SANS SUITE 41/ Jour 8 : Le tournoi
Mes amies, chagrinées à l'idée de me laisser seule, insistent pour que je les accompagne. Elles balaient d'un geste tous mes prétextes et menacent de me trainer de force sur la plage. À cette évocation, je ne peux m'empêcher de rire avec elles.
— On emmène le pic-nic, Carly, insiste Leandra, le bras sur mes épaules. Ça nous permettra de manger rapidement et de conserver notre après-midi libre pour le shopping.
Je craque ; j'accepte leurs revendications, et c'est ainsi que je les suis à travers le site, en portant une glacière remplie de bières fraiches. Je marche avec une lenteur exagérée, peu motivée par la perspective d'applaudir Cro-Magnon.
Nos pieds foulent le sable brûlant, et je bougonne quand je réduis la distance qui me sépare de Sybille et Leandra. Enfin, elles repèrent notre duo de sportifs, déjà bien entouré et acclamé par plusieurs jeunes et jolies filles. Super ! Mais, je croyais qu'il n'y aurait que des équipes de deux joueurs. Pourtant, ils sont six sur le terrain. Qui est donc le troisième ? Mickaël ? Ridicule. Si, c'est lui. Ils sont devenus copains ? C'est nouveau, ça. Peu importe. Je vais installer ma serviette plus près de l'eau puis j'irai me baigner. Je ne resterai pas à cramer au soleil alors que je peux aller me rafraichir.
Je somnole, bercée par le bruit du remous qui s'échoue sur le rivage, et apprécie la chaleur des rayons du soleil qui réchauffent ma peau mouillée. Hélas, je suis tirée de ma torpeur par mes compagnons qui semblent se moquer de la douce quiétude qui m'envahissait. Ils sont bruyants, parlent fort, crient, chahutent. Allongée sur le ventre, je ne vois que leurs pieds lorsque je me décide à ouvrir les yeux. Que je referme aussitôt. Ils me croient endormie et c'est très bien comme ça. Les hommes s'amusent à emmener de force les femmes dans l'eau et je n'y tiens pas du tout.
J'entends Sybille râler ; ce doit être son tour. J'imagine très bien la scène : mon amie allongée sur le sol, et un homme lui tenant les chevilles, l'autre les poignets pour la tirer jusqu'à la mer. Elle doit se débattre comme une folle, ça doit être à mourir de rire.
De nouveau, je suis tentée de me laisser bercer par les bruits qui m'entourent, comme les cris des mouettes, les vaguelettes et les voix des enfants qui jouent non loin. Est-ce l'intuition féminine qui me pousse à m'asseoir subitement sur ma serviette ? Toujours est-il que la question de Lukas à Mickaël, ainsi que leurs yeux rivés sur moi, me hérissent les poils.
— Toi ou moi ?
J'esquisse à peine le mouvement de me redresser que Mickaël se jette sur moi, m'attrape par la taille et me fait quitter le sol. Il me jette sur ses épaules et me maintient en serrant ses bras puissants derrière mes genoux. Il ne court pas mais avance à grands pas. J'aperçois Lukas qui nous observe. Il n'a pas bougé et semble hésiter à nous suivre.
J'implore mon agresseur de me ramener sur la plage, mais il n'entend pas, ou alors il m'ignore.
Je découvre un Mickaël très fier de lui quand je refais surface.
— Vous êtes devenus copains, lui et toi ?
— Pas vraiment, non. Il leur manquait un joueur ; ils m’ont proposé, ça s’arrête là. La fin du salon approche ; tu as pris une décision en ce qui me concerne ?
Je décèle de l'espoir dans son regard ; trop tard, puisque je réponds du tac au tac :
— J’ai peur de devoir refuser, Mickaël.
— Pourquoi ? demande-t-il sans réprimer un soupir.
— Tu le sais. Je t’aime beaucoup, mais…
— Mais tu l’aimes plus lui. Cet arrangement n'est que professionnel ; de plus, j’ai vraiment envie de découvrir la Guadeloupe. En ce qui concerne tes sentiments pour moi, je n’ai pas intention de les forcer. Le temps se chargera de te convaincre.
— Je ne veux pas que tu nourrisses de faux espoirs, Mickaël. Je ne veux pas profiter de tes sentiments, dans un but professionnel, qui plus est. J’ai tes coordonnées ; si je change d’avis, je te le ferai savoir dans les plus brefs délais. J’insiste quand même sur un détail : je n’aime pas Lukas !
— Bien, j’ai encore une chance, alors ?
Sourire éclatant et clin d’œil avant de reprendre :
— Je viendrai en Guadeloupe, que tu m’y accueilles, ou non. J’offrirai ce voyage à ma fille pour les vacances et nous visiterons. Avec ou sans toi. Mais ce serait mieux avec toi.
Il me laisse, pensive, pour s’adonner à son sport favori, la natation. Je le regarde s’éloigner, et me demande si j’ai raison de le tenir à l’écart. La bonne éducation que j’ai reçue m’interdit de changer d’homme comme on change de vêtement, mais je ne sais plus ce que je veux. Je ne sais pas ce qui serait le mieux pour moi et ma famille. Pas Lukas, c’est certain. Lukas, qui est resté à nous espionner au bord de l’eau.
Si j’accepte la proposition de Mickaël, dans quelques mois, que se passera-t-il ? Jusqu’où irons-nous ? Je sais ce qu’il attend de moi et j’ai peur de m’engager dans une relation avec lui, peur des conséquences qui s’ensuivront, en cas d’échec. Je crains de le faire souffrir, alors qu’il ne le mérite pas. La vie l’a déjà assez déçu, je ne lui souhaite que du bonheur. Seulement, je ne suis pas sûre de pouvoir le lui offrir. Sa patience et sa gentillesse me suffiront-t-elles ? Plus simplement, dois-je le revoir ? Certes, il ne me laisse pas insensible mais il est à la recherche d’une relation durable, faite d’amour et de sincérité. En suis-je encore capable ?
— Qu’est-ce qui te fait hésiter, Marie-Madeleine ? Moi ? Je n’ai rien à t’offrir. Lui, par contre, ne demande qu’à te rendre heureuse.
— Ça ne te regarde pas. J’apprécierais qu’à l’avenir, tu t'abstiennes de nous épier.
J’évite de poser mes yeux sur lui quand je me retourne pour regagner la plage ; je dois l’ignorer afin de mettre définitivement un terme au charme qu’il exerce sur moi. Je suis chagrinée qu’il s’efface pour laisser une chance de me séduire à Mickaël, et pourtant, il adopte l’attitude la plus raisonnable qu’il ait eue depuis que nous nous connaissons. En même temps, est-ce vraiment judicieux ? Quoiqu’il en soit, je ne prendrai aucune décision dans l’immédiat en ce qui concerne Mickaël. Je dois remettre mes idées en place avant.
Lukas dans mon sillage, je remonte sur le sable blanc.
Les autres sont assis sur leurs serviettes, à l’abri sous un parasol ; ils ont entamé la réserve de sandwiches. Enfin, John et Sybille partagent le même rectangle d'éponge, puisque les hommes sont partis de la villa les mains dans les poches. Je rapproche mon drap de bain et l’installe à la dernière place où je disposerai encore d’un petit peu d’ombre. Lukas s’accroupit devant moi et m’adresse une mimique comique pour me supplier de lui laisser un petit coin de ma serviette. Mes amies éclatent de rire, bientôt imitées par John et Angie quand il se met à japper en ma direction. Mon rire se mêle aux leurs et je finis par me décaler pour lui offrir une protection au sable. Mickaël réapparait au moment où Lukas se dirige vers moi à quatre pattes. Angie lui offre un sandwich dans lequel il croque à pleines dents, installé à côté d’elle, qui minaude à son oreille.
John nous apprend que les récompenses pour le tournoi seront distribuées dans une demi-heure et qu’après ça, nous pourrons nous préparer pour aller flâner au centre commercial.
Les hommes partis, je m’étends à nouveau avec l’espoir de m’assoupir quelques minutes. Je plonge mes mains et mes orteils sous le sable, au frais, en repensant à Mickaël qui m’attire de plus en plus et qui j’en suis sûre, serait un merveilleux compagnon. Si je le laissais un jour entrer dans ma vie. Là est tout le problème avec la raison de ma réticence. Je sais que je ne reverrai jamais plus Lukas après ce voyage. Nous n’aurons plus aucun contact, et cela me convient parfaitement ; je conserverai ainsi ma liberté et mon autonomie. Ce qui serait différent si j’acceptais d’entamer une relation avec Mickaël.
J’ai dû m’endormir car c’est Lukas qui me réveille en sursaut lorsque je sens ses mains dans mon dos.
—Ne te redresse pas. Je te passe de la crème solaire ; ton dos est tout rouge.
— Ce n’est pas à toi de t’occuper de ça.
— Mickey est parti retrouver ses collègues et les autres sont dans l’eau. Il n’y a que moi.
Il s’empare de la serviette de plage de sa sœur et s’allonge auprès de moi. Il m’observe en silence, alors, incapable de soutenir son regard, je ferme les yeux. Je croyais qu’il s’effaçait, me serais-je trompée ?
Ses doigts qui viennent se lier aux miens dans le sable, m’obligent à rouvrir les yeux, surprise.
— À quoi joues-tu, Lukas ? Tu m’envoies presque dans les bras de Mickaël, puis tu reviens vers moi. Je ne comprends pas.
— J’ai juste pitié de ta peau. Et puis... j’ai envie de passer un peu de temps avec toi, c’est tout. Je sais que tu es blasée par mon comportement, par nos disputes, et crois-moi, moi aussi, je voudrais que ça cesse. J’aimerai qu’on passe une bonne journée, t’entendre rire, même si c’est de mes pitreries, t’entendre chanter sur un de tes titres préférés, te regarder t’extasier dans les boutiques. On pourrait dîner dans un restaurant et aller voir un film au cinéma. Ce serait vraiment une bonne journée.
— Tu es sérieux ? Ça me plairait aussi, mais serons-nous capables d’agir comme ces gens normaux que tu décris ? Rire ensemble de tout et n’importe quoi, danser l’un contre l’autre, s’arrêter devant les vitrines et faire les boutiques. Je voudrais savoir quelles sont tes musiques préférées, quels livres t’interpelleraient dans une librairie, ce que tu choisirais dans un restaurant, quelle destination tu privilégierais pour un voyage. Je t’apprécie beaucoup plus quand tu as cette insouciance, quand tu râle parce que je t’ai piqué une frite, quand tu te délectes d’un cornet de glace. Ça me ferait plaisir de revoir cet homme-là.
— Je ne le connais pas bien, mais puisque tu es moins insupportable quand il est là, je vais voir ce que je peux faire.
Il se rapproche de moi, passe son bras sur ma taille, et pince ma peau avec douceur jusqu'à ce que je pivote assez pour lui faire face. Nos souffles se mêlent, nos lèvres se retrouvent. Que c’est bon ! Nos langues s’enroulent, nos bras se serrent, nos mains caressent l’autre.
— On s’en va. Il y a trop de monde ici.
Il noue ma serviette autour de sa taille dans le but de cacher son désir pendant que je cours prévenir nos amis de notre départ.
Nous n’avons pas atteint la chambre. Le canapé du salon semblait n’attendre que nous et c’est là que nous avons assouvit notre besoin de se fondre dans l’autre. Plus qu’un besoin, c’était une nécessité, trop pressée, trop urgente, trop puissante.
Nos projets pour le reste de la journée, en parfaite cohésion, nous ont apporté une nouvelle lueur d’espoir. L’espoir de s’être enfin compris, et de finalement attendre la même chose ; profiter d’un échange simple, partager d’agréables moments et vivre. Accepter de vivre l’instant présent, tout simplement.
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