Danse avec moi, quand la musique chantera

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Le Gros Todd somnolait, toujours affalé sur son banc. En vérité, ce n'était pas sûr qu'il puisse se relever. C'est qu'il pesait son pesant de plomb, sans compter les trois côtes de bœufs qui avaient disparues dans son gosier. De plus, après un verre de vin dilué, et deux autres sans eau, il commençait légèrement à avoir le tournis. Son quota n'était pas loin. Pas de record pour cette fois.

Roland Lamarche, quant à lui, l'avait atteint, et il ne pouvait même plus regarder le liquide rouge sans grimacer, à son plus grand mécontentement. Mago Farrel, le Sorcien, s'excusa auprès de Belle-Marie. Il devait s'absenter pour aller sonner les cloches. Encore. Il était intraitable sur l'heure, et regardait avec circonspection l'horloge déréglée. Nul doute que cet objet là devait titiller le bâton qu'il avait dans le cul.

Quant aux Longpieds, ils disaient au revoir à tout le monde, déjà sur le départ. Petra se sentait fatiguée, et tout le monde comprenait que la santé du bébé passait avant tout. Pour ce qui est de notre couple à nous, il s'était éclipsé pour faire une balade au bord de la plage, profitant du soleil sur le déclin et des embruns. Lily-Beth marchait pieds nus dans le sable et tenait le bas de sa robe légèrement relevé – mais pas au dessus des genoux – pour éviter qu'elle ne traîne par terre.

« J'ai l'impression de voir la mer différemment, aujourd'hui » lui dit Devlan. Et voyant l'air intrigué de son âme sœur potentielle, il ajouta : « Pour moi, l'océan est mon gagne-pain, et c'est comme ça que je le vois tous les jours. Au mieux il me laisse faire, au pire il est revêche et me donne du fil à retordre. Mais avec toi, je le trouve sublime. J'avais oublié qu'on peut y faire autre chose que pêcher des poissons. J'adorais me baigner, quand j'étais enfant, mais je ne le fais plus que quand la mer me jette de mon bateau. » Lily-Beth se mit à rire doucement. « Qu'est-ce que j'ai dit de drôle ? s'étonna Devlan.

  • Quel grand pêcheur tu fais !
  • C'est ça, moque-toi. Tu n'as sans doute jamais pris le large avec des vagues qui font trois fois la taille de George Baden.
  • En fait, je n'ai même jamais pris le large du tout. Je sais, c'est ridicule pour une femme qui est née à Aigue-Marine (beurk, ce nom...). Mais je n'en ai jamais eu l'occasion.
  • Alors tu m'apprendras à lire, et en échange je t'apprendrais à naviguer, qu'est-ce que tu en dis ?
  • ça me paraît être une bonne idée, Devlan Royce.
  • Oui, je suis plutôt fier de moi.
  • Oups ! » lâcha Lily-Beth en sentant l'eau salée lui lécher les pieds. Elle avait étreint le bras de Devlan sans s'en rendre compte. Aucun des deux n'avaient pris garde à la marée montante. « Désolé, j'ai était surprise. Elle est un peu froide.
  • Le temps est passé plus vite que ce que je croyais. Et on s'est beaucoup éloigné de la fête, j'ai l'impression.

Oui, et on dirait qu'on a loupé le début du bal » dit-elle en faisant la moue.

En effet, au loin, on entendait chanter le violon de Joe Raverdi, accompagné de ses fils : Laurence, Jamie et Colin. Le soleil avait commencé sa lente descente vers l'horizon, enflammant l'océan de milliers de diamants rosés.

« Il me semble que tu avais dit que tu aurais envie de danser, quand il y aurait de la musique.

  • Et il me semble que tu avais que tu aurais envie de m'emmener danser.
  • C'est vrai, concéda Devlan. Dans ce cas, il voudrait mieux qu'on fasse demi-tour. »

Pour être loin, ils étaient loin. Ils avaient marché deux heures sur le sable sec. À pas lent, cela dit. Très lent. Bizarrement, ils étaient davantage pressé de revenir. Par envie de danser, déjà, mais pour ne pas se retrouver sous la flotte, surtout. Concernant cette deuxième raison, ils l'avaient dans l'os. À en endroit de la plage où la falaise, particulièrement gourmande, était plus avancée sur la jetée, l'eau couvrait entièrement la terre ferme.

« Oups, dit Lily-Beth pour la seconde fois.

  • Je crois que tu vas y avoir droit.
  • Je crois que tu vas me porter. » Devlan Royce soupira pour faire bonne figure, mais ça ne le dérangeait pas du tout. « Tu peux me tenir ça, s'il te plaît ? Lui demanda-t-il en ôtant ses chaussures.
  • Bien sûr. »

Débarrassé de ses grolles, il fit un ourlet à chaque patte de son pantalon, les relevant jusqu'à mi-cuisse. Cela fait, il tendit ses bras en avant pour que Lily-Beth puisse s'y allonger en passant les bras autours de son coup. Et voilà, on y était. Moment de vérité ultime, épreuve du feu, une seconde qui valait toutes les heures du monde : se relever sans se casser la gueule. Et en plus dans du sable, autant vous dire que c'est coton. D'autant que la jolie dame, comme je vous l'ai dit, avait ce qu'il fallait de viande sur les hanches. Non, elle n'était pas grosse du tout, mais elle pesait quand même plus lourd que le gardon moyen. Mais quand il faut y aller, il faut y aller.

À la plus grande satisfaction de Devlan, ça y alla fort bien, et Lily-Beth ne se priva pas d'un petit commentaire flatteur. Sur quoi, ils traversèrent le bout de mer qui bavait sur la plage. Le ciel devenait orange, quand ils arrivèrent à la fête, et les pieds de Devlan Royce étaient sec, quoique mouchetés de sable. Il balaya les grains de la main, puis remit ses chaussures. Mais avant même qu'il ait pu se relever, Lily-Beth l’attrapa par le bras pour l'entraîner sur la piste dégagée au milieu des tables.

Sur une estrade, les musiciens Raverdie jouait avec le sourire aux lèvres, s'extasiant de voir les corps bouger au son de leur musique ; Joe au violon, Laurence à l'harmonica, Jamie à la mandoline, et Colin à la caisse claire. Dans la cour, les robes des femmes virevoltaient, les pieds des hommes battaient le sol. Des enfants courraient entre les adultes, zigzaguaient entre les jambes. Même ceux qui ne dansaient pas, ne pouvait s'empêcher de bouger, battant la mesure des pieds ou de la tête. Beaucoup frappaient dans leurs mains.

Avant qu'il ne le réalise, Devlan se retrouva au milieu du tourbillon d'étoffes, un bras enroulé autours de la taille de Liliy-Beth. Elle rayonnait, et sa robe se mit aussi à faire des tours. Les dentelles qui bordaient la longue jupe dansaient aussi ; même sa tignasse échevelée dansait. Une perle de sueur coula le long de son cou, et mourut à la naissance de ses seins dévoilés par le corsage. La musique était entraînante, limpide, et son rythme incessante.

Alors qu'il s'extasiait de l'instant, Garp frappa une timbale. D'un même mouvement, toutes les femmes échappèrent à leur cavalier, pour en rejoindre un autre. Devlan Royce ressentit une pointe de jalousie à voir Lily-Beth danser avec Jonah Appleton. Le fait que ce dernier avait trouvé son âme sœur ne changeait rien. Lui récolta Anie Chesle, encore libre comme l'air, du haut de ses seize ans. Elle était frêle et petite, mais toute mignonnette. Pourtant, Devlan ne pouvait lâcher Lily-Beth du regard. Elle l'observait, elle aussi. Leurs yeux ne se séparèrent que lorsque d'autres danseurs vinrent les cacher l'un à l'autre. Faisant le deuil momentané de sa belle, Devlan reporta son attention sur Anie, et la fit virevolter. Elle riait aux éclats, avec ses belles dents blanches bien alignées et sa fraîcheur de presque-enfant.

Papa et Maman Royce dansaient aussi, mais à l'écart de la piste, enlacés sous un saule. Leur pas était lent, leur ronde aussi, mais le moment était à eux.

Franck Bourgont valsait lentement, sa fillette en équilibre sur ses grands pieds, ses petites menottes avalées par les grandes paluches de son père.

Dylan McDylan s'était trouvé une cavalière qui semblait enchantée. Finalement, tout n'était peut-être pas perdu pour lui.

Jacob Piconbi invita sa sœur, sans doute fatigué qu'elle tire la tronche, puis la laissa dans les bras du premier célibataire venu à la première occasion, un sourire mesquin aux lèvres. Au moins, elle ne tirait plus une tête d'enterrement.

Belle-Marie tournait vite avec son gendre Albert Corolle. Voilà une mamie qui avait la pêche, croyez-moi sur parole.

Jessica Primvairs avait réussi à traîner Bertholomé au milieu de la cour et à en faire son cavalier, même si le visage du garçon demeurait encore et toujours impassible. Une orange à l'écorce entamée séparait les mains des deux jeunes gens.

Devlan Royce ne parvint à retrouver Lily-Beth qu'après quatre tintements de cymbale. Et au cinquième, cependant qu'elle essayait à nouveau de s'enfuir, il la retint ferment par la taille et l'attira contre lui.

« Je ne vous laisse plus partir, Lily-Beth Jensen.

  • Alors continue de me faire tourner » lui répondit-elle.

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