A huit heures cinquante, Iris entra dans la bibliothèque de Mike. Les petits yeux de celui-ci dévoilaient sa participation à la nuit au bord du lac, mais son visage s'illumina quand il la vit et elle lui rendit son sourire.

- Je ne te demande pas si tu as bien dormi, lui dit-elle. L'ambiance était-elle au rendez-vous ?

- Non, Iris, puisque tu n'étais pas là... répondit Mike.

Gênée, Iris poursuivit avec les banalités d'usage et ajouta :

- Je vais finir par croire à toutes ces histoires sur la lune qui aurait un effet sur l'humeur des personnes et des animaux.

- Ah ? Pourquoi dis-tu cela ?

- Tout le monde me semble plus énervé qu'à l'ordinaire. J'ai rarement vu autant de personnes dehors en faisant mon jogging, elles semblaient toutes préoccupées par des niaiseries, et j'ai même failli avoir un accident avec un chien en venant ici...

- Et ça va ? Rien de grave ne t'est arrivé ?

- Non, pas de souci, j'ai réussi à l'éviter, mais d'habitude, Roselake est une ville tranquille.

- Tu sais ce qu'on dit sur la pleine lune ? Qu'elle aurait une influence sur le sommeil paradoxal, qu'elle pourrait même provoquer des comportements différents chez les personnes les plus sensibles.

- Demain, tout rentrera dans l'ordre alors.

Iris ne semblait pas pour autant convaincue. Son réveil brutal devait être responsable de son anxiété et elle décida de ne penser qu'à son travail. Elle était en train de déballer le livre de recettes qu'elle avait restauré la veille quand elle vit sur le comptoir un paquet de couleur mauve. Elle regarda Mike qui venait de le déposer et celui-ci lui fit un clin d'oeil :

- Toi qui adore les sagas, tu devrais apprécier cet univers médiéval-fantastique. Il s'agit du premier tome d'une série longue comme le bras, et l'auteur en est à son troisième cycle. Cadeau !

- Merci beaucoup, Mike, ça me touche...

- Tu verras, le héros est un pauvre type qui, lors d'un voyage initiatique, va chercher à dévier le cycle répétitif du destin. Mais je ne t'en dis pas plus, je suis un fan inconditionnel.

Iris fit le tour du comptoir en chêne et prit simplement dans ses bras son ami. C'était un moyen efficace pour elle de lui dire merci et de l'inviter à ne pas dévoiler l'histoire tout entière. Mike, quelque peu surpris, finit par la serrer dans ses bras. Il se demandait à quel moment elle lui ferait confiance, mais Iris était déjà en train d'arracher l'emballage mauve. Il scruta son visage quand elle découvrit le titre de l'ouvrage et fut heureux de l'effet escompté.

- L'Assassin Royal, de Robin Hobb... Tu m'en avais déjà jeté un mot il y a quelques mois, mais je n'y avais plus pensé. Encore merci Mike.

Iris allait bientôt se vautrer à l'étage pour feuilleter son journal en attendant sa cliente, madame Walker, il le savait. Il se jeta donc à l'eau, sans trop y réfléchir.

- Le quartier organise un afterwork à dix-neuf heures, en face, au 50's Diner. C'est cette nuit, au lac, que Robert Taylor, le gérant, nous en a parlé. Ce sera l'occasion pour les commerçants du centre-ville d'échanger les derniers potins. Iris, ce serait plus sympa si tu m'accompagnais. Qu'en dis-tu ?

- Tu sais bien, Mike, j'ai encore la commande de Monsieur Edwards à terminer...

Iris n'eut pas le temps de voir le visage de Mike pour comprendre que c'était le refus de trop. Il sortit prendre l'air et fumer sa cigarette sur le seuil, passablement vexé de ne pas comprendre les signaux qu'elle envoyait. Il était persuadé depuis qu'elle l'avait pris dans ses bras qu'il était peut-être temps de faire un pas vers elle, mais elle l'avait battu froid une fois de plus, et sans raison valable. Ce n'était pas un apéritif entre amis qui allait lui faire perdre une commande.