Troisième partie

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— La liste est longue. En vrac : ils occupent nos terrains de chasse qu’ils ravagent pour nourrir leurs familles trop nombreuses, parce que ces cochons forniquent comme des lapins et se reproduisent comme des mulots, ils ne respectent pas nos lois, ils abâtardissent notre langue. Avez-vous déjà entendu parler certains jeunes Néanderthaliens avec cet horrible accent Cro-Magnon ? C’est à vomir, ça me rend malade quand je les entends. De plus, ils se considèrent déjà comme chez eux, comme si nous n’existions pas.

— Mais encore ?

— Ils viennent d’Afrique...

—Ils viennent d’Afrique ?

—De quoi ?

—Vous avez dit « ils viennent d’Afrique ».

—J’ai dit ça, moi ?

—Oui, vous l’avez dit.

—Non.

—Si !

— Non ?

— Si !

— Attention, hein ! Oubliez cette dernière phrase alors, elle m’a échappée. Nous la réservons normalement pour la communication interne à notre mouvement. Notre petit côté ésotérique, si vous voulez. Tout le monde n’a pas besoin de savoir comment nous motivons nos militants. Je reprends. Nous, les Néanderthaliens, dignes descendants de Homo Heidelbergensis, nous habitons ce pays depuis 400.000 ans, ce pays, il est à nous. Il est dans nos tripes, dans nos veines. Nous ne voulons pas l’abandonner et nous ne l’abandonnerons pas à ces descendants d’Australopithèques.

— D’Australopithèques ?

— Oui, des espèces de moitié-babouins, là-bas, en Afrique. Des trucs tout poilus haut comme trois pommes.

— Mais, excusez-moi Madame Terrine, mais si nous remontons assez haut dans la généalogie des Néanderthaliens, bien avant les Heidelbergensis, nous retrouvons aussi des...

— Stop ! Ne commencez pas à ramener votre science. Je vous vois venir avec vos grands mammouths !

Le silence qui suit et les regards amicaux des autres manifestants proches calment les ardeurs de vulgarisation scientifique du journaliste.

— Je ne pensais pas à mal, voyons. D’autres reproches à adresser aux Cro-Magnons ?

— Je me répète, la liste est longue. Tiens, par exemple, il est insupportable qu’ils se permettent de taguer nos grottes avec leurs dessins ridicules. Ces caricatures d’aurochs, ces putains de chevaux ou de bisons sont...Ridicules. Oui, je sais, les bobos vont se la péter en nous racontant que c’est de l’art. Un art de dégénérés, oui. Bande de pithécanthropes ! Australoniakoués ! Aucun respect des parois de nos grottes. De l’art pariétal, qu’ils appellent, qu’ils osent appeler ces gribouillis.

— Beau vocabulaire. Je ne connaissais pas Australoniakoués. Ne craignez-vous pas d’être accusée de racisme ?

— Racisme ? Le voilà ! Le grand mot qu’on nous sort dès que nous osons pointer le nez. Nos adversaires refusent le débat des idées et nous balancent un « raciste » à la tête pour justifier leur lâcheté. Nous parlons, juste un exemple, de terrains de chasse, de nourrir nos enfants, et la réponse est « racistes ». Ce n’est qu’un mensonge, une calomnie destinée à nous diaboliser. C’est faux. Entièrement faux. Rien n’est plus éloigné de nous que l’idée de racisme. Nous parlons de valeurs culturelles, pas de races.

— Pourtant vous avez parlé d’Australopithèques... D’Australoniakoués, non ?

— Je ne parlais que de valeurs sociétales, de repères de civilisation. Vous avez l’amalgame facile, vous. Ce sont les directives du parti au pouvoir, je suppose ? Monsieur le journaliste répète sa leçon, petit perroquet ? La pensée unique des Cro-Magnons dans toute sa splendeur ?

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