SANS SUITE 42/ Jour 8 : Invictus et Insolence
Nous sommes prêts à partir quand les autres reviennent de la plage. John hurle en brandissant la coupe qui leur a été offerte en guise de récompense pour leur première place.
Ils promettent de se préparer rapidement en utilisant les douches communes, décidés à apaiser l’impatience grandissante de Lukas. C’est vrai, pour une fois que c’est nous qui les attendons, il nous est impossible de faire preuve de calme.
Sybille et John tiennent leur promesse et réapparaissent une quinzaine de minutes plus tard. Leandra par contre est toujours enfermée dans la salle de bain et Angie, contrariée, s’agite derrière la porte en vociférant de plus en plus fort. Son frère lui fait remarquer que si elle avait suivi l’exemple des autres, elle serait sans aucun doute déjà revenue, elle aussi. Mais en vraie pimbêche qu’elle est, elle rétorque en prenant ses airs de grande dame que jamais elle ne posera un orteil dans un tel endroit, sale et infesté de bactéries. De mon point de vue, les sanitaires publics étaient propres toutes les fois où je m’y suis rendue, mais personne ne se fatigue à lui répondre ; ce serait peine perdue ; elle est beaucoup trop butée pour reconnaitre qu’elle se trompe.
Lukas attrape les clés de l’Audi et me les envoie, en nous invitant d’un signe de tête à rejoindre la voiture. Il ajoute pour sa sœur que Léandra et elle n’auront qu’à nous rejoindre au centre commercial avec l’autre véhicule.
Nos amis s’installent à l’arrière, Lukas sur le siège passager, et moi à la place du conducteur. J’avoue ma fierté d’être au volant d’un coupé sport. C’est un réel plaisir à conduire, nerveux, maniable, rapide, et beau. C’est la classe.
Lukas insère un câble au niveau de l’autoradio et aussitôt, un de mes titres préférés emplit l’habitacle.
— J’ai téléchargé l’application où il y a ta Play List sur mon iPhone, comme ça, tu pourras écouter ta musique pendant tout le trajet, si ça te dit.
Je souris, sans quitter la route des yeux, et sans cesser de fredonner la chanson. Je sens que la fin de journée va être merveilleuse. C’est notre bonne humeur à tous les quatre, mêlée au grand ciel bleu qui provoque une telle ambiance, joyeuse et sereine. Même les bouchons engendrés par les véhicules des vacanciers ne parviennent pas à ternir cette atmosphère festive. La main que Lukas pose sur la mienne, sur le levier de vitesse anéantit mes dernières petites craintes quant à ses sautes d’humeur. Dans le rétroviseur, j’aperçois le signe discret qu’adresse John à mon amie pour attirer son attention sur nos doigts emmêlés. Chut, ne provoquons pas l’orage.
John se jette sur les cartes des restaurants, exposées à l’entrée de chaque établissement. Il est curieux d’apprendre ce que mangent les français quand ils font leurs courses ou lorsqu'ils flânent parmi les boutiques. Évidemment, Sybille lui emboîte le pas, docile. Elle est différente depuis qu’ils se fréquentent, comme apaisée. Elle n’a rien perdu de son éternel optimisme, ni de ses remarques cinglantes mais avisées, pas plus que son énergie débordante. Elle qui a toujours un mot à dire sur n’importe quel sujet, parvient maintenant à garder le silence, totalement désintéressée. Elle se contente presque d’écouter calmement les autres. Mise à part quand il est question de Lukas et moi. Tout comme John, elle nous observe alors, sourit et lance des regards appuyés qui signifie « je te l’avais bien dit ».
En parlant de Lukas, il m’entraîne vers les boutiques et me laisse choisir celles qui m’intéressent. Un magasin de sport serait l’idéal car je veux acheter des baskets de marque pour mes enfants. Ils ne portent que ça et elles s’usent beaucoup moins vite que des chaussures bon marché. De plus, je les paierai moins cher ici qu’en Guadeloupe. Hélas, mon compagnon me fait judicieusement remarquer que je devrais attendre le début de soirée pour effectuer ce type d’achats, afin d’éviter de se retrouver encombrés de paquets durant nos flâneries.
Il entre dans une parfumerie où toutes les femmes se retournent sur lui, et aussitôt, une conseillère se libère pour proposer son aide. Lukas la remercie et la congédie d'un sourire avant de se diriger vers les eaux de toilette pour homme.
— J’ai envie de changer ; tu as une idée, Carly ?
Je n’en crois pas mes oreilles ! Il sollicite mon avis ! Lui, Monsieur Perfection !
— Il y a bien longtemps que je ne me suis pas préoccupée des parfums masculins, tu sais. Lequel portes-tu habituellement ?
— Lukas Sullivan.
Je le regarde, incrédule. Bien choisir mes mots, éviter tout quiproquo. Exercice particulièrement difficile sans savoir s'il est aussi sérieux que l'air qu'il affiche.
— Puise dans tes souvenirs, propose-t-il avec un sourire rassurant.
— Lukas, il existe vraiment un parfum à ton nom ?
— Oui, admet-il, hésitant. Pourquoi ? Ça te choque ?
— Non, j'ignorais juste que c'est possible. Tu sais, il existe des essences extraordinaires dans les flacons en libre service. Tu vas pouvoir le constater.
— J'en connais un, celui de John. Un Million intense de Paco Rabanne. D'ailleurs, j’adore le prestige de cette appellation.
Il sourit, taquin, conscient de l'inatraction qu'exerce son frère sur moi.
Je pulvérise le produit de plusieurs flacons testeurs sur des bandelettes et procède par élimination pour opérer un juste choix ; j’oublie immédiatement les senteurs trop fraîches. Un homme tel que lui doit porter un parfum chaud, envoûtant et raffiné.
— Pourquoi ne pas choisir celui-ci ? Un Million te convient parfaitement. Il est élégant, sensuel, viril.
— Je ne suis pas John ! Ne cherche pas ce qui me conviendrait mais ce que tu aimes.
— J’hésite entre ceux-là. Prends les trois.
À mon tour, je le regarde du coin de l’œil et lui offre un sourire amusé. Je lui tends les languettes qu’il prend soin de humer avant de réclamer mon verdict.
— J'aime beaucoup Azzaro ; je le sens élégant, ravageur et audacieux. Il te ressemble. Ceci dit, La Nuit de L’Homme d’Yves Saint Laurent me parait plus intrigant, plus sombre. Comme toi, encore. Cependant, je vais manquer d’originalité et opter pour Paco Rabanne, mais avec Invictus.
— Tu sais ce que ça signifie en latin ?
— Invaincu, Monsieur. Comme toi, cette eau de toilette est puissante, sensuelle, attractive et je pense même addictive.
— Je suis flatté, Madame, par les mots que vous avez choisis pour exprimer toutes vos pensées me concernant. Représenterais-je votre addiction, Madame ?
Changer de trajectoire, immédiatement. Pente abrupte. Terrain dangereux.
— Vous êtes très séduisant et vous dégagez un tel charisme que vous m’écraseriez, Monsieur. Pour cette raison, le parfum que j’ai sélectionné vous collera à la peau.
Il me regarde de travers, mais n’ajoute rien et s’empare d’une boîte sur l’étagère. Je pense m’en être bien sortie, sans avoir provoqué de saute d’humeur, c’est tout ce qui m’importe.
Il saisit de nouvelles languettes et me copie en testant des eaux de toilette pour femmes. Il reconnaît la mienne, Lolita Lempika, qu’il trouve douce et sensuelle. Il affirme même que cela me correspond à merveille.
Il ne retient que deux parfums. La Petite Robe Noire de Guerlain, qu’il déclare chic et glamour, mais pas assez sauvage pour moi. Il prend ensuite ma main, la pose dans sa propre paume et saisit un flacon testeur sur lequel j’ai juste le temps de lire « Insolence » avant qu’il n'en pulvérise quelques gouttes sur mon poignet. Il le porte sous son nez et semble apprécier les senteurs, les yeux fermés. Enfin, il me permet de respirer les effluves à mon tour, puis me demande :
— Qu’en penses-tu ?
— J’aime beaucoup. On savait déjà que tu as bon goût.
Petit sourire charmeur et clin d’œil complice avant de poursuivre :
— Pourquoi apprécies-tu plus celui-ci que Lolita Lempika ? En quoi me conviendra-t-il mieux ?
— Parce que, Madame, le terme Insolence, à lui seul, vous désigne à la perfection. Ensuite, je l’ai à peine inhalé, et pourtant, ce parfum promet des sensations exceptionnelles, des émotions d’une puissance qui m’effraie. Oublie ce que je viens de dire.
— Non, c’était magnifique ! Je ne t’ai jamais entendu parler comme ça, employer de tels mots ou t’exprimer avec ton cœur.
— Je répète : oublie ce que je viens de dire. Conserve le même, il est parfait.
— Non. J’ai changé d’avis et je vais m’offrir ce petit bijou sensuel et émotif.
Il me devance lorsque je veux m’emparer d’une boîte, et sans même un regard, les muscles crispés, il se dirige vers la caisse. La conseillère arbore un sourire si démesuré qu’elle en est défigurée. La carte bancaire de Lukas est déjà entre ses mains quand je me récrie :
— Lukas ! Je n’ai pas besoin que tu me l’offres ! Je te rappelle que je ne veux pas de tes cadeaux !
— Je sais ; pas de scandale, s’il te plaît. On fera les comptes demain, ok ?
Je me renfrogne et acquiesce pour ne pas provoquer d’esclandre ; j'espère ne pas devoir me battre contre lui encore une fois pour obtenir gain de cause. Que je n’aurai pas, je le sais.
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