Monsieur R.E.

4 minutes de lecture

- Monsieur Edwards, que nous vaut cet honneur ?

- Il n'est pas utile de prendre cet air condescendant avec moi, monsieur Thompson. Je viens voir mademoiselle Murphy, car elle est là tous les matins, vous m'avez dit.

- Je suis ici, en effet, bonjour monsieur Edwards.

- Monsieur Thompson vous a-t-il bien transmis mon appel ?

- Oui, évidemment, mais je n'ai pas compris pourquoi la date d'échéance était avancée.

- La personne à qui j'offre ce recueil de poèmes arrive demain, et non plus la semaine prochaine.

- Je comprends monsieur, mais nous étions convenus d'un délai plus long, il faut quinze jours en moyenne pour relier un beau livre à la main comme le vôtre, et sur un ouvrage ancien le travail peut durer jusqu'à une année. J'ai d'autres clients qui ont passé commande avant vous.

- À vous de vous adapter. Vous devez rendre mon livre demain matin. Et n'oubliez pas mes initiales sur le dessus.

- Monsieur Edwards, ce que vous me demandez n'est pas prévu dans le devis, et concernant l'embellissement en question, je ne maîtrise pas la gravure du cuir.

- Je me fiche du prix à payer, faites votre travail. Je repasse demain.

Il était 10h25 quand monsieur Ricardo Edwards sortit de la bibliothèque, laissant Iris sans voix devant l'aplomb d'un client exigeant. Mike fit un clin d'oeil à son amie, car il sentait son désarroi. Iris, voulant faire bonne figure, lui proposa d'aller chercher deux cafés au Coffee Shop du coin. Cela lui ferait prendre un peu l'air.

Dans la rue, le soleil automnal apaisa Iris, et elle salua la serveuse Lillie D. Trotta d'un large sourire en entrant dans la boutique. Elle choisit un expresso pour Mike, et un cappuccino aux noisettes pour elle-même. Elle venait presque tous les jours, soit pour une boisson chaude, soit pour une collation rapide qui lui servirait de repas de midi avant de retourner à l'atelier. Ce matin, le shop était plus animé qu'à l'ordinaire, et des clients se chamaillaient pour une table, mais Iris n'y fit pas vraiment attention. Pendant que Lillie préparait sa commande, Iris repensait aux invectives de son client. Il avait raison de la poussait à se dépasser et à tester d'autres techniques, mais pas dans ces termes. Et le délai devenait indécent.

Elle paya le prix demandé et dit au-revoir à Lillie. En se retournant pour sortir, elle fut bousculée par un des clients qui se disputaient la table libre, et faillit laisser tomber le sachet qui contenait les deux mugs en carton. Sans s'excuser, le client se mit à lui hurler de faire plus attention où elle mettait les pieds, mais Iris s'échappa pour ne pas envenimer la situation. Elle préférait retourner auprès de Mike et déguster son cappuccino en feuilletant le roman qu'il lui avait offert. Elle ne vit pas l'heure passer, plongée dans les premiers chapitres de son livre, et ce fut à 12h20 qu'elle quitta la librairie ancienne.

- J'imagine que tu vas t'atteler au recueil de poèmes de monsieur Edwards ?

- Je n'ai pas vraiment le choix. Il pourrait me faire une mauvaise publicité si je ne lui apporte pas son livre demain.

- As-tu réfléchi à la proposition de ma cousine ? Je suis certain que tu serais une bonne illustratrice.

- Je crois que je vais la contacter. Mais j'ai d'abord besoin de la somme promise par Edwards pour payer mes impôts. Je règle ce problème et je réfléchirai ensuite à étendre mes compétences.

En sortant, Iris se retourna une dernière fois vers le bibliothécaire et lui fit son plus beau sourire :

- Merci pour ton soutien.

Elle passa l'après-midi à terminer du mieux qu'elle pouvait la reliure de son client, mais à l'étape des initiales, Iris se replongea un peu dans ses manuels pour se redonner confiance. Elle ne voulait pas gâcher tout son travail avec des initiales ratées. Elle choisit de faire au plus simple à cause du délai imparti, et se promit que plus jamais un client ne la pousserait dans de tels retranchements à l'avenir. Un devis était un contrat moral, elle n'était pas une machine et tenait vraiment à faire du bon travail. Mais les heures passèrent, et elle ne prit pas le temps de répondre au texto que Mike lui envoya à dix-huit heures pour lui rappeler l'afterwork.

Vers 22h, elle se sentit affamée et prit le temps de préparer des pâtes carbonara. Puis elle termina sa commande vers 2h du matin, fière d'avoir relevé le défi, et alla s'effondrer dans son vieux fauteuil sous l'abat-jour de coton. Elle pensa à Mike qu'elle avait laissé seul et s'en voulut de ne pas être amusante et légère. Le spectre de la vieille fille vint encore hanter son cottage, et pour le chasser, elle saisit son journal personnel qui traînait près d'elle. Elle le feuilleta et se rendit compte que toutes ses journées se ressemblaient, que son journal ne racontait rien d'extraordinaire. Cela la déprima, mais elle prit un stylo.

"Jeudi 28 octobre 2004, la lune rouge semble avoir joué sur les humeurs de chacun. Ai failli renverser un chien. Ai terminé une commande difficile. Et si je changeais de métier ? Et si j'acceptais de sortir avec Mike ?

Si... Si..."

Épuisée, Iris s'endormit dans son fauteuil, son journal sur les genoux, et lâcha son stylo dans le néant d'une nuit sans rêve.

Annotations

Vous aimez lire Ayla ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0