Un vacarme métallique sortit Iris de son sommeil. Elle fit un bond dans son lit, se demandant ce qui avait bien pu causer un tel raffut. En jetant un oeil sur son réveil, elle vit qu'il était 6h35 et qu'il lui restait une bonne heure de sommeil. Mais quelques secondes plus tard, elle entendit un bruit de verre brisé, et aux cris de sa voisine, Iris comprit que sa nuit était terminée. Elle décida d'aller voir à sa fenêtre ce qui se passait. Pauline G. Jefferson, affublée d'un peignoir rose délavé, poussait de hauts cris à destination d'une bande de garnements qui dévalaient Greyspawn Drive en riant comme des bossus. Excités à l'idée de fêter Halloween trois jours plus tard, quelques élèves de Roselake avaient fait un grand chamboule-tout des poubelles de madame Jefferson. Quoi de plus drôle à faire en attendant le bus scolaire ! Ils avaient jeté une pluie de pierres sur les contenants métalliques qui résonnaient différemment selon leur remplissage, et l'une des pierres avait brisé la vitre de la cuisine, atterrissant dans le bol de café de madame Jefferson, l'arrosant copieusement du liquide bouillant.

Iris ne put s'empêcher de pouffer de rire devant l'hilarité des enfants, et le visage rubicond de Pauline qui s'époumonait en vain. Malheureusement, sa voisine tourna vers elle son visage avant qu'Iris put prendre une mine de circonstance, et vexée, elle l'invectiva de la sorte :

- Mademoiselle Murphy, vous croyez que je ne vous ai pas vue ? Bravo la solidarité entre voisins !

Pauline Jefferson tourna ensuite les talons aussi élégamment que ses pantoufles avachies le lui permettaient, et rentra chez elle en claquant ostensiblement la porte. C'est alors qu'Iris explosa de rire, libérée du regard de sa voisine. Ce n'est pas que ces deux habitantes de Greyspawn Drive ne s'entendaient pas, mais Iris n'avait jamais voulu participer aux fêtes de voisinage, ce qui la rendait forcément suspecte pour toutes les commères du quartier. Iris n'en avait cure, tant qu'on la laissait tranquille dans son cottage.

Iris fit son lit pour s'empêcher de retourner sous la couette et enfila son legging rouge et noir, ainsi que ses dernières running. Comme tous les matins, dès qu'il ne pleuvait pas, Iris D. Murphy faisait un footing dans son quartier jusqu'au parc Greyspawn qui donnait son nom à la rue où résidait Iris. Une fontaine de pierres plates donnait un aspect japonisant à ce jardin public qui se voulait être un lieu zen pour les habitants du quartier. Un étang surmonté d'un petit pont de bois rouge achevait le côté faussement exotique du parc. Heureusement, la végétation luxuriante de l'endroit effaçait le kitch de la décoration. Iris avait l'habitude de faire quelques foulées dans les allées gravillonnées avant de contourner son pâté de maison, ce qui lui prenait une vingtaine de minutes.

Ce matin-là cependant, elle fut surprise du nombre de personnes dans les rues à une heure si matinale, et tendit l'oreille aux conversations échangées entre les passants. Il semblait qu'il y avait eu beaucoup de spectateurs au bord du lac pendant la nuit pour assister à l'éclipse lunaire totale. Chacun y allait de son adjectif personnel pour décrire ses impressions face à ce phénomène rare. Et malgré leur nuit écourtée, les habitants de Roselake semblaient énervés, d'ailleurs cette effervescence collective contaminait jusqu'aux animaux qui aboyaient, miaulaient, et pépiaient à qui mieux mieux. On se serait cru un matin de fête nationale, à l'approche des festivités et des chars décorés.