5. Parc des Arts
Le soir, lorsqu'Agathe a terminé sa journée de travail et qu'elle a refermé la porte de son attrayante boutique, la fleuriste aime passer par le fameux Parc des Arts pour rentrer chez elle. Cela lui rallonge son chemin du retour de plusieurs dizaines de minutes – surtout qu'elle n'hésite jamais à faire une pause si elle voit quelque chose qui lui plaît ! –, mais ça lui est bien égal, car l'ambiance qui règne dans ce lieu est telle que cela en vaut la peine, surtout en cette période estivale, où les visiteurs se font encore plus nombreux qu'à l'accoutumée. Ces flâneries dans le parc lui font un bien fou à chaque fois, et chaque jour elle est heureuse de s'y promener.
La fleuriste quitte la rue commerçante, traverse un passage pour piétons, longe un muret, change de trottoir, passe dans une autre ruelle, arrive sur une place qui ressemble un peu à celle où elle déjeune avec Ernest, puis elle finit par atteindre le joli parc où les activités ne manquent pas. A peine Agathe est-elle entrée dans le célèbre jardin public qu'elle est accueillie par un homme jouant du saxophone sur un banc. La jeune femme s'arrête pour profiter de la fin du morceau, un air mélancolique qu'elle a déjà entendu à maintes reprises mais dont elle ne se rappelle pas le titre, puis elle reprend son chemin.
Plus loin d'autres musiciens se sont également installés pour jouer, faisant profiter de leurs belles mélodies aux passants, qui se font nombreux ce soir-là. Certains sont également accompagnés par des danseurs et des danseuses, qui entraînent dans leur ronde les promeneurs. C'est ainsi qu'Agathe se retrouve à se trémousser maladroitement sur un fond de musique jazz. Elle rit de ses piètres performances ; elle n'a jamais eu le rythme dans la peau, comme on dit, mais elle a passé un bon moment en compagnie de ces chorégraphes, qui lui ont d'ailleurs donné quelques conseils. Agathe promet de s'entraîner en suivant leurs recommandations, même si elle n'est pas sûre de parvenir à se souvenir de toutes, puis elle reprend sa route dans l'immense parc.
Elle passe par l'Allée des Statues, comme les gens aiment à l'appeler ; un chemin de pierres blanches bordé par des arbres et des buissons fleuris, derrière lesquels ont été exposées des statues imaginées et confectionnées par des artistes locaux. Certaines d'entre elles représentent des animaux – et notamment d'immenses oiseaux s'apprêtant à prendre leur envol –, d'autres des personnages historiques ayant vécu dans la tranquille petite ville, et d'autres enfin sont si abstraites que les passants n'y voient jamais la même représentation ; certaines sont colorées, d'autres non, les matériaux utilisés sont différents, mais tous ces styles se mélangent et s'accordent parfaitement. Agathe a beau venir ici tous les soirs, cela ne l'empêche de s'émerveiller de tout ce qu'elle voit à chaque fois, comme un enfant devant une surprise.
Au cœur du parc se trouve un étang, sur lequel se prélassent canards bruyants et cygnes gracieux sans se mélanger, et autour duquel s'entassent sous les saules pleureurs peintres et photographes cherchant à immortaliser la beauté époustouflante de ce paysage, chacun à sa façon. Agathe reste un peu à l'écart, et de loin elle observe silencieusement les différentes techniques qu'utilisent tous ces artistes si talentueux pour rendre la féérie de ce décor ; les aquarelles sont celles que la fleuriste préfère, car elle les trouve douces et poétiques, ce qui correspond bien à l'endroit selon elle. Mais les peintures à l'huile, dont les couleurs sont généralement plus vives, lui plaisent énormément également. Agathe lève de nouveau les yeux vers l'étendue d'eau, et réalise alors qu'elle n'a jamais pris ce lac en photo ; elle se contente de le contempler chaque soir quand elle passe dans le jardin, d'admirer le mouvement des nuages qui se reflètent dans l'eau comme dans un miroir, et d'écouter le cancan des canards et le drensement des cygnes. Parfois aussi elle se rend sur le ponton qui donne sur le lac, et profite simplement de la vue du parc qu'elle a depuis ce poste ; ce soir-là, un couple est entrain de s'y faire photographier.
Le Parc des Arts rappelle à Agathe d'agréables souvenirs : même si elle n'habitait en ville quand elle était petite, ses parents l'avaient déjà amenée ici à d'innombrables reprises. Son père, en général, s'arrêtait au bord du lac et peignait les canards, ses oiseaux préférés car colorés, tandis que sa mère immortalisait les mouvements de son mari avec sa caméra qu'elle emmenait partout, et elle filmait et photographiait également sa fille, qui courait dans l'herbe et s'interrogeait devant les sculptures abstraites qui étaient exposées. Agathe possède un album entier rempli de photos prises dans ce parc, sur différentes années.
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Agathe se souvient de lumières vives, qui clignotent devant ses yeux sans qu'elle parvienne pour autant à identifier leur provenance, ainsi que d'un bruit strident, comme une alarme, mais elle n'arrivait pas à se rendre compte que ce bruit ne lui était pas inconnu ; c'étaient en fait des gyrophares et des sirènes.
Et soudain, ce fut le noir complet et le silence total.
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