La librairie Thompson

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Un grand éclat de rire l'accueillit à l'approche de la librairie Thompson, et Iris fut gênée de voir Mike, un coude posé sur la façade, qui fumait tranquillement et n'avait rien raté de la scène.

- Rien à faire, Iris, le pauvre Eric Lowell perdra son âme à te faire des avances !

- Mais non, ce n'est pas ça, il voulait juste...

- ...je sais ce qu'il voulait, et tu réponds inlassablement "peut-être" à qui chercherait à mieux te connaître.

Iris le regarda dans les yeux et vit une lueur d'ironie mêlée de déception, et elle en connaissait la raison. Mike avait l'habitude de la taquinait sur ses amants invisibles et n'hésitait pas pour sa part à lui racontait ses aventures d'un soir et ses déboires sentimentaux. Et si d'aventure il lui proposait de passer une soirée à deux, elle esquivait l'invitation d'un "peut-être un jour, mais pas maintenant".

"L'éternelle rengaine de la vieille fille", l'avait-il gratifiée une fois, et cela avait fini par instaurer un climat de non-dit entre les deux partenaires. Leur relation avait pris un tournant livresque, au grand dam de Mike, qui préférait les expériences réelles, quite à échouer. Un échec restait une bonne leçon, et pour ce séducteur éconduit, une raison de revoir sa copie. Mais il tenait vraiment à ne pas froisser Iris, qui pourrait très bien prendre la poudre d'escampette une fois pour toute.

Quant à Iris, le problème était plus simple, et elle aurait préféré mourir de honte plutôt que de l'avouer. A l'université, elle avait eu un petit ami qui avait réussi à obtenir d'elle ce qu'elle lui avait refusé pendant des mois, et le lendemain, William Parker s'était moqué publiquement de son inexpérience et de la soirée ennuyeuse qu'il avait passée en sa compagnie. Iris avait pensé ne jamais revenir sur les bancs de la fac, mais la raison avait pris le dessus, et elle était revenue sous les quolibets, se promettant de ne plus jamais se laisser piéger. Les semaines suivantes, les moqueries cessèrent d'elles-mêmes, mais Iris avait eu le temps de se forger une carapace, et elle revêtit la solitude comme une chenille se drape dans son cocon. Et l'habitude fit le reste.

Ce mercredi-là, Mike n'avait pas de nouvelle commande pour Iris, et celle-ci l'informa qu'elle avait presque terminé la couverture du livre de recettes de la vieille madame Walker, qu'elle pourrait l'apporter le lendemain, comme convenu. Mike lui annonça qu'il avait reçu un appel de monsieur Edwards qui s'impatientait pour son livre, et qui insistait pour avoir ses initiales gravées sur la couverture. Iris soupira et répéta qu'elle ne savait pas graver le cuir, et qu'elle avait encore une semaine avant l'échéance.

- Je suis certain que tu es capable de dessiner sur une autre matière que le papier ou le bois. Essaie au-moins, cela pourrait t'apporter de nouveaux clients.

- Le problème, c'est que mes commandes actuelles remplissent déjà mes journées, et que les clients ne veulent pas attendre. D'ailleurs, je ne sais même pas si je vais pouvoir continuer... avoua-t-elle.

- Comment ça ? Le cottage t'a-t-il réservé d'autres surprises ?

- Pas plus que d'habitude. Mais j'ai de plus en plus de difficulté pour payer mes traites, je suis obligée de piocher dans mes économies pour que la banque ne vienne pas sonner à ma porte. Je crois qu'un salaire fixe règlerait tous mes problèmes, expliqua Iris. Le métier de relieuse me donne beaucoup de travail, mais les commandes ne paient pas suffisamment.

- J'ai peut-être la solution pour que tu poursuives tes créations et qu'un salaire régulier vienne mettre du beurre dans les épinards ! dit-il avec un sourire de vainqueur. Ma cousine Jessica Haynes a une maison d'édition et elle recherche une illustratrice pour enfants. Ce serait parfait pour toi : dessiner, imaginer, et rester des jours entiers dans ton atelier !

- Peut-être, pourquoi pas, répondit-elle, sans relever le ton sarcastique de sa dernière phrase.

- "peut-être" ?! Pourquoi as-tu peur des changements quand ceux-ci pourraient t'apporter des solutions ?

- Je te promets d'y réfléchir.

Iris lui fit un beau sourire pour mettre fin à la conversation. Elle saisit le journal pour aller le feuilleter dans un des divans situés à l'étage, suivie du regard par Mike qui n'en perdait jamais une miette. Installée confortablement au milieu des coussins, elle posa les pieds sur un des guéridons dépareillés et entreprit de lire les nouvelles quand elle entendit la voix de Mike qui résonnait au rez-de-chaussée :

- Tu verras, dans la une, j'ai été interviewé par le journaliste Walter Wilson pour raconter une des innombrables légendes au sujet de la Lune de Sang !

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