Les yeux bandés, je dois reconnaître cinq saveurs sur les doigts du nominé. Qui n'est, encore une fois, autre que Lukas. Angie s'emporte à cette annonce :

— Il y a forcément un truc ! John, comment fais-tu ça ?

— Je vous assure que je n'y suis pour rien ! s'insurge le chef cuisinier. Je ne vois pas comment je pourrais réussir un tel tour, et pour elle, et pour lui ! Croyez-le, c'est le pure hasard ; vous êtes bien placés pour y croire, non ? demande-t-il encore en désignant ses patrons.

— Justement, non ! nie Angie.

— Et bien pourtant, il semblerait que le hasard fasse bien les choses puisqu'il a décidé de réunir ces deux-là ! poursuit John en souriant à mon intention et à celle de Lukas.

On me bande les yeux avant de m'entraîner devant mon nominé. Il pose sa main dans la mienne et je devine qu'il n'a pas pris la peine de se mettre debout. Qu'à cela ne tienne ; je m’assois sur ses genoux.

D'une voix rauque, il m'ordonne d'ouvrir la bouche et ajoute :

— Tu sais faire ça, non ? On aurait même dit une pro.

Cela ressemble bien à une remarque acerbe de jalousie. Loin de m’en offusquer, j’en suis ravie au contraire.

Qu'a dit John ? "Le hasard fait bien les choses" ? À mon tour de forcer les choses. Je m'installe encore un peu plus près de son corps, et me léche les lèvres. Puis je pose ma main dans son cou. Je caresse un premier doigt de ma langue dès qu'il le glisse dans ma bouche et reconnais le goût du miel.

Les autres s'amusent à nos dépends au souvenir de notre précédent échange de nectar. Les remarques fusent quant à l'origine de nos prochains partages.

Second doigt ; doux et très sucré. Si sucré que je suis prise d'une forte quinte de toux. On m'offre un verre d'eau qui soulage ma gorge irritée et je parviens à leur faire part de ma trouvaille : lait concentré sucré, le péché mignon de Leandra.

Troisième doigt, le majeur ; il est froid, très froid. Mais bon. Mes lèvres l'entourent et glissent lentement dessus, d'avant en arrière. Je regrette de ne rien voir ; j'aurais aimé observer les réactions de Lukas, m'assurer que mon petit jeu d'allumeuse fonctionne bien. Il retire son doigt et j'annonce avoir reconnu la glace à la vanille. Je suis rassurée, car je craignais devoir faire face aux idées un peu plus machiavéliques de nos amis, mais ils sont restés simples.

Quatrième doigt, qui suit la logique, l'index ; je récupère un peu de l'aliment du bout de la langue pour le déposer sur les lèvres de Lukas, mais, surprise !!! Le goût est différent, salé, un soupçon pimenté. Pas grave, j'exécute mon plan après une petite pression sur la nuque de mon partenaire, qui parait d'accord puisqu'il ne résiste pas.

— Guacamole ! je m'exclame. Dois-je croquer dans le tacos ?

— Non, mais tu peux me nettoyer les lèvres, murmure mon partenaire.

Pas de problème. Je sais que nos visages sont proches quand je sens son souffle au coin de ma bouche, et ma langue caresse alors ces lèvres capables de provoquer autant de désir et de plaisir que de laisser échapper de mots blessants.

Le dernier doigt. J'envisage cette fois de partager avec lui. Je prends sa main et entoure le pouce de ma bouche. Il le retient, il ne veut pas que je l'enfonce en entier. Je ne sens rien, c'est étrange, aucun parfum, aucun... Ça pique au milieu de ma langue ! C'est supportable, mais ça pique quand même ! Ils rient tous quand je prends de profondes inspirations et que je découvre mes yeux en ralant :

— Ça n'a rien de cool, de sensuel ou d'excitant, ça !

Vengeance ! J'encercle le visage de Lukas de mes dix doigts et me jette sur sa bouche. Il l'entrouvre aussitôt pour mêler nos langues et m'aider à apaiser la brûlure du wasabi. Efficace. Sa main propre caresse mon dos, tandis que les miennes explorent ses joues, ses épaules, ses bras... Je rejette la tête en arrière quand ses lèvres et sa langue glissent dans mon cou. Elles continuent leur chute jusqu'à la base de mes seins. Le bout de mes doigts relève alors son visage et je cherche à nouveau sa bouche. Il laisse échapper un ong souffle lqui me fait perdre toute raison. Nos compagnons nous arrêtent dans notre frénésie :

— Sur cette dernière note très pimentée, je propose que vous regagniez votre chambre tous les deux et que nous terminions le tour à quatre, annonce John.

— Non. C'est moi qui termine le tour, rappelle Lukas. Un instant, je me lave les mains. Mickey, tu peux déjà piocher.

Sourire sadique du susnommé :

— Méfie-toi que je ne nomine pas Carly.

— On verra alors sur lequel elle se déchaîne le plus, répond-il encore, dédaigneux.

Je me vois obligée d’intervenir, et après un soupir qui en dit long :

— Ça va ? Je ne vous dérange pas ?

Mickaël, les yeux bandés, doit reconnaître sa nominée, Sybille, ouf !, parmi les trois masseuses.

On l'installe sur une chaise, au bout de la terrasse et mon amie palpe sa nuque et ses épaules, pour terminer par son dos. Elle m'invite ensuite à prendre sa place. Je me suis munie d'un petit flacon d'huile sèche, offert par un exposant au salon. J'en verse quelques gouttes dans le creux de ma main et commence par l'étaler sur les épaules et le dos de Mickaël. La sensation est étrange ; sa peau bronzée est douce et ses muscles de nageur affûtés. Mes doigts se rejoignent avec naturel sur ses pectoraux. Mon regard est attiré par Angie qui trépigne à côté de moi et mes yeux dévient pour se poser sur Lukas. Il secoue la tête et se détourne pour allumer une cigarette. Toujours décidé à ne pas assister au spectacle, il s’absorbe dans une application de son téléphone portable.

Je cède ma place à ma voisine, qui menace de m'étrangler. Impatiente, elle s'assied sur les genoux du joueur, à califourchon, tout comme je l'ai fait sur son frère. Manquerait-elle d'imagination ? Elle masse le torse et la poitrine de son partenaire, et guette ses réactions. Cependant, elle n'est pas sans me jeter des petits coups d'œil d'avertissement.

Vous êtes très douées toutes les trois, hésite Mickaël. Angie est forcément celle qui a le plus... osé. La dernière masseuse, et pas des moindres. Je dirais que Carly est la seconde. J'ai senti de la douceur, voire un peu d'intérêt.

Lukas boude toujours, le dos tourné vers l'entrée de la villa, si bien que je ne vois pas son visage. Ça vaut sans doute mieux, car j'aperçois John qui le surveille, attentif.

Mickaël reprend :

— Par déduction, Sybille, ma nominée, est la première !

— Bravo ! Mais tu insinues que je ne suis ni douce, ni entreprenante ? râle mon amie avec défi.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je laisse John en juger.

Lukas s'est accaparé la chaise de Leandra. La sienne, près de Sybille, est donc libre et je m'y installe. Il ne bronche pas. Il reste impassible. Avec anxiété, je pose ma main sur la sienne. Toujours aucune réaction. J'écarte ses doigts pour les entrelacer avec les miens. Rien. Au moins, il ne me refoule pas et ne devient pas désagréable. Pour l'instant.

Alors que je me concentrais sur l'humeur de son frère, Angie piochait son défi et criait à la lecture du nominé :

— Il est hors de question que je lèche quoi que ce soit sur le torse de mon frère ou celui de John ! Mickaël, ou je ne le fais pas !

— Ok, va pour Mickey ! concède Lukas.

Il lève les bras au ciel ; bon prétexte pour lâcher ma main. John me propose de badigeonner le torse de Mickaël de crème chantilly, mais l’idée, aussi charmante soit-elle, me parait trop déplacée. C’est finalement à Sybille qu’incombe cette tâche. Elle s’en acquitte en riant, et provoque l’hilarité générale, ce qui détend l’atmosphère.

La langue d’Angie parcourt le haut des pectoraux de son partenaire, et absorbe au passage le dessert sucré ; elle s’attaque à ses abdominaux avant que l’aliment ne se liquéfie, puis elle remonte rapidement au niveau d’un sein, dont elle fait le tour. Elle lèche le mamelon, et pour finir, sa bouche savoure la chantilly sur le second sein tandis que ses deux index se glissent entre la ceinture du bermuda et la peau. Lui est tendu, crispé, malgré sa tentative désespérée pour nous cacher son émoi. Il se laisse tomber sur sa chaise, Angie à peine redressée, souffle un grand coup et nous regarde tour à tour. Ses joues ont pris une jolie teinte rosée et de petites gouttes de sueur perlent à la racine de ses cheveux dorés. Alors qu’Angie se détourne pour reprendre sa place, il attrape son poignet et lui fait signe de s’asseoir sur ses genoux. Elle affiche un sourire de triomphe, et ne se fait pas prier.