Quatrième partie
On entend de nouveau, dans un grondement sourd de voix rauques, les slogans du début. Le journaliste hésite quelque peu.
— Permettez-moi de changer de sujet, mais tout le monde ne voit pas les Cro-Magnons comme une menace ?
— Évidemment, comme dans toutes les histoires de ce genre, vous aurez les collabos actifs et une masse de passifs, défaitistes. Ils ont déjà accepté la défaite, et pour les plus actifs, il s’agit de profiter de la nouvelle situation pour assurer la leur.
— Opportunisme ?
— Souvent oui, mais beaucoup sont des convaincus, comme ce Bin’Mèèh-Lan’tchone, qui a grandi au pays des Cro-Magnons, et dans sa cervelle est l’un d’entre eux, d’ailleurs il nous méprise et ne s’en cache même pas, mais ne vous y trompez pas, derrière les grands discours, il s’agit toujours de prendre le pouvoir. Et je vous ferai remarquer que toutes ces personnes qui tiennnent de grands discours sur les bienfaits de l’arrivée en masse des Cro-Magnons vivent dans des belles grottes, loin de cette nouvelle population.
— Si je peux me permettre, ne le prenez pas mal, loin de moi toute idée de vouloir vous blesser, mais les slogans de cette manifestation ne volent pas très haut, non ? Têtes de chiens, têtes de veaux...
— Il faut des slogans compréhensibles par tous les membres et sympathisants du parti d’abord, et ensuite du public. Nous devons résumer par quelques mots simples tout le complexe philosophique et éthique qui définit les valeurs de notre mouvement.
—Euh...
— Vous n’avez pas compris, je suppose ?
—Si, si, je trouve l’explication, comment dire, si je lis les pancartes...
— Mais que sous-entendez-vous exactement ? « Ne volent pas très haut »...Vous nous prenez pour des demeurés ? Et vous trouvez que les slogans de nos adversaires volent plus haut, pour utiliser votre expression ?
Les manifestants se rapprochent, menaçants, du journaliste.
— Je ne sous-entends rien de particulier, juste une remarque comme ça...
— Bien sûr que si. Ce n’est même pas un sous-entendu. Vous nous prenez pour des débiles, c’est ça ?
— Mais, non, pas du tout, enfin, je...
— Ne seriez-vous pas un Cro-Magnon ?
Le cercle des manifestants se resserre autour du journaliste. Ils commencent à scander de leur voix rauque.
— Cro-magnon, Cro-magnon, Cro-magnon...
— Cro-magnon ? Moi ? Non, enfin si, mais, enfin non... Enfin, pas complètement...
— Vos arcades sourcilières sont plutôt minces, je trouve.
— Mes arcades ? Non, pas du tout, ce sont de bonnes grosses arcades de primitif pas futé. Je suis comme vous.
— Non, non, elles sont trop minces, et votre mâchoire aussi, et votre accent. Oui, votre intonation. J’en suis sure maintenant, vous êtes un Cro-magnon. Ou un bâtard. Un binational !
Les manifestants lèvent massues, haches et lances à pointe de silex.
—CRO-MAGNOOOOOON !
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