SANS SUITE 24/ Jour 5 : Trucs de femmes (3)

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— On pourrait simplement prendre un sandwich ou un hot-dog et le manger en flânant. Ça pourrait être amusant, qu'en penses-tu ? En plus, j'aimerai beaucoup ramener un petit souvenir à mes enfants.

Il n'a pas l'air emballé. Pourtant, son attitude dans le supermarché me laisse à penser qu'il pourrait se laisser distraire. Et puis, j'ai très envie de revoir cet homme-là. J'insiste :

— Lukas, s'il te plait ! Il y a pleins de petites boutiques. Fais-moi plaisir, s'il te plait.

J'ajoute, taquine :

— Sinon, je ne te ferais pas plaisir, moi non plus.

Il lève les yeux au ciel et soupire :

— D'accord. Tu ne les appelle jamais, tes enfants ?

— Bien sûr que si ! Tous les jours. Au salon, à cause du décalage horaire ; je sors fumer et j'en profite pour prendre de leurs nouvelles.

— Quel âge ont-ils ?

— Huit et onze ans.

— Qui s'occupe d'eux en ton absence ?

Je suis surprise par cet intérêt aussi soudain qu'inhabituel, mais plus encore par l'air soucieux de Lukas. Je réponds :

— Mes beaux-parents. Ils sont ravis d'avoir fait le voyage et de revoir leurs petits-enfants.

Il fronce nez et sourcils avant de poursuivre son interrogatoire, indécis :

— Comment est mort ton mari ?

— Stop. Une autre fois, Lukas. C'est un sujet trop triste pour l'aborder aujourd'hui. Viens. On va trouver de quoi se restaurer là-bas.

Je prends sur moi pour user d'un ton enjoué et lui adresser un grand sourire, puis j'attrape sa main et l'entraine d'un pas rapide vers une baraque à frites. Il commande un sandwich américain qui m'ouvre l'appétit, mais je reste raisonnable en préférant un hot-dog, dans lequel je mords à pleines dents. Je suis plus affamée que je ne le pensais. Lukas s'amuse à me narguer ; il gémit à chaque fritte qu'il ingurgite ! Je lèche ma lèvre pour détourner son attention et lui en pique une.

— Eh ! C'est à moi, ça ! Fais attention, tu vas grossir !

Pour toute réponse, je lui tire la langue et lui vole un autre morceau de pomme de terre.


Je m'extasie devant les cris de mouettes en résine dont les yeux cachent des capteurs de mouvement. Lui, examine un long moment des peintures exposées dans une vitrine et nous apprécions ensemble le travail d'un portraitiste. Nous applaudissons avec les autres spectateurs lorsque nous découvrons le visage du modèle parfaitement reproduit sur le papier. Le dessinateur observe son public jusqu'à ce que ses yeux s'arrêtent sur nous :

— On se laisse tenter, les amoureux ?

— Non, répondons-nous d'une même voix.

C’est ferme et clair. Pour une fois, nous sommes d’accord. Lukas lâche aussitôt ma main, tandis que je fais un pas de côté pour m'éloigner de lui. L'homme nous adresse un clin d'œil complice avant de s'intéresser à d'éventuels autres clients. Sans doute croit-il que nous cherchons à garder notre liaison secrète. Ce qu'il ignore, c'est que nous ne partageons que des parties de jambes en l'air.

D'un ton sec, Lukas m'ordonne de le suivre. Il entre d'un pas décidé dans un magasin de mode et demande où l'on peut trouver un coiffeur digne de ce nom. En prenant à droite au bout de la rue et en longeant le boulevard de la plage, on ne pourra pas manquer le salon.

En effet, rien que l'appellation m'effraie. Institut de beauté. La devanture ne me rassure pas non plus. Encore un de ces lieux luxueux où je vais me sentir tel un cheveux sur la soupe.

Lukas, l'homme d'affaires, prend encore les choses en main :

— Madame souhaite être coiffée pour une réception imprévue, ce soir. Elle vous expliquera ce qu'elle souhaite, et si elle désire d'autres prestations. Je dois téléphoner, commencez sans moi. Je réglerai à mon retour.

Il range sa carte bleue-noire dans la poche de son jean, après s'être assuré que l'esthéticienne l'ait bien remarquée.

On m'installe dans un fauteuil de cuir après m'avoir recouverte d'une blouse bordeaux. La coiffeuse écoute attentivement mes explications quant à la nouvelle tête qui me fait envie, alors que l'esthéticienne s'occupe déjà de mon visage. Puis pendant le temps de pause nécessaire à la coloration, j'apprécie le soin des pieds et des mains auquel j'ai droit avant la manucure et le vernissage de mes ongles.

Je ne parviens pas à voir si Lukas est revenu. Ça grouille de monde, entre les employées et les clientes. Sa présence me rassurerait, car les regards curieux et désobligeants de certaines femmes me hérissent les poils et je ne sais pas si je vais pouvoir résister encore longtemps à mon envie de leur hurler tout ce qui me passe par la tête.

Une femme en blouse blanche parcourt la salle, un plateau rempli de coupes de champagne sur la main. Tout ce luxe m'exaspère ! Ces employées courtoises, mielleuses devant leurs riches clientes, parviennent-elles seulement à boucler leurs fins de mois ? N'éprouvent-t-elles pas une pointe d'envie, de jalousie ? Comment peuvent-elles jouer aussi facilement une telle comédie ?

J'observe une femme depuis un moment. Elle se tient droite dans son fauteuil. Je souris à l'idée d'une réflexion que n'aurait pas manquée Sybille ; cette vieille peau n'aurait-elle pas un balai dans le cul ? Elle est désagréable, des traits fermés de son visage, à sa manière de s'exprimer. Elle ne ménage pas la pauvre fille qui s'occupe d'elle, qui reste pourtant aimable et attentionnée. Je suis écœurée par cette créature qui vient se faire coiffer alors qu'on la croirait tout juste sortie du salon. Je voudrais qu'on cache son regard hautain qui nous transperce et nous juge. J'imagine sa bouche maquillée outrageusement pour former un sourire de clown qui s'étalerait jusqu'aux oreilles. Enfin, il faudrait ôter cette couche orange-marron dont les UV ont recouvert sa peau fripée. J'ai bien envie de me lever pour aller rafraîchir sa coupe moi-même, mais le visage de Lukas vient éclairer le miroir qui me fait face.

— Tout va comme tu veux ? chuchote-t-il à mon oreille.

Je murmure un oui qui sonne faux et qui m'écorche les lèvres. Je jurerais que les tympans de Lukas en ont souffert, eux aussi.

Il prend un fauteuil un peu plus loin et la fille au plateau se précipite pour lui offrir sa coupe de champagne. Moi, je l'ai refusée. Je ne dois pas arriver pompette au cocktail.

D'où je suis, je ne peux pas le voir. Je suis sûre qu’il a choisi cette place pour m'observer à mon insu.

J'aime beaucoup ma nouvelle tête. Un carré profondément plongeant, ébouriffé et parsemé de mèches blondes et rouges. J’ai dû batailler, car ici, ce sont les professionnels qui vous indiquent ce qui vous irait le mieux. Selon eux.

En ce qui concerne le maquillage, je me suis contentée de préciser la couleur de ma robe, puis j'ai laissé l'esthéticienne juger des besoins de mon visage.

Toujours en fonction des tons que je porterai ce soir, mes ongles sont recouverts d'un vernis doré, et agrémentés de petites perles de cristal.

Lukas s'est réfugié dans la rue quand enfin je suis prête à le rejoindre. Il arpente le trottoir de long en large, son téléphone collé à l'oreille. Il s'arrête dès qu'il m'aperçoit à l'intérieur, raccroche et revient me chercher. Alors que nous nous dirigeons vers la sortie, je me retourne vers l'accueil.

— Tu as déjà réglé ?

— Oui, tout à l'heure, répond-t-il, le sourire aux lèvres.

Très malin d'avoir payé alors qu'on s'affairait toujours sur ma petite personne.

Nous prenons la direction de la voiture, mains dans la main, nos doigts entrelacés. Pourtant, je ne me sens pas tranquille.

— Combien ça t'a coûté, tout ça ? La robe, l'institut, et tout le reste ?

— On va arrêter les frais, Carly, tu vas me ruiner, répond-il avec sérieux.

Il me pince la taille en riant et embrasse le bout de mon nez.

— Ne te préoccupe pas de ça. C'est une goutte d'eau dans un océan. Je le fais parce que je le veux bien.

Il clôt la discutions avec l'un de ses clins d'œil charmeur.

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