Luciath (1h avant)
— Allô. Bonjour. Pourrai-je avoir le Colonel Larse s'il vous plait en connexion sécurisée, niveau rouge.
— Affirmatif, Monsieur. Que dois-je annoncer ?
— Code Extraction.
L'opératrice s'exécuta et après quelques secondes d'attente fit basculer la communication en niveau rouge.
— Niveau atteint. Vous êtes relié. Bonne journée Monsieur.
— Merci. Bonne journée.
Un signal annonça à Luciath qu'il était en ligne.
— Larse ! Écoute-moi bien. On a une remontée ici, chez moi, Larse ! Comment ça se fait ?
Il avait dans la voix la rapidité de la panique et l'acidité de la peur.
— Du calme Luciath, du calme. On est au courant. Lazarus vient de nous cracher le morceau. On est tous très étonnés aussi, c'est vrai. On s'y attendait pas. C'était pas prévu ce truc, hein ? En plus, c'est chez toi ! Quel comble !
Il eut un rire gras insistant et délibérément provocateur. Il avait cette habitude de faire passer dans son rire suffisamment de mépris pour faire sortir de ses gonds n'importe qui, même le plus calme des hommes.
— C'est pas le moment de se marrer Larse. Tu vois ce que cela implique pour ma carrière cette histoire pourrie ? Fais gaffe à toi quand même, d'accord ? Si je tombe, tu tombes avec moi et toute ta bande de malfrats avec, on est d'accord ?
— Ho.... Doucement Monsieur le député... Commence pas à menacer. J'ai des choses moi aussi sur toi. Tu sais très bien que je n'ai rien à perdre. Vous me répugnez tous. Cette Cité me répugne. Elle pue la suffisance. Vos lois me répugnent... Si tu veux qu'on la réforme de fond en combles, alors tu la fermes avec tes menaces de gamin et tu me laisses faire. Pour l'instant, le plan fonctionne plutôt bien, non ?
— Plutôt bien ? Mais tu blagues ? D'abord, on a une remontée qui n'est pas prévue et ensuite c'est chez moi qu'elle a lieu !
Il avait inspiré fort.
— Je suis foutu, tu comprends ! Ta machine va me pourrir la vie, Larse ! Ils vont tout décou...
— Je t'ai dit de te calmer !
L'écouteur satura.
— Premièrement, ce n'est pas ma machine. Les Lazarus sont là depuis bien plus longtemps que nous. Elles fonctionnent à merveille. Mieux que prévu même ! Deuxièmement, c'est quand même l'une d'elles qui t'a ramené ici, alors commence pas à cracher dans la soupe, ok ?
— On avait dit qu'on n'évoquerait jamais ça en communication. Quelqu'un pourrait...
— Personne ne nous écoute Luciath. Cette communication est hyper sécurisée. Arrête d'être paranoïaque ! C'est nous qui l'avons créée. Et puis, quoi ? T'es remonté et alors ? En 4141, c'est ça ? On a inventé ensemble une histoire de cadavre retrouvé dans le fleuve pour t'éviter la mort ? Ensuite, j't'ai mis à l'abri dix ans. C'est moi qui t'ai sorti de là. Je t'ai aidé à gravir les échelons pour que tu travailles sur la construction du troisième Lazarus ? Qui t'a fait rencontrer Emma, hein ? dis-moi ! Je t'ai fourni les médocs pour ta longévité ? Ouais et alors ? Il est où le problème ? Personne ne croira un instant cette histoire. Il faut des preuves pour ça, du solide. Les preuves, c'est moi qui les ai, alors tant que tu me donnes le fric dont j'ai besoin, je n'ai aucun avantage à raconter quoi que ce soit.
Il aimait bien faire peur aux gens de qui il tenait des petits secrets. En parlant fort de choses qu'ils ne voulaient pas entendre, à des moments qu'ils n'avaient pas choisis, il mesurait à chaque fois leur dépendance, leur souffrance et il cimentait un peu plus le chantage.
— Mais... Tais-toi... Tais-toi... j'te dis... Pfff, tu m'dégoutes...Tu bouffes à tous les râteliers, toi. Tu me fais vraiment de la peine avec ta fausse...
— Je t'arrête tout de suite Luciath avant que tu ne dises des choses que tu risquerais de regretter. T'as déjà failli crevé dans ton monde...Quand t'es arrivé ici, t'étais à deux doigt d'y passer également. Ne me donne pas l'occasion de provoquer ta perte définitive.
Il eut un silence. Larse racla sa gorge.
— Bon... Pourquoi tu m'appelles ?
— La remontée que ta foutue machine n'a pas été capable d'empêcher... Elle s'appelle Isaac Bruneri. Mâle. 46 ans. Année de provenance 2017...
— Quoi ? Attends, attends... Comment ça, qu'est-ce que tu dis ? 2017 ?
La voix de Larse sembla trembler. Même s'il ne s'occupait que de la sale besogne, il était cependant au courant du rythme des remontées et cette date n'augurait rien de bon.
— Oui, je sais c'est bizarre, confirma Luciath. Juste avant le cataclysme. Je ne comprends pas pourquoi ça remonte aussi loin. De toute façon, il faut s'en débarrasser. Heureusement, il a l'air complètement perdu. Ça ne devrait pas être difficile de...
— On fait comment ? coupa Larse.
— Tu viens ici chez moi. Tu dis tout à propos du troisième Lazarus.
— Woo woo woo.... Attends, attends... Il est sensé ne pas exister !
— Comment vas-tu expliquer que tu sais qu'il y a une remontée, alors ? Ne t'inquiète pas. Je serai là et tout aussi surpris que tout le monde. Et puis, cette info me permettra de faire tomber tout le Gouvernement Central. Les citoyens n'aiment pas le mensonge, la corruption et tout le tralala. On leur fera penser que leur Gouvernement magouille avec Bruce de la Zone Libre, par exemple. Après, une fois devenu Conseiller Général, je te sors de prison et je te place où tu veux et on repart sur ton plan de départ, ok ?
— Prison ? Mais, t'es complètement malade !
— Il faut que ça soit crédible, non ?
— Pourquoi j'irais en prison ?
— Une fois le Gouvernement central évincé, je lancerai une grande campagne de purification politique à tous les niveaux. Le peuple voudra des coupables... Alors, t'iras en prison et on trouvera un truc pour te disculper.
— Et tu dis que je bouffe à tous les râteliers ! T'as intérêt d'me faire sortir vite.
Il eut de nouveau un rire gras comme si cette solution ne l'inquiétait pas.
— Ça va, c'est bon. Je gère, confirma Luciath.
— Il est sans danger le Bruner ? interrogea Larse insensible à cette dernière remarque.
— Rien de particulier. Il a l'air complètement paumé. Il cherche sa fille partout et il veut savoir comment revenir chez lui. Ça devrait être facile pour toi, Larse.
— La dernière fois que tu m'as dit ça, j'ai dû cramer tout un village.
— Kyshum au Nord ?
— Non. Tascay. Pour Kyshum, j'ai laissé Bruce s'en occuper. Il a failli faire tout foirer !
— C'est sûr. En même temps, t'as pas fait mieux, Monsieur "je suis meilleur que tout le monde"...
— Si tu m'avais prévenu que le village fêtait les vendanges... Ho ! et puis, tu me soûles avec tes sous-entendus.
Il racla encore une fois sa gorge.
— Bon, ok, reprit Larse. J'amène une petite équipe. J'te préviens, si ça tourne mal, j'arrose tout et je me barre aussi sec ! Alors mets à l'abri ceux que tu aimes.
— Hum... Oui, il faut que ça soit crédible...
Luciath inspira profondément et après un silence assez long continua.
— Tu n'épargnes personne si ça tourne mal, sauf Yakath, avait-il solennellement annoncé.
— Et la Reine Emma ?
— Je... J'en trouverai une autre...
Sa voix avait pris un air grave, tragique.
— Elle s'est entichée de ce Bruneri. Je l'ai bien vu. Je pense qu'elle ne nous sera d'aucune utilité. Elle respire la sincérité, l'honnêteté véritable. Elle est perspicace et sage. Elle pourrait vite se rendre compte que certaines choses ne tournent pas rond. Ça ne fera pas bon ménage avec nos affaires. Elle est dangereuse.
Luciath était prêt à tout pour obtenir le poste de Conseiller Général. C'était la responsabilité suprême. Une fois assis sur le trône du Gouvernement Général, il allait pouvoir réformer doucement mais sûrement la Cité pour l'amener là où il voulait. En travaillant pendant un si long temps sur le Lazarus, Luciath avait compris qu'il était possible de retourner vers le passé, à son époque d'origine, voire plus loin. Il appelait ça l'Extraction. Il est possible de s'extraire de n'importe quelle époque. Une sorte de navette vers le passé. Mais, il lui fallait encore du temps pour bien comprendre et mesurer les risques. Il n'était pas loin d'atteindre son objectif. Il soudoyait quelques ingénieurs et scientifiques. Grâce à cette équipe compétente et discrète, il allait pouvoir entreprendre de grandes choses. Cet objectif atteint, il deviendrait très puissant dans plusieurs mondes en même temps. Son futur, son passé et son présent. Il allait pouvoir les modifier à sa guise. Il pourrait détruire facilement ses adversaires en allant effacer leurs lignées indésirables dans le passé. Mais pour ce projet fou il fallait des sacrifices. Beaucoup de sacrifices.
— T'y vas fort, là. On pourrait juste l'écarter, la mettre de cô...
— Je t'ai dit qu'elle est dangereuse. Elle discerne beaucoup trop de chose. Je m'en trouverai une plus... soumise...
Larse s'étonna d'une telle réaction.
— Bon... Je déboule dans une demi-heure. Sois prêt.
Larse avait coupé la communication avant que Luciath ait pu ajouter quoi que ce soit. Luciath prit un instant pour réfléchir un peu après cet échange. Du pli intérieur de son vêtement, il avait sorti un petit carnet usé. Sur ses pages étaient griffonnés des formules, des mots, des schémas, des noms de contact et des dates. Il y inscrit la date du jour qu'il entoura en gras.
— On avance...
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