SANS SUITE 23/ Jour 5 : Trucs de femmes (2)
Les conseillères de vente qui nous accueillent ressemblent plus à des mannequins qu'à des vendeuses et je n'apprécie pas du tout leurs regards. Si leur intention est de me voir prendre mes jambes à mon cou, qu'elles persistent à me toiser, hautaines. Elles sont aux petits soins pour Lukas, par contre, aussi mielleuses qu'un ours devant un pot de miel.
— Madame a une idée assez précise de la robe qu'elle recherche, explique-t-il avec assurance. Elle vous expliquera cela mieux que moi.
Il leur tend sa carte bleue, enfin, noire, et la brunette l'invite à patienter sur des fauteuils de cuir blanc, face à une estrade, blanche, elle aussi. Tout est blanc ici, de toute façon, les murs, le carrelage, le plafond, les lumières.
— Puis-je vous offrir une coupe de champagne, Monsieur Sullivan ?
Ça recommence, les Monsieur Sullivan par ci, Monsieur Sullivan par-là !
— Avec plaisir. Madame appréciera également. Merci.
Je le gratifie d'un sourire alors que la rousse m'entraîne au bout de l'estrade où se trouve la cabine d'essayage :
— Quittez vos vêtements, Madame, je vous apporte des robes.
— Je vais devoir défiler ? demandé-je, incrédule.
— L'avis de Monsieur ne vous intéresse-t-il pas ?
Sous-entendu : c'est lui qui paie.
— Lukas ! Vraiment, ça ne me dit rien.
Je m'adresse à lui d'une voix enfantine, espérant l'amadouer. En vain. Je vais me ridiculiser et cela ne me plait pas du tout. J'aimerai tant avoir l'assurance de ces gens riches que je déteste. Après tout, qu'est-ce qui m'empêche de les imiter ?
Je tire le rideau, blanc, comme le reste. Pourquoi autant de blanc ? Mise à part la dorure des rideaux et des décorations, les seules touches de couleur proviennent des vêtements. Pour couronner le tout, la musique classique qu’on entend à peine s’accorde parfaitement à cette ambiance de palais royal.
La rousse passe une main chargée de robes soyeuses dans la cabine. Elle me confie également une paire d'escarpins, nécessaires pour allonger la silhouette.
Je choisis d'essayer en premier une robe noire, entièrement en dentelle. J'ai toujours aimé le noir qui s'assorti à n'importe quelle autre couleur et qui, en plus, aminci. La coupe en forme de sirène me plait beaucoup. Le manque de bretelles me déçoit un peu car avec le décolleté en cœur et le dos nu, je vais passer la soirée à essayer de cacher ma poitrine.
Je me lance. J'ouvre le rideau et cherche le regard de Lukas qui semble rêvasser dans son fauteuil. Il reste immobile quand il m’aperçoit. Le spectacle semble lui plaire, alors j'inspire un grand coup et avance timidement jusqu'au bout de l'estrade. Il me fait signe de me retourner puis me demande de changer de robe.
— Mets-la de côté, celle-là. J'aime beaucoup.
J'examine la beige, magnifique, en drapé, avec des formes géométriques. Rien à faire, trop sophistiquée pour moi. De plus, je trouve le beige trop fade.
J'ai envie d'essayer la bleue azur. La couleur et la coupe sont originales et j'adore le bustier sequin. Je sors de ma cabine sans craindre de m'entraver dans la longueur puisque la jupe est courte sur le devant. Seul l'arrière frôle le plancher. Alors que je me déplace avec plus d'aisance, j'apprécie la fluidité de la matière ; que du voile ! Lukas fronce les sourcils, mauvais signe :
— Très jolie, mais je préfère la noire.
Je souris de toutes mes dents car je suis d'accord avec lui. Pour une fois ! Je me précipite pour me changer et opte pour la robe jaune, qui, je le sais, sera trop criarde. Elle est légère aussi, et moins brillante que les autres robes que je viens de quitter. Le dos nu et le décolleté en V correspondent exactement à ce dont j'ai envie, mais je ne passerai pas inaperçue en jaune canari. Je suis plutôt adepte de la discrétion. Lukas se cache les yeux à mon approche et fait même preuve d'humour :
— Moins acidulé, c'est possible ? Je préfèrerais laisser le citronnier à la maison.
J'éclate de rire et lui demande de m'aider à descendre de l'estrade. Je vais regarder les tenues et faire mon choix toute seule, comme une grande. Il me saisit par les hanches et me serre. Je me laisse glisser contre lui et murmure :
— Rayon de soleil aurait été plus charmant que citronnier.
— Certes, Madame, mais le charme de votre prince connait des limites. Ton défilé était sympa mais je suis sûr que tu peux faire mieux.
— Après avoir avalé une goutte de ce breuvage dont vous vous délectez depuis notre arrivée, mon prince, et surtout lorsque j'aurai déniché la tenue de nos rêves.
— Elle n'existe pas. Ou alors, elle ne cachera rien de votre anatomie.
Je glousse en quittant ses bras, me presse pour boire une gorgée et pars à la recherche de La robe. Je parcours les étiquettes par curiosité. Combien peut coûter une tenue de soirée dans un tel endroit ? Mais je ne trouve aucun prix. Je suppose que les clients sont tellement fortunés qu'ils ne s'y intéressent pas. Que la question ne les effleure même pas, tout simplement. Je prends mon temps pour sélectionner quelques articles et retourne me cacher dans la cabine, sur l’estrade qui m'est aujourd'hui réservée.
J'ai sélectionné trois nouvelles robes. Une rouge et deux blanches. Sous l'œil désapprobateur des vendeuses, mais je m'en contrefiche. Je connais mes goûts, pas elles. J'ai envie de susciter le respect et l'envie, de faire honneur à Lukas qui se plie en quatre pour moi. Je ne veux pas le décevoir. Parce qu'il m'accorde sa confiance, parce que cet homme n'est pas tout à fait tel que je le croyais. Sous ses airs machistes se cache un homme sensible et profondément humain, j'en ai la certitude.
J'ai une préférence pour l’une des deux toilettes blanches que je décide de garder pour la fin. Il est bien d'usage de garder le meilleur pour la fin, n'est-ce pas ? Ou appelez ça de l'intuition féminine.
Je mets un pied devant l'autre, le cœur battant car je présente alors mes propres choix et j'espère ne pas m'être trompée. Je crains la réaction de Lukas, car s'il n'apprécie pas cette robe, j'ai peur qu'il trouve les deux autres trop... simples. Je suis enveloppée de satin rouge sang. Une ouverture sur le devant laisse passer une jambe à chaque pas, et la traine me suit à chaque mouvement. Le haut forme un V au-dessus de ma poitrine, les bords ornés de décors argentés. On retrouve les même dans le dos, là où les lanières se rejoignent, ainsi que sur les coutures, à l'échancrure de mes hanches. Je me sens presque à mon aise dans cette tenue sublime. Lukas passe sa langue sur ses lèvres et repose sa coupe sur la table basse, blanche et immaculée, cela va sans dire. Je lui souris et fais demi-tour sans rien dire. Je vais mettre cette robe de côté, avec la noire.
La suivante, fourreau, blanche, n'épouse pas mes formes, sans être trop large non plus. Toute en mousseline, avec un col rond agrémenté de plis, lacée dans le dos et ouverte sur le devant, elle laisse le tissu trainer à mes talons. Cette fois, Lukas se tire les cheveux d'une main, tandis qu'il cache sa bouche de l'autre. Bien. La dernière. Je souffle un grand coup avant de l'enfiler. C’est celle qui m'attire le plus. Sobre, et sexy à la fois. De mon avis d'inexperte, mais vu la tête de mon prince charmant, je me débrouille plutôt bien.
Un dernier regard dans le miroir de la cabine. Cette robe, encore blanche, (je suis surement inspirée par les tons dominants dans la boutique), est composée uniquement de satin, enfin, presque. La dentelle recouvre le top, qui laisse mon dos dégagé, et le maintien par deux fines bretelles. La ligne de la robe vole autour de moi, en effleurant le plancher. Sobre, comme je disais. Sous mon aisselle gauche, une bande de tulle ornée de perles de cristal et agrémenté de décors en fil d’or court jusqu'à ma cuisse, fendant la jupe et s'échouant à mon pied. J'ai trouvé ce que je cherchais. J'espère.
Je marque un temps d'arrêt après m'être battue avec le rideau. Le regard de Lukas est fixé sur moi. Il ne cille pas. Je me concentre sur lui, en imaginant marcher sur un fil. À chaque pas, la fente laisse passer ma jambe nue. Lukas se lève et s'approche du bord de l'estrade. Il caresse ses lèvres du bout des doigts, déglutit et prend une profonde inspiration :
— Waouh !
Il déglutit encore une fois et me tend les mains.
— Carly. Tu es... Waouh !
Ses bras autour de ma taille, il m'embrasse fiévreusement, avant de s'écarter à regret :
— Tu vas vite quitter cette robe ; sans ça, je te prends tout de suite, ici et maintenant.
Alors que je retourne fièrement dans ma cabine, je l'entends parler à l'une des vendeuses :
— Faîtes les ajustements nécessaires. Nous en avons besoin pour hier. Merci de faire livrer à cette adresse avant dix-huit heures. Nous avons une réception imprévue. Madame a également besoin d'accessoires tels que chaussures, pochette, et caetera. Je compte sur vous.
Avant de me permettre de le rejoindre, la brunette s'affaire autour de moi. Elle plante des épingles un peu partout sur la robe, ajustant le top, épousant la courbe de mes hanches puis elle prévoit de raccourcir quelque peu la longueur.
Quand enfin elle me libère, Lukas m'attend déjà avec une coupe de champagne. Nous trinquons, mais il ne me laisse pas tremper mes lèvres. Il y dépose un petit baiser, puis un autre ; il ne semble pas vouloir s'interrompre. Son bras autour de ma taille me serre un peu plus fort mais sa joue vient se coller à la mienne, alors qu'il soupire résigné :
— Allons déjeuner. Les heures s'écoulent très vite.
— Je ne veux pas manger, Lukas, car mon ventre va gonfler et je ne veux pas ressembler à une dinde ce soir.
— Tu auras digéré, d'ici ce soir. Si tu n'avales rien, tu ne tiendras pas. Crois-moi, tu vas avoir besoin de forces pour rencontrer les vautours.
J'en frémis d'avance.
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