Ames en peine
Iris avait le coeur déchiré de le voir si triste. Elle ne comprenait pas sa répugnance à profiter de la vie. Pourquoi ne pouvait-elle pas se lâcher un peu et dire oui, ne serait-ce qu'une fois, aux propositions de Mike ? Dénigrer Eric était facile pour Iris, elle ne ressentait rien pour le marchand de journaux. Mais Mike la faisait vibrer sans dire un mot, juste d'un regard appuyé, juste par son odeur de tabac sur son col de chemise, juste pas sa prestance tranquille de l'homme qui a tout ce qu'il désire... ou presque. Peut-être était-ce justement cette assurance qui lui faisait peur et la subjuguait en même temps. Mike avait revêtu sa vie comme un costume taillé sur mesure, et Iris était l'épingle oubliée dans son revers par un couturier blagueur.
Elle prit son journal et alla à l'étage pour le lire, mais arrivée près du divan, elle vit le journal de mercredi qu'elle avait laissé sur place la veille et jeta un regard à la ronde. Ce ne serait pas du luxe de faire un peu de rangement dans l'espace dédié à la lecture, d'autant qu'Iris en profite elle-même chaque matin pendant une heure ou deux. Cela l'occuperait sainement et serait une façon de s'excuser auprès de Mike, même si celui-ci ne lui avait jamais demandé de nettoyer les lieux à sa place.
Elle était toute occupée à empiler correctement des grimoires aux couvertures épaisses et poisseuses, et elle se disait qu'elle pourrait un jour apporter un lait spécial de sa fabrication qui nourrirrait et protègerait ces vieux cuirs, quand elle entendit retentir la clochette de la porte. Il était 9H40 et c'était la vieille madame Andrea D. Walker qui venait retirer sa commande. Mais la malheureuse cuisinière émérite de Roselake n'eut pas le temps de franchir le seuil qu'elle se prit les pieds dans le paillasson et s'allongea de tout son long dans l'entrée de la librairie. Iris et Mike eurent un même élan vers leur cliente préférée, et s'excusèrent du mieux qu'ils le pouvaient pour le désagrément occasionné.
- Mais pas du tout, c'est de ma faute, vous savez, à mon âge, on perd facilement l'équilibre, expliqua madame Walker.
- Etes-vous blessée ? Désirez-vous que j'appelle le médecin ? proposa Mike, sincèrement embêté par la situation.
- Mais non, mais non, ça y est, vous voyez ? Tout va bien, je suis juste très maladroite aujourd'hui. Je n'ai rien, parlons d'autre chose, voulez-vous.
- Oui, je comprends, madame Walker, d'ailleurs votre commande est prête, je l'ai terminée hier soir et jai eu beaucoup de plaisir à la réaliser, dit Iris pour changer de conversation et ne pas gêner la dame plus que nécessaire.
- C'est parfait, c'est parfait, ma petite Iris, je vous ai toujours fait confiance. En avez-vous profité pour regarder mes recettes ? Certaines vous plairaient, j'en suis certaine.
- Oh non, madame Walker, je ne me serais pas permise, et de toute façon, je n'ai pas eu le temps.
- Oh, c'est dommage, se désola sincèrement la vieille dame qui aimait par-dessus tout partager sa passion pour la cuisine.
- Une prochaine fois, je vous demanderai des conseils, promis Iris qui cherchait sans cesse à ne pas froisser ses clients.
Mais une demi-heure plus tard, c'est un autre type de clientèle qui attendait la jeune relieuse, et monsieur Ricardo K. Edwards n'était pas du genre à mâcher ses mots...
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