Une main vous quitte une autre se tend
La nuit est froide, le vent souffle, faisant voler des flocons de neige tout autour de la jeune femme. A ces cotés, une fillette marche en lui tenant la main. L'enfant suit malgré la fatigue, comme une automate.
De temps en temps, elles s’arrêtent pour laisser le temps à la jeune femme de reprendre son souffle après une énième quinte de toux caverneuse et sanglante. Le teint pâle, les traits tirés, le front brûlant, elle sourit à la fillette puis reprend la route.
Cette fois, elle s'affale à même le sol neigeux, contre un arbre, prend la fillette dans ses bras et la fixe, le regard rempli d’inquiétude, sentant la mort roder.
« Fiona chkoute ben c'que j'va dire.
Elle pointe un clocher au loin et ajoute d'une voix faible :
- Tuois là bas le clocher ? C'Laval n'es plus bin loin. Entre dans l'maison qui à l'clocher. T'vero bin qu'on prendra soin de toé. D’mandes le curlé et tu dis tva à Brest.»
Elle enfonce un morceau de papier dans la poche de l’enfant et ajoute, entre deux quintes de toux :
« Donnes c’papier au curlé. C’est très important ! Moi j'm'en va rester là. »
La fillette prend les mains de sa nounou pour l'obliger à se lever tant la forêt lui fait peur avec ses arbres nus qui ressemblent à des squelettes.
« Naaan tu viens ! nounou lève toi ! »
La fillette tire en vain, le corps de la nounou devenant de plus en plus lourd et ses yeux sans vie fixant la fillette.
L'enfant, maîtrise mal sa peur et tire de plus belle en hurlant :
« NOUNOU ! »
La fillette tirait de toute ses forces mais en vain. La main de la jeune femme devient si lourde qu'elle entraîne Fiona dans sa chute.
L’enfant resta là, à demie couchée dans la neige puis se redresse et regarde sa nounou qui semblait fixer le paysage.
La petite fille soupir, s'accroupit et lui caresse la joue déjà glacée.
« Nounou on y va ? J'ai froid moi ! »
La fillette finit par se relever et regarde la route. Elle cherche le clocher mais la neige de plus en plus danse le masque à sa vue.
Alors, perdue, la petite fille pleure dans les jupes de sa nounou que la neige commence à couvrir. Sa poupée de chiffon collée sur son visage, absorbe ses larmes.
***
Alicia marche dans la forêt, comme chaque matin, à la recherche de pommes de pins. C'était un prétexte pour se retrouver seule, faire le point sur sa vie, son avenir car elle ne peut s’empêcher de penser à son fils Matéo, emporté à l'âge de trois ans, alors qu'il était avec son père. La perte de son enfant avait été alourdi par le suicide de son mari qui n'avait pas supporté son sentiment de culpabilité. La jeune mère épleurée ne lui en avait pourtant jamais voulu.
Cette double peine avait plongé la jeune femme dans une torpeur qui l’entraînait lentement vers la mort.
Contre toute attente, elle avait rencontré Florian, un homme doux, patient qui réussit à lui redonner goût à la vie.
Deux années avaient passé mais la peine était là, profonde, indélébile au point de la rendre stérile. Son compagnon, avait mis de côté son désir de paternité, pour prendre soin de la jeune femme car il sentait que seul l'amour réussirait à les rendre heureux.
Elle marche donc, perdue dans ses pensées, quand un cri d'enfant déchire le silence.
« Nounou ! »
Elle avait cru d'abord rêver, mais les pleurs lui transpercent le cœur. Elle lâche son panier et court en direction des bruits.
Le spectacle qui s’offre à ses yeux la bouleverse. Un simple regard lui suffit pour se rendre compte que la femme est morte et son cœur se serre devant le chagrin de l’enfant. Elle s’approche doucement de la fillette pour ne pas l’effrayer :
« Bonjour petite fée, n’ai pas peur ! je suis là maintenant ! »
Fiona releve la tête et regarde, de ses grands yeux gris, l'inconnue, accroupie devant elle. Elle l'écoute, ses pleurs cessent comme par enchantement.
Alicia lui caresse la joue :
« Là ne pleure plus petite fée, nous allons aller dans un endroit chaud. »
Tout en l'écoutant, la fillette dévisage la dame avec attention : Elle a un visage doux, souriant et ses yeux bleus la regardent avec tendresse.
Elle est jeune, la vingtaine, ses longs cheveux châtain clairs tombent sur ses épaules, des flocons s’engouffrent dans ses boucles, la faisant ressembler à une jeune mariée.
Fiona se sent en confiance et se détend peu à peu à son contact. Quelque chose d'indescriptible l'attire chez cette femme au regard si doux et à la fois triste.
Alicia continue à apprivoiser la petite avec douceur :
« Je m’appelle Alicia. Et toi, c'est quoi ton petit nom ?
- Fiona»
La fillette sourit quand la jeune femme lui met son beau manteau bien chaud. Elle soupire d'aise en sentant la douce chaleur du col aussi doux qu’un ours en peluche.
Alicia la regarde comme si elle apercevait un ange tombé du ciel, venu réparer sa souffrance.
«Trugarez, dit l’enfant les yeux remplis de reconnaissance.»
Tandis qu’Alicia ferme les yeux de l’éternelle endormie, en faisant un signe de croix, imitée par Fiona qui ajoute
« C’est nounou ! Elle veut pas se lever. »
Alicia tend ses bras vers l’enfant pour l’inviter contre son cœur :
« Ne t'inquiète pas petite fée. Les anges vont venir la chercher. Quand à toi, je t’emmène au pays des vivants. Tu veux-bien ? »
Fiona a très envie de suivre Alicia mais on lui avait appris à ne pas suivre les inconnus, même si la dame se comportait comme une maman. De plus, nounou lui avait dit qu'elle la ramenait à sa nouvelle famille, qu’un papa et une maman allait prendre soin d'elle.
En pleine réflexion, son regard va de la jeune femme à la nounou. Elle voit bien que sa nounou reste immobile et ne chasse même pas la neige qui commence à la recouvrir tel un linceul.
Alors, elle se souvient :Nounou lui avait dit qu'elle la ramenait dans sa famille, qu'ils seraient heureux de la connaître. Nounou avait même maudit cette satanée toux qui l'empêchait d'aller plus vite. Elle lui avait raconté la mer, la Bretagne, son nouveau papa et sa nouvelle maman.
Le froid qui lui mord les joues et le nez finissent de décider la fillette : Mue par un instinct de survie, Fiona, en déduit, qu’Alicia est sa nouvelle maman. Alors, elle s’engouffre dans les bras chauds qui lui sont offerts :
« Tu amènes moi à kêr ? »
Tandis qu'ils cheminent en direction du village, la fillette écoute le doux son de la voix féminine tout en regardant sa nounou disparaître peu à peu dans son tombeau blanc, comme englouti par le paysage. Elle voit des petits flocons danser et briller sous le soleil.
«Ho regarde les fées-anges elle viennent chercher nounou ! »
La fillette regarde Alicia de ses grands yeux gris. Elle sent la chaleur envahir peu à peu son petit corps gelé. Les petits cristaux qui s'étaient formés sur ses longs cils couleur de feu commencent à fondre et à couler en traçant de longs sillons sur ses joues que la jeune femme s’empresse d’essuyer d’un revers de manche.
Fiona avait déjà entendu parler des anges. Elle pensait même en avoir déjà vu dans la forêt quand le soleil projette ses rayons entre les feuilles des arbres et dansent avec elles. Elle s'amusait alors à essayer de les attraper.
« Mama et tadig ils sont avec les dieux de la forêt.»
La petite montre la forêt de son petit doigt. Son autre main s'accroche au cou de la jeune femme.
Des milliers de frissons parcoure le corps d’Alicia et ce n’est pas que le froid : Le contact et le souffle de la fillette, font renaître en elle, se désir si fort de la maternité. Mais elle sait que cette enfant ne lui appartient pas. Elle se fait violence pour ne pas s’y attacher, mais elle ne peut s’empêcher d’espérer malgré tout. «Profiter de cet instant offert» se dit-elle.
Alicia presse le pas comme elle peut, dans cette neige mole, les flocons lui fouettent le visage. C’est à peine si elle voit le panier qu’elle a laissé tomber sur le chemin. Elle le ramasse tout en conversant avec l’enfant.
« Là où elle va, elle sera très heureuse et pourra mieux veiller sur toi. »
On lui avait dit que son papa étaient partis dans l'autre monde, celui des dieux et que sa mère l’y avait rejoint pour mieux veiller sur elle. Fiona n’avait pas trop compris pourquoi ils veilleraient mieux sur elle alors qu’elle ne les voyait plu, qu’elle ne pouvait plus monter sur les épaules paternelles ni se blottir dans les bras maternelle et entendre des histoires, ou des chants avant de s’endormir.
« Moi aussi je vais veiller sur toi, » ajoute la jeune femme dans un un sourire «à commencer par ton petit ventre bruyant. Je vais nous faire de bonnes crêpes. »
Au mot crêpes, les sourcils enfantins se relevèrent et un large sourire illumine son visage :
«Voui des crêpes avec de la crème et de la confiture ! »
Arrivées dans le village, Fiona aperçoit les jolies maisons. Comme Alicia se dirige vers l'une d'elle, la fillette ne met pas longtemps à comprendre et pointe sa petite menotte en direction de la chaumière :
« Kher ! »
Alicia, d'abord surprise, comprend qu'il s'agit de son logis:
« Oui c'est ma maison ! Je vais te présenter à Florian, mon compagnon. Il est médecin. Tu verras, il est très gentil.»
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