SANS SUITE 25/ Jour 5 : Appelez-moi Cendrillon (1)
La villa est vide quand nous arrivons ; nos amis ne sont pas encore rentrés du salon, mais vu l’heure avancée, ils ne vont plus tarder.
Je m’enferme dans la salle de bain avant qu’il ne prenne l’idée à Lukas de m’y suivre. Car je sais ce qu’il ne manquerait pas de se passer dans un espace aussi exigüe si nous nous y trouvions nus tous les deux. Je me douche rapidement, avec précaution pour ne pas mouiller mes cheveux ou éclabousser mon visage, puis me sèche quand je perçois des voix. Ça y est, ils sont revenus.
Seuls les vêtements portés depuis ce matin m'attendent sur la patère de porte. Ma tenue de soirée a-t-elle bien été livrée ? Je n’ai pas pensé à vérifier. Quelle angoisse si le livreur les a laissés à la réception ! Nous ne nous y sommes pas arrêtés à notre retour et elle est fermée, à présent ! Panique à bord. Je souffle un grand coup, enroule la serviette autour de moi et file dans ma chambre.
Par quel miracle les cartons d’emballage ont-ils atterris sur mon lit ? Ça signifie que des gens peuvent entrer ici en notre absence. Pas très rassurant ; je vais en informer les autres. Pour l’instant, je dois m’habiller. Le long carton doit protéger la robe. Les chaussures sont sûrement dans le plus épais. Mais que contiennent les deux autres ? La curiosité est un vilain défaut, mais ces boîtes se trouvent dans ma chambre, alors je me dois de vérifier leur contenu, non ? Elles pourraient cacher une bombe ! Non, je plaisante ! Quoique, Angie et Lukas ne doivent pas avoir que des amis. Surtout dans leur milieu professionnel. D’ailleurs, pourquoi deux personnes aussi riches et convoitées ne sont-elles pas entourées de gardes du corps ? Surprenant, mais je suis novice en ce qui concerne la vie des riches célibataires. Des riches tout court, aussi. Ne parlons pas des milliardaires !
Bref, je soulève le couvercle du premier emballage, le plus petit. Un sac à main minuscule y est recouvert d’une feuille de papier. On dirait une enveloppe blanche. Seule la chaîne d’épaule est dorée, avec le bouton de fermeture. Bien vu, car j’aurais eu l’air ridicule avec mon gros sac bon marché. La seconde boîte surprise cache un mignon shorty string en dentelle enveloppé dans le même papier de soie. De couleur chair, cela va sans dire. Le papier qu’il reste dans l’emballage me parait un peu gonflé. Dissimulerait-il un soutien-gorge ? Mais oui bien sûr ! Pas spécialement sexy, mais de couleur chair lui aussi, il est parfaitement adapté au dos nu de ma robe.
C’est parti ! J’enfile la lingerie et laisse la robe recouvrir mon corps en glissant, sans regarder mon miroir. Avant ça, je veux passer mes sandales à talons aiguilles, dorées et brillantes sous les strass. Je m’empare de la pochette et regarde enfin le résultat. Une petite retouche sur mes cheveux ne me ferait pas de mal. Ainsi qu’un chouia de gloss.
J’admire quelques instants cette femme qui me dévisage dans la glace. Elle me ressemble beaucoup, sauf qu’elle est belle. Très belle. Et classe. Il faudrait juste qu’elle redresse légèrement les épaules. Oui, je sais, c’est moi, mais la transformation est saisissante. Ma timidité naturelle revient me taquiner. Ce n’est pas le moment.
Mes amis sont tous sur la terrasse, je les entends. Je prends une nouvelle profonde inspiration et avance dans le couloir d’un pas décidé quand Leandra surgit de sa chambre.
— Carly ! C’est bien toi ? s'exclame-t-elle, admirative.
— Heu, oui.
Je suis sous l’arche qui mène au salon avant de rejoindre l’extérieur et du coin de l’œil, j’aperçois John, puis Sybille, qui se déplacent, intrigués par la réflexion de Leandra. Il est temps de me montrer. J’avance, comme je l’ai fait sur l’estrade, en imaginant marcher sur un fil, la fente de la robe se soulevant à chaque mouvement de ma hanche. Je regarde tour à tour, John, dont les yeux s’ouvrent de plus en plus, puis Sybille, bouche bée. Bon sang ! Où est Lukas ?
Je sens sa présence quand enfin je m’arrête devant la table. Il est là, à ma gauche. Je me tourne lentement vers lui, reconnais au passage Mickaël, puis Angie. Lorsque mes yeux se posent sur Lukas, j’en ai le souffle coupé. Mon dieu qu’il est beau ! Il porte un smoking noir sur une chemise blanche, agrémentée d’un nœud papillon. Jusque-là, je n’avais eu l’occasion d’apprécier son charisme qu’en tenue décontractée. Mais là ! Il n’est plus seulement parfait ; j’ai en face de moi un Dieu vivant ! Séduisant et sexy, fascinant et envoûtant, souverain et autoritaire. Il force le respect et l’admiration. Voire la vénération. Je n’en suis pas loin, en tout cas.
Les autres parlent. Je ne sais pas à qui, je n’ai pas compris ce qu’ils disaient. Je n’ai pas entendu. Je n’ai pas écouté.
Lukas s’approche de moi, mains dans les poches. Il en sort quelque chose qui brille. Je n’arrive pas à détacher mon regard du sien.
— Tourne-toi, m’ordonne-t-il d’une voix rauque.
Le truc qui brille passe devant mes yeux et vient se poser à la base de mon cou. Les doigts de Lukas provoquent un frisson quand ils frôlent ma nuque. Un collier ? Il suspend avec douceur des boucles d’oreilles à chacun de mes lobes, prend ma main, y dépose un baiser, puis passe un bracelet à mon poignet. Je rêve ! Une fine chaîne ornée de pierres qui ressemblent à de minuscules diamants !
Angie rompt le charme :
— Lukas !
Sans s’occuper d’elle et sans lâcher ma main, il m’entraîne dans ma chambre, jusqu’aux miroirs de mon armoire. Il a accroché autour de mon cou une chaine identique au bracelet, (sûrement en or je ne sais combien de carats), et mes oreilles sont ornées de courts pendentifs assortis. Je dois dire quelque chose. Mais quoi ? Merci ? Hors de question. Demain, il récupérera tous ces objets de luxe qui ne me seront plus d’aucune utilité et dont il fera ce qu’il veut. Pourtant, je ne peux pas rester muette toute la soirée. Il attend. Il semble inquiet de ma réaction, mais je ne veux pas poser la question dont je connais déjà la réponse, à savoir qu’il n’est pas homme à acheter de simples imitations.
— C’est aujourd’hui que tu as trouvé le temps…
Il se contente de sourire pour toute réponse.
Je prends une profonde inspiration et redresse les épaules avant de me tourner vers lui. Mes yeux rencontrent alors son regard ; il exprime une douceur, une tendresse que je ne lui ai jamais vu, même lors de nos ébats.
— Merci, Lukas.
— Mais ? m'encourage-t-il sur un ton où perce la déception.
— Tu comprends que je ne pourrais pas conserver tous ces… cadeaux.
— Nous en discuterons demain, tu veux bien ? Pour l’heure, nous avons d’autres priorités.
Il s’est replongé dans son milieu. Cette façon de parler, cette manière distante de se tenir. C'est bien ; il sera mon modèle pour pénétrer dans la gueule du loup.
Nous regagnons la terrasse où mon regard est attiré par Mickaël. Lui aussi est en smoking et très séduisant, malgré ses larges épaules coincées sous la veste. Il secoue la tête de gauche, de droite, gêné par une cravate nouée autour du cou. Au fait, l'ai-je salué ? Une fouille rapide parmi mes souvenirs les plus récents me renvoie l'image d'un discret signe de la main, accompagné d'un bref sourire.
Angie est très en beauté, elle aussi, mais il est vrai qu’elle est belle naturellement, toujours raffinée et sexy dans ses superbes robes faites sur mesure. Pour l'instant, ses yeux fusillent son frère, qui lui renvoie un regard chargé d’électricité.
— Qu’est-ce qui te prend, Lukas ? crache-t-elle avec hargne. Cette parure appartenait à notre mère ! Elle devait me revenir !
— Elle est à toi, Angie, répond-il, apaisant. J’ai simplement pensé qu’elle se marierait à merveille avec la tenue de Carlyane. Elle m’a promis de me la rendre à l’issue de la soirée.
— Tu te moques de moi ? s'emporte-t-elle encore. Tu vas me dire que tu as pour habitude de te déplacer avec une fortune dans la poche ?
— Non. Patrice m’a demandé si j’accepterais de la lui prêter pour une exposition dans un musée. Satisfaite ?
Elle insiste, les poings serrés, telle une enfant capricieuse :
— Tu aurais dû m’avertir ! Je ne suis pas d’accord pour qu’elle la porte !
Je ne souffle mot, cherchant un trou de souris pour m’y cacher. Ce n’est pas ce soir que je vais gagner les grâces d’Angie. Je tente malgré tout d’intervenir en proposant de me passer de ces accessoires, mais Lukas refuse catégoriquement et parvient à calmer sa sœur :
— Angie, je ne peux pas être accompagné d’une femme dont la tenue n’est pas complète. Je n’ai pas d’autres bijoux de disponibles, là, maintenant. Pense juste à ce qu’ils en diraient…
Un véhicule s’arrête dans notre allée. Diversion assurée ; Angie capitule ; Lukas reste tendu mais le soulagement se lit sur son visage. D’où je me trouve, je distingue l’avant de la voiture, mais pas l’arrière. Elle est sombre, ses vitres teintées, et elle me semble anormalement longue.
Lukas me prend par la taille.
— Ma sœur et Mickey nous accompagnent. Je n’avais pas prévu ça. Madame Madma a convié Angie également et lui a soumis l’idée de se présenter accompagnée, elle aussi.
Il grimace. Je comprends maintenant le costume que Mickaël se voit forcé de supporter.
— Bonsoir. Madame Bertrand ? cherche un homme déguisé en chauffeur.
C’est qui celui-là ? Comment connait-il mon nom ?
— C’est moi, je répond avec méfiance.
— Madame.
L’homme s’incline devant moi, et me tend un bouquet de roses. Des roses rouges. Combien y en a-t-il ? Vingt, trente ? Je ne comprends rien. Ou je ne veux pas comprendre. Surtout pas. Un chauffeur, un homme inconnu qui m’offre des roses rouges ? Pas le choix. Je regarde Lukas, et respire le parfum entêtant des fleurs. Il me sourit d’un air gêné.
— Le carrosse de Madame est avancé, dit-il, les mains tournées vers la voiture en signe d'invitation.
Je dois être en plein rêve de petite fille. Un prince charmant, une robe de top model, des bijoux hors de prix, les fleurs qui représentent la passion, un carrosse… Comment ne pas me comparer à Cendrillon, moi qui n’accepte personne pour entretenir mes gites ou ma maison ?
— Vite, allons-y. Minuit sera vite là ! ricané-je.
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