SANS SUITE 34/ Jour 6 : Mise en bouche

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Tout est prêt. Leandra dépose les assiettes sur la table, mais je lui ordonne de s'asseoir et de laisser cette tâche aux deux Sullivan dont les poils dans les mains vont bientôt toucher le sol. Mon amie n'insiste pas, consciente à mon ton dur et à mes traits crispés que mon courroux pourrait aussi se retourner contre elle.

John a servi l'apéritif quand le frère et la sœur réapparaissent. Sans un mot, ils s'emparent des couverts dans les tiroirs, apportent salière et poivrière sur la table, puis le pain et ils finissent par s'asseoir.

  • Bien. Nous sommes tous fatigués, alors je propose une soirée détente, ici même. J'ai pensé à un petit jeu qui ne nous mènera pas tard car il va débuter maintenant et se poursuivre pendant le dîner.
  • Ce sera sans moi, John.
  • Du calme, Carly. Que des questions. Nous allons tous poser des questions sur des morceaux de papier que nous mettrons ensuite dans le saladier vert au centre de la table. Nous tirerons une question au sort et chacun devra y répondre à son tour. Ainsi de suite, jusqu'à épuisement des stocks. Étant donné que vous êtes en froid tous les deux, et que pour l'instant, votre motivation laisse à désirer, je préconise que vous vous asseyez côte à côte pour laisser les autres répondre en premier.
  • Non, répond Lukas sur un ton sec.
  • Hors de question, je confirme au même moment.
  • Comme vous voulez.

Sybille et John se trouvent devant l'entrée de la cuisine, et Angie trône déjà en bout de table, face à eux.

  • Bonsoir.

Mickaël ! Que vient-il faire là ? Lukas lève les yeux au ciel, alors qu'Angie l'invite à s'installer entre elle et moi. John me surprend encore :

  • On s’apprêtait à jouer. Tu participes, Mickaël ? C'est parti. Angie, tu commenceras. Carly, briffe ton pote rapidement.

Quelques minutes et Angie pioche le premier papier qu'elle lit à haute voix :

  • Le lieu le plus insolite ou le plus improbable où tu as eu des rapports.

Elle réfléchit rapidement puis annonce fièrement :

  • Table de billard !

Lukas s’insurge :

  • Quoi ? Tu es folle ? Tous les mecs de la sécurité ont dû te voir !
  • C'est justement ce qui était excitant.

Il n'ajoute rien et se recale sur sa chaise en bois, stupéfait.

  • Leandra, c'est ton tour.
  • Jacuzzi.

Lukas appuie ses coudes sur ses genoux, et se tient la tête des deux mains. Enfin, il se redresse, et ses yeux se posent brièvement sur moi quand il prononce « ascenseur ».

  • Entre le dernier étage de l’hôtel et nos appartements ? Pas trop de risques, ça va, raille John.

Sybille annonce « dans une forêt » et attire le regard choqué de notre amie.

John, lui, nous révèle « plan de travail d’une cuisine », au risque de s'attirer le courroux de ses patrons.

C'est mon tour :

  • J'hésite. WC de boite de nuit ou sur un balcon avec les fenêtres d'une tour à moins de vingt mètres.

Tous me reluquent, surpris, mais me font grâce de leurs commentaires.

Mickaël, l'air satisfait, précise :

  • Douches de piscine olympique.

Seconde question, tirée au sort par Leandra.

  • Avez-vous déjà pratiqué l’échangisme ? Non !
  • Il faut être en couple pour ça, affirme Lukas.

Sybille, les désigne, lui et John :

  • C’est en quelque sorte votre jeu préféré ; vous échangez bien les filles une fois que vous avez tiré votre coup ? Bref, pour moi, la réponse est non.

John :

  • En cas de jeu, oui ; en cas de couple, non.

Moi :

  • Oui.

Sybille s'entruche, Angie aussi, et les autres me dévisagent, les yeux arrondis de stupeur. Je les ai scotchés.

  • Là, tu dois développer, Carly. Je n’en reviens pas ! Tu es une vraie cachottière ! Je nous croyais amies !
  • Tu es vraiment allée dans un club échangiste ? s’écrie John.
  • Non ! J’ai essayé une fois, mais je me suis dégonflée devant la porte.
  • Alors comment tu t’y es prise ?
  • Circonstances et ambiance. Je n’en dirai pas plus !

Lukas s’est redressé et me scrute avec intensité. Angie évalue ma confidence, pensive, et les yeux verts de John semblent me transpercer.

  • Carly, tu es... surprenante.

Les regards se tournent finalement vers mon voisin : non. Angie déclare qu’elle n’a jamais été en couple et donc, par conséquent, n’a jamais eu l’opportunité d’échanger.

C'est à Lukas de tirer la prochaine question : l'as-tu déjà fait avec deux femmes ?

John nous apporte quelques précisions puisqu’il est à l’origine de ce jeu. Les hommes doivent répondre honnêtement, cependant, les femmes doivent avouer leur éventuelle expérience homosexuelle.

Lukas : oui.

Cela ne m’étonne pas ; Sybille lui demande d’apporter quelques précisions, mais il refuse catégoriquement.

La réponse sera finalement négative pour chacun d’entre nous. Pour tous, sauf pour Angie. Lukas regarde encore le plafond avant d'interrompre le cours du jeu :

  • Angie ! Mais qui es-tu ?
  • À la différence de toi, mon cher frère, je ne joue pas. Je pratique. À toi de répondre, Leandra.

Elle laisse échapper un non retentissant.

Nouvelle pioche ; Sybille plonge sa main dans le saladier.

  • As-tu déjà pratiqué la sodomie ? Alors, heu, comment dire, bah oui. John ?

Finalement, nous avons tous essayé au moins une fois. Tous sauf la douce Leandra.

  • Tu ne sais pas ce que tu rates, commente Sybille.

John secoue la tête alors qu'il pioche un petit papier.

  • Au lit, actif ou passif ? Je suis plutôt passif.

Mais devant la moue de Sybille :

  • Tu n'es pas d'accord ? Suivante.

Je choisi la même option que lui.

  • Lukas n'a pas l'air convaincu non plus.

Ils attendent que lui ou moi nous justifions, mais je n'en ai aucunement l'intention. Je me tourne vers Mickaël, l'implorant silencieusement de dire quelque chose. Son regard ne me quitte pas lorsqu'il prend la parole :

  • Tout dépend de ma partenaire, de l'ambiance et du lieu, mais je suis en général quelqu'un de calme et posé. Angie ?
  • Passive.

Nous sommes tous interloqués. Comment peut-elle faire l'amour sur une table de billard, devant des caméras de surveillance ou encore se montrer entreprenante dans une limousine sans intimité, et j’en passe, puis se déclarer passive ?

Son ton est mielleux alors qu’elle s’adresse à Mickaël pour lui demander son avis. Avec un sourire gêné, il la contredit. Je perçois une sorte de provocation dans ses yeux qui se posent fièrement sur moi. Me croit-elle jalouse ? Je regarde Leandra et lui fait signe de répondre.

  • Je rejoins Mickael. Ça dépend des facteurs environnants. Et toi, Lukas ?
  • Actif, mais je confirme, le comportement peut être diffèrent selon la situation.

En ce qui concerne mon amie Sybille, je n'ai pas besoin d'entendre, je sais déjà qu'elle est très active. Elle le crie suffisamment haut et fort dès que l'occasion se présente.

Mince, c'est déjà à moi de lire la question suivante :

  • As-tu fait l'amour avec deux hommes ? Je suppose que les gars s'adaptent comme nous l'avons fait tout à l'heure avec les deux femmes.

John me toise de son regard perçant et pervers et Lukas se redresse sur sa chaise pour me dévisager.

  • Pour moi, la réponse est non.
  • Très facile d'y remédier, commente John. N'est-ce pas, Lukas ?

Il ne répond pas. Il est tendu, concentré. Il cherche quoi dire. Son pote reprend :

  • Sinon, il y a Mickaël. Avec moi, ça fait deux.

Sybille lui tape sur l'épaule pour lui rappeler sa présence, Lukas fusille son ami et Mickaël du regard tandis qu’Angie ignore la remarque en se resservant un verre de vin. Leandra retient un cri en se cachant la bouche des deux mains.

  • C'est de moi que tu parles, là, et tu peux me croire, je serai morte avant de te choisir comme partenaire. D'ailleurs, je me demande bien ce que Sybille peut te trouver. Maintenant, je pense que tu es content de toi ; tu as réussi à mettre tout le monde mal à l'aise !
  • Du calme. C'était une boutade.

Il adresse un clin d'œil à Angie.

Mickaël n'a jamais eu d'expérience homosexuelle, pas plus que les deux autres hommes. Angie et Sybille ont eu la chance, disent-elles d'avoir connu deux partenaires masculins en même temps.

  • Imaginez une scène de sado masochisme ; seriez-vous soumis ou dominant ? Waouh ! Aucune idée.
  • Tu n'as jamais eu envie de donner la fessée, Mickey ?
  • Je sors mon joker, car je suis incapable de répondre. Angie ?

Regard dédaigneux de la part de Lukas.

  • Dominante, sans hésitation.

Leandra nous confie se voir dominante, elle aussi, mais je n'en suis pas convaincue. Elle, la douce Leandra ? Ou alors elle cache bien son jeu.

Lukas serait plus dominant, mais il dit être ouvert à toute proposition et capable de se soumettre. Je le regrette aussitôt, mais je ne peux m'empêcher de rire.

  • Tu as un problème avec ça, Marie-Madeleine ?
  • C'est juste impossible. Cro-Magnon n'a pas la réputation de se laisser baiser par une femme.

J'éclate carrément de rire.

  • Imaginez un gros bonhomme avec un bâton, vêtu d'une unique peau d'animal pour cacher son anatomie se laisser attacher par une femme, fouetter, pincer et j'en passe.
  • Non, ne passe pas, Carly, tu sembles t’y connaitre ; ça devient intéressant, me supplie presque John, son regard perçant braqué sur moi.
  • C’est ta tenue pyjama, Lukas ? nargue Mickaël.

Je suis ravie, j'ai réussi à faire rire toute la tablée qui reluque Lukas. Mis à part Sybille qui se tord de rire. Il ne partage pas notre hilarité, cela va sans dire.

  • C'est trop bête, Marie-Madeleine, suite à notre accord, tu ne seras pas celle qui découvrira ce dont je suis capable. Dommage, hein ?

Nous en restons tous là ; pas la peine de susciter davantage la colère de Cro-Magnon.

Sybille préférerait dominer et John ne verrait aucun inconvénient à se soumettre. Je les trouve bien assortis finalement ; ils se comprennent et semblent se compléter.

  • Carly, nous sommes tout ouïes.
  • À mon avis, pour pratiquer ce type d'actes, les partenaires doivent avoir une confiance absolue l'un en l'autre.
  • Pas de long discours, s'il te plait. Vas droit au but.
  • Je crois qu'il s'agit d'envie de procurer un maximum de plaisir à l'autre, et je pense que les rôles doivent être inversés régulièrement. Donc je répondrais dominante et soumise. Avec une préférence pour la dominance, ceci-dit.

Lukas remplit son verre. Il m’a l’air pensif et soucieux.

  • À mon tour ! s'agite Angie. Quel est ton fantasme ? L’échangisme me parait excitant, mais cela va rester pure fantasme étant donné que je ne suis pas prête à former un couple, avec qui que ce soit. Leandra ?
  • Je ne sais pas. Dans une voiture, peut-être ?
  • C’est classique, ça !

Oups, c’est sorti tout seul. J’aurais mieux fait de tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler. Quoique je préfèrerais la tourner dans la bouche de Lukas. Heu, non, surtout pas lui !!! Je ricane bêtement quand je m’aperçois qu’ils m’observent tous encore. Diversion, et vite. J’essaie d’adopter un air indifférent.

  • Lukas, c’est à toi.

Il se plonge à nouveau dans ses pensées, indécis. Il prend une profonde inspiration et relève la tête vers moi, défiant. Aussitôt, ses épaules s’affaissent, son regard fuie et il laisse échapper un profond soupir. Les yeux dans le vague, il se frotte le front du bout des doigts. Sybille s’impatiente.

Il se mordille les lèvres, et ses yeux passent sur chacun d’entre nous, sans nous voir. Pourtant, je suis certaine qu’ils sont restés une fraction de seconde de plus posés sur moi.

  • Dis à quoi tu penses sans réfléchir, Lukas. Tu dois répondre du tac au tac.
  • J’hésite.
  • Explique-toi.
  • Non, je me lance : me soumettre.

Mon cœur cesse de battre quand il lâche sa bombe, en ma direction. J’ai le sentiment que nous n’en avons pas terminé tous les deux. Je dois rompre le charme. Pour mon bien. Le seul moyen est de provoquer sa colère, et la meilleure façon pour le moucher est encore la provocation, j’en suis convaincue. J’humidifie mes lèvres du bout de la langue, prends un œuf de caille dans le bol et le coince délicatement entre mes dents. Ma bouche se referme lentement sur le petit œuf, que je gobe au tout dernier moment. Pour finir, je me nettoie les lèvres du bout de la langue.

  • Ça se passe bien, vous deux ?

Aïe ! Prise en flag. Je jette un coup d’œil à l’imposteur, John, bien entendu, puis me reconcentre sur Lukas qui se racle la gorge.

  • On n’a pas fini de jouer. Sybille, quel est ton fantasme ?
  • C’est ça, Lukas, change de sujet. Bref, un camp de nudistes me brancherait bien.
  • Je t’accompagne ! s’exclame John. Mais l’échangisme me branche pas mal.

Angie trouve l’idée à son gout, elle aussi. Toujours inspirée par ma provocation envers Lukas, je raille :

  • J’avoue que c’est excitant, mais sur une plage.

J’ai encore réussi à focaliser l’attention sur moi. Je lis surprise, curiosité et amusement sur le visage de Lukas. Les visages des autres se penchent au-dessus de la table alors qu’ils me somment de m’expliquer. Je dois avoir un don ; celui de me mettre dans le pétrin toute seule, comme une grande…

  • Je dénotais parmi ces gens tous nus et allongés sur leurs serviettes. Je portais un bas de maillot string que je n’ai pas pu quitter. Ils me regardaient tous, et je vous assure que ce n’était pas pour se rincer l’œil. Je n’avais rien à faire là, et ils me le faisaient comprendre.
  • Tu es partie ?
  • Non ! Je me suis réfugiée dans l’eau et mon mari m’y a rejointe.
  • Et ?
  • Là, je suppose qu’ils nous surveillaient…
  • Sérieux, Lukas, je commence à comprendre pourquoi elle t’a rendu accro.
  • Je ne suis pas accro, John !
  • Vraiment ? En tout cas, ça doit être l’éclate au lit. Je conserve l’échangisme comme fantasme. Et toi, Carly, quel fantasme vas-tu nous révéler ?
  • Deux hommes, suivant les conseils d’une amie.

Soupçon de provocation ; je suis d’humeur joueuse ce soir. Le tyran va regretter sa méchanceté.

Justement, il se renfrogne et lance un regard d’avertissement à Mickaël qui l’ignore et nous donne sa réponse : des toilettes de discothèque ! Si ce n’est pas de l’audace, je ne sais pas ce que c’est !

Regard franc et direct sur moi, puis dur et provoquant envers Lukas dont les traits se crispent instantanément. J’apprécie Mickaël, mais je ne lui donnerai pas ce qu’il espère et je ne sais pas comment le lui faire comprendre sans le blesser. La seule solution est que j’arrête de le fréquenter. Tout comme je devrais cesser de m’amuser avec Lukas. Mais ça, c’est un autre problème, et il est de taille ! Un énorme problème, insoluble.

  • On a fait le tour, il serait temps de manger.
  • Tu veux un autre œuf, Carly ? propose Sybille d’un air insouciant.

Le rouge me monte aux joues et je tourne la tête vers Lukas. Nonchalamment adossé au dossier de sa chaise, il me regarde, un sourire amusé et intéressé sur les lèvres.

Chacun se sert parmi les bols de légumes, œufs et viandes et nous entamons enfin notre diner.

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