3. Odeur fleurie et boutique
Il est 10 heures pile. Agathe vient de passer une bonne trentaine de minutes à nettoyer le sol de la boutique, sur lequel étaient tombés des pétales durant la nuit, ainsi qu'à préparer des arrangements floraux commandés par des clients la veille et qui seront vendus le matin même. Puis elle tourne l'ardoise suspendue à la porte du magasin de fleurs pour que l'inscription "Ouvert" donne sur la rue, en remplacement de celle qui indiquait "Fermé". Elle retourne derrière son petit comptoir de bois sur lequel elle a laissé en plan un pot rempli de roses auxquelles elle doit retirer les épines et continue sa tâche, attendant patiemment, et toujours en sifflotant les airs entendus quelques instants plus tôt, les premiers clients de la journée.
Agathe aime sa boutique ; elle s'y sent comme chez elle, et elle espère à chaque fois très sincèrement que les gens qui entrent dans ce lieu qu'elle veut reposant se rendent compte de cela. Le petit magasin sent bon. Les odeurs des différentes fleurs et plantes que vend Agathe se mélangent, s'entrelacent, et la jeune fleuriste aime fermer les yeux quelques instants et respirer ce parfum qu'elle trouve si agréable. Quand, à 9 heures et demie, elle tourne la clef dans la serrure et ouvre en grand la porte de la boutique, la vision de son commerce et l'odeur fleurie la mettent immédiatement de bonne humeur – du moins elles la mettent d'encore meilleure humeur ! –, et lui arrachent, à chaque fois, un grand sourire. Son lieu de travail, elle y tient énormément, et pas une journée ne passe sans qu'elle n'ait envie de s'y rendre tant elle s'y sent bien.
De l'extérieur, la boutique est attirante. Elle se situe dans un joli quartier commerçant du centre-ville, et Agathe a disposé près de la devanture, dans la rue, des plantes colorées qui attirent le regard des passants, qui souvent finissent par entrer, même lorsque le magasin de fleurs ne faisait pas partie de leur itinéraire initial. L'intérieur, quant à lui, est bien éclairé, car toute la partie du petit commerce qui donne sur la rue est vitrée, aussi Agathe utilise peut la lumière artificielle, surtout ce moment où il fait beau toute la journée.
Quand on entre dans la boutique, on a l'impression d'avoir traversé une sorte de portail qui nous aurait transporté dans un autre monde aux allures presque merveilleuses, fantastiques, où la végétation règne en maître – c'est en tout cas ce qu'on a dit à Agathe, à plusieurs reprises, et c'est aussi ce qu'elle ressent lorsqu'elle arrive ici le matin. Les fleurs, placées de manière irrégulière mais tout de même bien réfléchie sur différentes étagères de bois, semblent être dans leur état naturel, leurs couleurs s'harmonisant entre elles. À l'un des murs, Agathe a accroché une échelle qu'elle a repeinte en blanc et aux barreaux de laquelle la fleuriste a suspendu de petits terrariums. Il y a aussi un arrosoir rouillé, qui appartenait à son arrière-grand-mère, dans lequel poussent à présent des tulipes orange, qu'elle a placé à côté d'une vieille bicyclette qui doit dater de la même époque, à quelques années près.
Les premiers clients commencent à arriver, notamment ceux qui viennent récupérer des commandes passées la veille. Une femme d'une cinquantaine d'années, qui n'avait jusqu'ici jamais mis les pieds dans la boutique de la fleuriste, ouvre de grands yeux lorsqu'elle passe la porte et regarde tout autour d'elle, émerveillée – le genre de réaction qu'Agathe adore voir, qui lui font plaisir à chaque fois et lui font également savoir qu'elle a réussi son pari de transporter les gens dans un autre monde lorsqu'ils entrent dans son petit commerce. La femme se penche pour respirer le parfum d'une fleur aux pétales blancs et rouges qui semble avoir attiré son attention.
— Bonjour, je peux vous aider ? propose Agathe en reposant ses ciseaux sur le comptoir et en venant se placer devant celui-ci, laissant en plan son ouvrage.
— Bonjour, je vous avais appelée hier pour un bouquet de lys blancs que je devais venir récupérer ce matin. Au nom de Liliace, ajoute-t-elle tandis que la fleuriste se dirige vers l'arrière-boutique, dans laquelle elle a déjà placé une partie des arrangements réalisés un peu plus tôt ce matin-là.
Elle revient quelques secondes plus tard avec ledit bouquet, qu'elle pose sur le comptoir.
— Est-ce qu'il vous convient ? s'enquit-elle.
— J'aime beaucoup. C'est magnifique. Je vous remercie, répond la dame en souriant chaleureusement. Ma fille va les adorer, j'en suis persuadée.
— C'est pour quel événement ? interrogea Agathe, un peu curieuse, il fallait bien l'avouer.
— Une naissance ! Et sa fille s'appelle Lys, d'où le bouquet, expliqua la dame qui semblait très émue.
— Comme c'est heureux, sourit la fleuriste. Mes félicitations, alors !
La femme la remercia pour les fleurs une nouvelle fois – et les joues d'Agathe finirent même par se teinter de pourpre tant ces compliments la touchaient –, lui dit que le lieu était magnifique, et lui promit de revenir dès qu'elle en aurait l'occasion.
Agathe était touchée par les mots de cette nouvelle cliente et si heureuse pour elle, sa fille et leur famille, bien qu'elle ne les connaisse pas. Les bonnes nouvelles, la joie dans le regard des gens, avaient quelque chose de contagieux.
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Agathe n'aimait pas conduire de nuit, surtout quand il y avait une petite bruine comme ce soir-là. Mais elle avançait prudemment, comme elle le faisait toujours, et avait allumé ses phares. Elle était exténuée après cette dure journée, et n'attendait que de pouvoir rentrer chez elle se reposer.
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