Police

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Quand elle eut atteint l'entrée, Emma reconnut immédiatement au travers de la haute porte translucide la silhouette sombre et carrée du Colonel Larse. Il s'agitait plus que de raison et sa petite taille ajoutait à la nervosité du trépignement. Elle remit en place ses vêtements, ajusta ses cheveux et finit par faire signe au personnel de libérer la pièce et à la servante d'ouvrir.

 — Reine Emma, mes hommages, ô grande et fidèle Reine. Longue vie à vous ! Que la Cité vous prête vie et longueur de jours, enfants et progéniture jusqu'à mille générations !

Il avait presque touché le sol en se courbant excessivement. Le colonel Larse avait l'habitude de rencontrer des hautes personnalités et, dans sa longue carrière, il en avait vu des officiels de tous genres, obligé, lui, le militaire, de se plier à tous les protocoles possibles et imaginables. Il détestait ça. À force, il avait fini par perdre toute notion de politesse et usait de flatteries obséquieuses souvent maladroites. Il avait même collecté dans un carnet les formules de politesses qu'il entendait ici et là et les avait apprises par cœur pour les utiliser au bon moment et paraitre sociable. En vain.

 — Colonel Larse, Chef de la Garde de la Cité, que me vaut votre visite ? Vous avez l'air agité aujourd'hui. Ne me dites pas qu'une guerre est en train de se préparer au-delà des murs ?

Elle faisait allusion ironiquement aux multiples alertes que la Garde de la Cité avait l'habitude de lancer, dans un but évident de faire peur aux citoyens. Cela avait fini par lasser les habitants. Elle avait exagérément porté sa voix dans les aigus pour le titiller et surtout pour gagner du temps.

 — Ô ma Reine, permettez-moi d'être franc et direct avec vous. C'est que le temps presse. Laissez-moi entrer que je vous explique car l'affaire est urgente.
 — Ne perdons pas de temps. Parlez.
 — Je me permets d'insister Madame. Je vous assure... Il est nécessaire qu'on s'assoie...

De temps en temps, il tentait d'apercevoir ce qui pouvait se passer derrière elle, à l'affût d'une information, d'un détail qui pourrait le faire avancer dans sa quête.

 — Parlez Colonel ! Parlez ! insista-t-elle.

Elle décida de rester sur le pas de la porte. Un ultime mais frêle barrage. Il fixa un instant la Reine se demandant si c'était du courage ou de la témérité qu'il avait devant lui.

 — Très bien. Vous n'auriez pas eu la visite d'un individu qui n'a rien à faire ici, par hasard ?
 — De quoi parlez-vous exactement, Colonel ?
 — Nous recherchons un homme fraichement débarqué. Un p'tit nouveau, quoi.
 — Quelqu'un de la Zone Libre ?

Cette fois, elle prit un air sérieux. Elle fronça les sourcils et se redressa légèrement pour paraître plus grande et plus sûre d'elle.

 — Non, ma Reine. Non. Rien de tout cela. Il vient de beaucoup plus loin... et pour tout dire...
 — Je n'ai rien vu Colonel, coupa-t-elle. Vous savez que si j'avais vu quoi que se soit, j'en aurai immédiatement alerté le Gouvernement Central.
 — C'est que...

Il avait pris un air désolé. L'air que prend un policier quand il confond son suspect.

 — Hum... Nous avons eu vent d'une activité suspecte par ici, Madame.
 — Une activité suspecte ? De quoi parlez-vous Colonel ?
 — Nous avons une remontée... Madame... Et... elle a été localisée ici... chez vous, Madame.

Son cœur battit fort, très fort. Elle n'allait pas pouvoir faire semblant très longtemps devant un fin limier comme le Colonel.

 — Mais... ? Comment pouvez-vous détecter une remontée ? Lazarus est éteint depuis plus de 160 ans. Personne n'y a accès. Nous l'avons scellé à la dernière remontée, rappelez-vous, vous étiez là.
 — Oui, c'est exacte Madame... Mais, c'est que... nous avons un autre Lazarus.
 — Comment ça, un autre Lazarus ?

Elle avait ouvert grand les yeux. Elle connaissait les militaires et leurs constants coups bas. Ils cachaient toujours les informations, manigançaient et maniaient l'intrigue pour obtenir ce qu'ils voulaient. Elle n'était qu'à moitié étonnée.

 — Celui de la Zone Libre ? N'est-il pas lui aussi éteint ?
 — Tout à fait Madame. Les deux ont été définitivement désactivés. Je parle, Madame, du Lazarus que possède le Gouvernement Central de la Cité. Une A24c15 très puissante et toujours en pleine activité.
 — Quoi ?

Elle n'avait plus de voix. Toute la confiance qu'elle avait placée dans le Gouvernement Central s'évaporait, là, en quelques secondes. Son monde s'écroulait. Elle discerna que si tout cela était vrai, alors il savait à coup sûr qu'Isaac était là.

 — Et si je vous révèle ça, Madame... Il eut un petit rictus de satisfaction, si je vous révèle ça, Madame, c'est que, vous risquez d'être mise en état d'arrestation si vous ne livrez pas l'individu.
 — Comment ça 'en état d'arrestation' ? Vous savez à qui vous parlez, Colonel ? Il n'y a personne ici, d'accord !

Elle tenta l'intimidation.

 — Je sais, Madame, exactement qui vous êtes. Reine Emma. Onzième du nom. Vous avez 192 ans. Et si vous paraissez si jeune aujourd'hui c'est parce que le Programme pour la Préservation de la Vie vous a dotée de tout ce qui se faisait de meilleur en médecine pour allonger votre existence et augmenter votre fécondité. Ils vous injectent une " potion magique " que vous seules, les femmes pouvez assimiler, apparemment. Que c'est mignon tout ça ! Mais, il me semble que vous avez mis au monde très peu de filles, n'est-ce pas Madame ?

 — Deux, murmura-t-elle.
 — Oui, c'est ça... deux... La première est morte très jeune, il me semble. Vous vous souvenez pourquoi, Madame ?

Il avait ce mépris grandissant dans la voix qui perçait dans l'air comme des couteaux affutés. Une arrogance qu'il crachait avec dédain. Il ouvrait les plaies d'autrefois avec une insolence démoniaque. Elle garda le silence.

 — Hum... Je vois... Je vais vous le dire, Madame. Votre première fille, Tanya, je crois, c'est ça hein ? Tanya... Haaaa ! les jeunes...

Il se retourna vers les hommes derrière lui sans rien attendre d'eux.

 — Elle s'est barrée dans la Zone Libre pour aller fricoter avec du rebelle... du beau p'tit rebelle bien frais, hein ? Et vous avez caché ça au peuple de la Cité, l'exposant à un grand danger. Tout ça pour bécoter du p'tit rebelle, hein, c'est ça ?

 — Arrêtez !

Son cri parcourut toute la maison. Tout le personnel déjà regroupé dans le hall, frisonna. Ses yeux maintenant remplis de larmes fixèrent l'horizon. Des souvenirs glaçants. Et ces paroles comme des épées. C'en était trop. Luciath descendit rapidement pour s'enquérir de la situation.

 — Ma chérie ! Que se passe-t-il ?

Il arrêta son regard sur les personnes devant l'entrée. Il reconnut Larse et quelques soldats. Il fit mine d'être étonné.

 — Larse ? Que se passe-t-il, voyons ?
 — Luciath, fais quelque chose, s'il te plait, avait-elle supplié en retenant ses larmes.
 — Larse, expliquez-vous.
 — Monsieur, c'est que...

Il mâchouillait son chewing-gum bruyamment.

 — Nous avons des éléments qui nous amènent à penser qu'une activité suspecte a eu lieu ici même... Une remontée, Monsieur...
 — Une remontée ? Mais, ce n'est pas possible, vous savez...
 — Oui Monsieur... Je sais tout ça. Comme je disais à Madame la Reine, nous avons un Lazarus de compétition dans les sous-sols du Gouvernement Central. Ce troisième modèle n'est pas désactivé. Il tourne toujours à plein régime.

De nouveau, un rictus diabolique vint habiller son visage.

 — Seules quelques personnes connaissent son existence, enchaîna-t-il. Le Gouvernement Central a décidé de le maintenir en marche au cas où. Et hier, Lazarus à vibré. Il a craché le morceau. Les coordonnées sont tombées une heure après.
 — Il y a sûrement une erreur Luciath, explique-lui. Il y a sûrement une erreur... supplia-t-elle.

Maintenant elle pleurait, non par crainte d'être arrêtée, mais parce que l'idée de devoir livrer Isaac aux militaires lui était insupportable. Elle savait qu'ils le tueraient. Luciath l'avait compris. Mais il n'aimait pas la façon dont sa femme s'attachait à cet inconnu. Tout à l'heure, il avait vu les regards, la main sur son épaule et son attitude qui dépassaient la simple politesse. Il avait senti en Isaac plus qu'un rival.

Un remplaçant.

Il avait toujours réussi jusqu'à présent à écarter les rivaux. Il avait fallu qu'il y en ait un qui atterrisse chez lui ! Mais la chance était avec lui. L'occasion de s'en débarrasser était là en face de lui en la personne de Larse. Le ressentiment avait fini par décider à sa place contre tout raisonnement logique. Il en avait oublié que la présence d'Isaac dépassait tout simplement toutes les prédictions qu'elles soient mathématiques ou humaines. Ce qu'il se passait chez lui était prodigieusement imprévu, et de ce fait, à son insu, remarquablement déjà écrit dans l'histoire.

 — Colonel, vous allez m'expli...
 — Maman ? Pourquoi tu pleures ?

Yakath venait d'apparaitre. Dans l'agitation, la servante l'avait complètement oubliée. Elle se réfugia dans les plis de la longue robe de sa mère. Elle n'avait pas pleuré mais des larmes semblaient toutefois se préparer à glisser sur ses joues.

 — Tu pleures à cause de Tonton Zazac ? dit-elle.

Les mots résonnèrent comme une véritable condamnation. Ils vinrent briser le fragile mensonge d'Emma. Une démolition dans les règles du délicat morceau de vie qu'il restait à Isaac perdu dans un monde qui n'était pas le sien et qui allait devenir le dernier qu'il lui serait donné de connaître.

 — Tonton Zazac ? Dites m'en plus ma petite, demanda Larse.

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