoi chez tes grands-parents ? Le champagne ?
— Mais non ! Maman, il comprend rien, Sassa ! C’est toi qui as bu le champagne, non ? Toi, tu viens chez nous. Donc on prend tes affaires et tu déménages.
Je le repose à terre et regarde sa mère et son oncle à qui je fais signe d’entrer avant de me tourner vers ma sœur.
— Tu comprends quelque chose à ce qu’il dit, ton petit protégé ? Moi, j’avoue, je suis perdu.
— Ok, on t’explique les choses alors, mon lapin, intervient Diego en me passant son bras autour de mes épaules. Tu déménages dans l’appartement d’une célibataire assumée et tu feras moins le malin quand elle te demandera de passer la serpillère tous les jours.
— Franchement, je ne sais pas ce que le papy a mis dans votre bouffe, mais je ne crois pas que Livia soit prête à ça.
— Ben si, elle a balancé ça au beau milieu du repas de famille, donc ça veut dire qu’elle est prête à te supporter. Bon courage, mon pote !
— Tu as fait quoi ? l’interpelle Marina en bondissant au milieu de nous.
— J’ai dit à ma famille qu’on emménageait ensemble, sourit Livia.
— Oh cool ! Tu t’es décidée ! Et vous voulez vraiment faire ça tout de suite ?
— Bien sûr, sinon pourquoi je serais là ? l’interroge Diego. Tu as des cartons ?
— Euh… Vous vous moquez de moi, là, non ?
Je regarde Livia et n’arrive pas à savoir ce qu’elle a en tête ni si ce qu’elle dit est vrai. Elle s’approche de moi et vient enfin m’embrasser alors que je l’enlace, nous isolant un peu ainsi des autres.
— Je suis prête, j’en ai envie. Tu as changé d’avis, toi ?
— Et c’est à tes parents que tu dis ça et pas à moi ? Je… je n’ai pas changé d’avis, non, mais je ne suis pas encore prêt ! Enfin, dans ma tête, si, mais il faut que je prévienne Aurélie, que je prépare mes affaires…
— Ah mais non, ça va pas le faire, ça, c’est maintenant ou jamais, Sacha. Et je te le dis, là, non ? J’ai eu l’électrochoc à table, c’est sorti tout seul.
— Et j’ai jusqu’à quelle heure pour préparer mes affaires ? demandé-je, un peu inquiet de la précipitation des événements.
— Oh ben, disons une petite heure, ça doit être faisable si on met tous la main à la pâte, non ?
— Une heure… Vous êtes fous chez les Marchand ? C’est du grand n’importe quoi !
— Et alors ? C’est si grave que ça d’être fou ? Un peu de folie, c’est ce qu’il faut dans la vie !
— Mais non, on n’est pas fous, rit Mathis, assis à côté de Marina. Maman elle rigole, Sassa.
Alors, si j’étais déjà perdu avant, là, je le suis encore plus.
— Tu m’expliques ? demandé-je à Livia. Tu as parlé à tes parents ou pas ? Je ne sais plus qui croire, moi.
— Oui, j’ai parlé à mes parents, et oui, la porte t'est ouverte. Pas aujourd’hui, mais dans un futur proche, j’imagine.
— C’est vrai ? m’excité-je en réalisant enfin ce qui est en train de se passer. Tu vas vraiment sauter le pas et on va pouvoir vivre ensemble tout le temps ? Vrai de vrai ?
— Il semblerait bien, oui. T’as intérêt à ranger des chaussettes, je te préviens, pouffe-t-elle.
— Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça, rétorque Marina. Un vrai maniaque, ton amoureux !
— Maniaque ? Moi ? Je m’en fous de tout ça. Je veux juste aller vivre avec toi, chez toi !
— Et bien sûr, tu seras la bienvenue, Marina. Mathis est OK pour que vous veniez chambouler nos vies.
— Ouais, enfin n’oubliez pas que je reste le jumeau et que je peux débarquer n’importe quand, hein ? intervient Diego.
— J’espère que tu ne seras pas choqué par ce que tu verras quand tu surgiras à l’improviste alors. Je te préviens, il parait qu’on est des lapins !
— Des lapins ? On va avoir des lapins ? demande Mathis, surexcité.
— Ah non, non, non, ce n’est pas au programme ça, mon Cœur. On a un chat, c’est amplement suffisant, s’empresse de lui répondre Livia.
— Et, mon Lapin, ricane Diego en approchant, tu feras moins le malin quand tu seras relégué au canapé parce que j’ai la priorité. Vive les jumeaux, Lapinou ! Enfin, à moins que tu m’acceptes entre vous deux.
— S’il faut que je me partage entre vous deux, pas sûr que je vais venir, expliqué-je en souriant, aux anges.
— Fais attention à ce que tu dis, moi je suis OK pour ce genre de partage, mon Chou, minaude-t-il en venant nous enlacer.
— Beurk ! Je vous rappelle qu’il y a des enfants ici ! lance Marina en faisant mine de boucher les oreilles de Mathis qui résiste en rigolant.
— Oui, on va arrêter de raconter n’importe quoi et fêter ça ce soir, non ? sourit Livia. Je dois un gâteau au chocolat à mon fils, tu as de quoi en faire un ou pas ?
— Euh oui, fais comme chez toi. Si en plus, tu fais un gâteau, je n’ai plus aucun argument pour retarder mon arrivée chez toi !
— C’est parti ! J’ai besoin de mon petit commis. Mathis, tu me donnes un coup de main ? Et toi… Ne t’y habitue pas trop quand même, je suis pour le partage des tâches, sinon c’est ceinture, chuchote-t-elle à mon oreille avant de m’embrasser.
— Tu sais bien que la ceinture, on l’utilise pour autre chose, nous, répliqué-je doucement.
Elle m’adresse un lumineux sourire avant de se mettre à la cuisine. Mathis, tout heureux, et Marina se joignent à elle pour préparer le tout alors que Diégo et moi les observons en discutant. C’est fou comme ça fait du bien de se retrouver ainsi, tous ensemble. J’ai le sentiment que nous formons une vraie famille et je pourrais vite m’habituer à ce genre d’instants qui font chaud au cœur. Et d’ailleurs, vu l’invitation qu’elle vient de me faire, je crois bien qu’il va falloir que je m’y habitue. Pour mon plus grand bonheur.
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