La robe à pleurs
Dans quelques jours, le temps allumerait à la vie de Louise la dernière bougie du 7ème lustre ; celle que, comme les précédentes, elle préfèrerait voir se consumer au fil de l’an plutôt que de la souffler.
Ce jour-là serait, comme à l'accoutumée, le seul de l’année où elle ferait semblant de tout : semblant de sourire, semblant d’être heureuse, semblant d’être là, semblant de vivre.
Elle n’aurait qu’un souhait : être seule, désespérément seule.
Elle prierait même pour qu’une maladie subite et hautement contagieuse la mit en quarantaine.
Mais, par politesse et aussi pour ne pas donner à savoir ce qu’elle tait depuis tant d’années, elle se plierait à la corvée de la fête organisée en l’honneur de cet évènement à répétition qui ne pouvait, en rien, être joyeux à ses yeux.
Les lancinants "Pourquoi ?" lui battraient, comme à chaque nouvelle année, les tempes jusqu’à en voir trente-six chandelles.
Le souvenir n’est pas mort. Il respire encore.
Louise sentirait, à nouveau, son souffle glaçant l'envelopper.
Ses yeux commençant à prendre l’eau, elle ravalerait ses larmes en goutte à goutte à lui noyer le cœur.
Elle fixerait alors le sablier, se demanderait combien de grains restent à picorer avant que celui-ci ne se cassât.
Comme hypnotisée par ceux reposant déjà en lie de l’horloge de verre, elle glisserait tout doucement dans un profond sommeil.
Zzz… Zzz... Zzz
Au pays des songes, il est très exactement l’heure où, du haut de ses sept ans, Louise s’est encore réfugiée dans son jardin de prairie.
Qu’elle aime ce lieu paisible où dansent sauvagement les fleurs multicolores jaillies de nulle part un jour d'ondée.
Et ce gracieux ballet d’insectes rythmé par le chant des oiseaux qui complète si délicieusement ce tableau champêtre.
Comme un filet de bonheur qui la retient de sombrer totalement.
C’est là que, vêtue de sa robe à pleurs, Louise vient régulièrement raccommoder son cœur ; ce cœur d'enfant que des adultes mettent en pièces avec un malin plaisir.
Et un cœur rafistolé avec des brins d’herbe, ça ne tient pas bien longtemps.
Le reste du temps, le poing serré, de creux en bosses, elle comptine, de ses doigts menus, les mois à la faire devenir grande ; grande à s’évader du malheur.
Elle devine qu’il en faudra un paquet de douzaines pour y arriver.
En attendant, Louise se nourrit de tas de rêves tous aussi farfelus les uns que les autres.
C’est là, aussi, qu’elle joue avec ces trois fois rien récoltés sur son chemin d’infortune. Ces jouets de pacotille qui lui sont si précieux.
Souvent, elle s’allonge à même l’herbe pour regarder les nuages droit dans les cieux.
Comme ils sont amusants à défiler à vive allure pressés d’aller arroser les champs voisins qu’un soleil féroce et précoce brûle déjà.
C’est alors que, d’un coup, le plus joufflu stoppe net sa course.
Le long d'un fil de soie, la distrayant de par ses acrobaties, il descend lui faire oreiller de douceur.
Y posant ses yeux, Louise pleure de tout son saoul.
Puis, ânonnant, elle questionne :
- Pourquoi Elle n’est toujours pas redescendue ?
- Pourquoi Elle ne m’a pas emmenée avec Elle là-haut ?
- Pourquoi Elle m’a laissée là chez ces gens pas gentils ?
- Pourquoi personne ne me prend jamais dans ses bras ?
- Pourquoi j’ai toujours froid ?
- Pourquoi… ?
- Pourquoi… ?
- Pourquoi… ?
Malgré tous ces pourquoi sans réponse, Louise ne lui reproche rien tant elle reste persuadée que, quand il pleut, c’est Elle qui pleure toutes ses larmes de tristesse de l’avoir oubliée sur ce chemin de non vie.
Tant elle imagine, aussi, que le moindre rayon de soleil qui se pose sur l'une de ses épaules n'est autre que son bras à Elle qui vient la réchauffer de tendres caresses.
Et puis ce que Louise aime par-dessus tout, c’est quand sa maman, la tête à l’envers, lui sourit de sa bouche arc-en-ciel.
C'est sûr, quand elle sera grande, elle portera le même rouge à lèvres bariolé.
Apaisée, Louise s’endort tandis que le traversin cotonneux, perclus d’interrogations, remonte difficilement au ciel.
Zzz… Zzz... Zzz
- Louise, allez Louise réveille-toi !
C’est un baiser de son charmant qui la sort de sa torpeur.
- Et si tu mettais ta robe à fleurs qu’on aille danser ?
***
© Brune*
PN 7974-41254
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