Magnétique Antarctique
Cette destination était sur toutes les lèvres, dans tous les rêves.
Le dernier désert de glace de cette bonne vieille terre.
Tout le monde le savait, depuis la disparition de l'Arctique, les jours de l’Antarctique étaient comptés.
À coup de panneaux publicitaires, de brochures racoleuses et de marketing digital, tout le monde rêvait de cette terre blanche mystérieuse.
Le traité de 1959 instituant un continent de recherche et de Paix avait laissé place aux intérêts économiques des derniers forages pétroliers. Pour garder bonne figure, l'or noir finançait la recherche sur ce mystérieux continent, mais de discorde en appétit grandissant, rapidement, il avait fallu trouver d'autres sources de financements. Les états n'y trouvant plus de réels intérêts maintenant que la course folle aux forages s'était achevée ; la marchandisation du rêve fut la solution...
Plutôt que de tenter de préserver cette dernière trace d'une Terre déjà presque oubliée, ils en avaient fait un nouveau « Disneyland ». Bien sûr, beaucoup plus « sélect ». L'aspect rare et fragile de la destination, c'est toujours racoleur.
Pour s'y rendre, il fallait déposer un dossier de motivation, suivre une formation intensive pour survivre aux conditions de vie extrêmes. Seulement après, on était appelé, auditionné et enfin, on avait le droit de raquer copieusement pour y aller. Sous réserve de la validation de la visite médicale.
Bien sûr, l'avance de 30 % du montant du voyage à débourser au moment du dépôt de dossier n'était pas remboursable.
Vous comprenez, c'est pour la recherche. Si seulement, c'était vrai...
« Bienvenue, Welcome, Wilkommen, Marhaban, Benvenuto, Dobra Pozhalovat' »
« Une terre qui appartient à tous car nous appartenons tous à la Terre ». Pouvait-on lire sur les panneaux.
Ou encore « Tentez l'aventure du grand froid avant d'avoir trop chaud »
"Un monde pur et blanc »
« Une merveille de dépaysement ».
Ces slogans nous suivaient partout. Ils étaient devenus nos compagnons de voyage. On les lisait en prenant, le train, le métro, l'avion, même les stations essence.
Le pétrole, sponsor officiel de nos rêves de dépaysement et de découvertes !
On pouvait facilement observer les gens s'attarder sur ces affiches et imaginer être choisis pour visiter ce grand Sud.
On sentait à travers leur regard presque absent, tantôt des lueurs de conquérants lorsqu'ils s'imaginaient déposer leur dossier pour espérer être appelés. On pouvait décrypter leur recherche d'argumentaire pour emporter l'adhésion de ce comité d'expert.
Tantôt, on apercevait la fierté lorsqu'ils s'imaginaient avoir passé la visite médicale avec brio. Parfois, un bras se levait, triomphant de cet ultime examen et dans cet élan, ils se rappelaient leur réalité. Alors l'égarement faisait place à la confusion. Par un balayage des yeux, pour espérer ne pas être épiés dans leur délire, ils repartaient un peu penaud.
Ces campagnes publicitaires avaient quelque chose d'hypnotique, plus encore, on se sentait comme aimanté vers cette destination. Peut-être l'esprit de contradiction de ne pouvoir y aller librement jouait-il un rôle important dans cette séduction.
Moi-même, je dois l'avouer, avant leur campagne touristique « mercanto-scientifique », je ne pouvais m'empêcher de rêver à cette destination.
Mon corps trépignait de vivre cette expérience, mes yeux s'impatientaient de contempler ces vastes paysages, ma peau n'attendait que de ressentir les frissons du froid parcourir mon corps, caresser tour à tour mes bras, mes épaules et mon dos. Mes pieds piétinaient d'envie de fouler cette glace. Je me prenais parfois à mimer le moment où l'air sous forme de nuage ressortirait de ma bouche pour former quelques formes étranges qu'il me plairait d’interpréter à la manière des feuilles de thé.
Être l'auteure de ces photos qui enivraient notre quotidien me procurait à la fois fierté et désarroi. Fière de voir les badauds s'arrêter devant, mais désœuvrée de voir que mon travail participait à la perdition de ce continent qui m'avait tellement fascinée.
Avant d'y être allée, cette terre m'avait déjà façonnée. Quand enfant, j'ai compris la vulnérabilité des êtres et des paysages, la précarité de l'existence, j'ai ressenti le besoin de préserver l'instant, de le fixer pour toujours, de contrer la fugacité. Je suis alors devenue photographe. Pour toujours et un peu plus, l'ombre et la lumière s'accordent pour fixer un instant, une émotion, une vision. Ces images du grand froid m'avaient toujours semblé être aux frontières du réel. Vous pensez bien que pour une photographe, saisir ce qui semble ne pouvoir l'être vous titille un peu.
J'étais aussi, avant, cette rêveuse baveuse en espoir de fouler un jour ce pôle Sud.
Ça, c'était avant. Avant l'appel qui a changé ma vie à jamais...
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Un rêve de glace | Chapitre | 8 messages | 2 mois |
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