La rue est remplie de manifestants néanderthaliens à front bas. Beaucoup sont armés de massue de bois ou de lance à pointe de silex. Certains portent un arc croisé sur la poitrine, carquois en cuir au côté. La première rangée porte une banderole sur laquelle on peut lire : « La Néanderthalie aux Néanderthaliens» .

Les rangs suivants portent de nombreuses pancartes, dont voici une petite sélection de slogans :

La Néanderthalie, tu l’aimes ou tu la quittes.

Halte à l’invasion des Cro-Magnons.

Cro-Magnons go home.

Néanderthal et fier de l’être

Cro-Magnons, Cro-Cons

On est chez nous.

On n’est plus chez nous.

Le premier rang commence un chant dans la belle langue néanderthalienne (Note du traducteur : certains indices laissent à penser que le néanderthalien ressemblerait à du néerlandais prononcé par un Arabe maghrebin, mais le sujet est disputé. Certains chercheurs pencheraient plutôt pour de l’arabe maghrebin prononcé par un Néerlandais), chant repris progressivement par la foule des manifestants.

Cro-Magniens, têtes de chiens !

Cro-Magnots, têtes de veaux !

Cro-Magnons, têtes de cons !

Arrivée devant la statue de Jââânne, leur héroine, sur le rhinocéros à poils laineux, la manifestation s’arrête, pleine de respect pour leur surfemme. Notre journaliste,Tounga Lin-Harr-Êêss, un micro à la main, attend la fin de la minute de silence, puis s’avance en direction d’une néanderthalienne, aux cheveux blonds mi-longs, placée au centre de la première ligne.

— Madame Terrine Goumbou Goumbou, vous êtes la présidente du Front Néanderthalien, pourquoi cette manifestation aujourd’hui ?

Ladite madame Terrine examine le journaliste de la tête au pied, puis retour à la tête. Elle hésite quelque peu, fixe un œil noir sur son interlocuteur, maîtrise une grimace et finit par daigner répondre :

— Pour exprimer le ras-le-bol du peuple néanderthalien devant une situation devenue insupportable, je veux parler de l’immigration massive et incontrôlée des Cro-Magnons. Ils sont partout, partout.

— Vous employez souvent le mot d’invasion, que je vois ici sur quelques pancartes.

— Nous l’assumons. Il s’agit en effet d’une véritable invasion. Le seuil de tolérance est dépassé depuis longtemps. Nous, les Néanderthaliens, avec ces hordes de Cro-Magnons agressifs, ne sommes plus en sécurité chez nous. À ce rythme, nous risquons de disparaître. Les Néanderthaliens sont en danger. En danger !

— En danger ?

— En danger de disparition, combien de fois dois-je vous le répéter ? Vous êtes bouché au silex ?

— Pardon, j’avais compris, mais que reprochez-vous exactement aux Cro-Magnons pour avoir une vision aussi pessimiste de l’avenir de vo... de notre espèce ?